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L'OFFICE UNIVERSITAIRE DE RECHERCHE SOCIALISTE
 
Bergounioux / Lindenberg 323
Lindenberg, le théâtre des réactions
par ALAIN BERGOUNIOUX

a/s de Daniel Lindenberg
Le Rappel à l’ordre
Enquête sur les nouveaux réactionnaires

Seuil 2002 92 p 10,50 e

En voulant saisir l’air du temps idéologique, Daniel Lindenberg prend le risque de l’amalgame, parfois trop problématique. Mais le débat qu’il soulève
mérite qu’on s’y arrête.


Voici un essai qui est déjà au centre d’une polémique. Est-il justifié d’englober sous la même épithète de « réactionnaires » les romanciers Michel Houellebecq, M. Dantec et Marc-Édouard Nabe, les philosophes Pierre Manent, Alain Badiou, Marcel Gauchet, et même le philosophe ministre Luc Ferry issus d’horizons fort différents, le libéralisme aronien pour le premier, le gauchisme maoïste pour le second, du courant incarné par Cornélius Castoriadis et Claude Lefort, la pensée kantienne pour le dernier, le politologue Pierre-André Taguieff un temps proche de Jean-Pierre Chevènement, pour ne prendre que quelques exemples ? Non, tant ces pensées n’ont pas les mêmes objectifs – et tant elles n’ont pas le même sérieux. En même temps, il est tout à fait licite d’essayer de saisir l’air du temps idéologique. Et, pour ce faire il faut bien prendre des risques – notamment celui de forcer certaines pensées.

La remise en cause de 68
Daniel Lindenberg en est d’ailleurs conscient : il n’existe pas admet-il « un mouvement structuré et conscient, avec ses manifestes, ses tribuns charismatiques, ses écoles et ses querelles d’école », mais il s’agit plutôt d’échos de « marteaux sans maîtres poussant leur petite musique sans crainte de la cacophonie ». Il ne faut donc pas s’arrêter sur quelques hauts cris. La thèse selon laquelle les fondements de la culture démocratique depuis 1968 dans notre société sont remis en cause mérite d’être prise en considération pour en mesurer la justesse.
Le constat d’abord. Il est vrai que nous connaissons depuis quelques années une critique systématique de la culture de gauche issue de 1968. Il y a là plus qu’un effet d’une génération qui se retourne contre les idées des pères. Cela tient certes – et c’est l’objet des analyses de l’auteur – à la résurgence de pensées conservatrices qui s’affirment en tant que telles dans notre société. La toile de fond est la domination du libéralisme dans les politiques mondiales depuis les années 1980. Mais ce qui est frappant cependant est que ce ne sont pas tant les idées économiques de la gauche qui sont en cause mais avant tout l’individualisme démocratique que des politologues ont appelé le « libéralisme culturel ». Le caractère notable vient de ce que cette critique relève désormais d’auteurs venant tout aussi bien de la droite (et bien sûr de l’extrême droite) mais aussi de la gauche dite républicaine et de l’extrême gauche. Il y a là un ressentiment culturel et social qui prend pour cible privilégiée les classes moyennes qui paraissent donner le ton à la société. La modernité qu’elles incarnent apparaît détestable à nombre des auteurs évoqués dans le livre. Mais derrière la critique de l’individualisme démocratique, ce sont aussi les fondements de la pensée égalitaire qui sont en cause et ce dans nombre de domaines de la société, l’école bien sûr, la culture et… la politique. Et cela Daniel Lindenberg le montre assez bien. On ne peut pas savoir si ces courants décideront ou non d’un changement de climat idéologique. Mais la question se pose, et Daniel Lindenberg a raison de provoquer un débat – même si, pour aller plus loin, dans la réflexion, il faut dénouer les fils d’un amalgame trop problématique.

Quels repères pour la société ?
Mais ce débat doit être prolongé par une autre question. L’affirmation de pensées conservatrices – qui retrouvent les chemins de courants idéologiques plus anciens - se nourrit aussi des incertitudes de la pensée démocratique aujourd’hui. Les changements profonds et rapides que connaît notre société appellent des réponses qui ne sont pas venues ou pas avec suffisamment de clarté. Il y a un besoin de points de repères et de règles dans de nombreuses catégories de la population – particulièrement les catégories populaires. La détermination de ce que doit et peut être l’autorité dans une société démocratique est désormais une question ouverte. Et poser ce problème ne peut être dénoncé comme un glissement “réactionnaire”. Ce sont les réponses qui comptent.
La modernité ne paraît pas non plus bien partagée. Les inégalités, qui ont tendance à s’accroître dans « une société de l’information et du savoir », risquent de faire des promesses de l’individualisme une source de déception. Bref, ce sont également les insuffisances de la pensée de gauche qui rendent compte des évolutions idéologiques actuelles. Il serait donc utile que « le rappel à l’ordre » de Daniel Lindenberg serve aussi comme un « rappel à penser »…
Alain Bergounioux
 

 
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