ACTUALITE
L'OURS
PUBLICATIONS
DEBATS DE L'OURS
LIVRES DIFFUSÉS
SEMINAIRE OURS
ARCHIVES BIBLIOTHEQUE
TEXTES, IMAGES, DOCUMENTS
L'OURS Signale (colloque,
LIENS UTILES
NOUS ECRIRE
 
Nous joindre
L'OURS 12 Cité Malesherbes 75009 Paris
Tél. 01 45 55 08 60
Pour être informé de nos activités (réunions, parutions, séminaires…), laissez nous un message électronique :
e-mail : info@lours.org
 
L'OFFICE UNIVERSITAIRE DE RECHERCHE SOCIALISTE
 
3 - Pistes de recherche
3- Pistes de recherche.
Plusieurs pistes de recherche s’ouvrent dans le cadre de la thèse, qui élargira à l’ensemble de la période d’entre-deux-guerres l’étude entamée dans le DEA. Cet élargissement est risqué, dans le sens où aucun corpus de sources n’est clairement induit par le sujet tel que je l’ai jusqu’à maintenant formulé. En effet, en cette matière, tout est archive, même si les archives sur le fonctionnement interne des cellules et du parti, les matériaux biographiques l’emportent en importance sur les sources plus strictement imprimées.
La principale des pistes ouvertes par ce travail de recherche est d’abord un réexamen théorique de la notion de totalitarisme, à travers cette notion encore expérimentale de « compression de la personnalité » mise en œuvre dans les derniers chapitres de notre DEA. Ce réexamen s’inscrit d’ailleurs dans une réflexion plus large sur la nature des mouvements totalitaires, c’est-à-dire sur les modes d’organisation et de conformation des militants à l’idéal révolutionnaire affiché de ces organisations, qui caractérisent le début du XXe siècle.
Dans le cas du communisme français, il s’agit, pour le coup, de comprendre les étapes et les causes de l’épuisement progressif de la dynamique totalitaire propre au Parti communiste français. Cette démarche a l’avantage d’une part, de restituer l’authenticité de la tentation totalitaire qui l’a habité, mais de prendre d’autre part en compte les mécanismes au fil desquels la République et la politique ont lentement digéré les velléités totalitaires et sécessionnistes du communisme français. Un mouvement totalitaire en démocratie est-il possible ? Selon quelles modalités se maintient-il, ou au contraire se délite-t-il ?
Plusieurs pistes nous paraissent pour l’heure intéressantes à emprunter. Il s’agira tout d’abord, de prolonger l’étude, avec la même méthode, des modes de conformation partisans des militants à l’idéal révolutionnaire communiste formulé par le bolchevisme, ce qui implique à terme de réévaluer le concept kriegélien de « greffe », et d’explorer la pertinence des intuitions de Stéphane Courtois sur la spécificité des méthodes communistes d’autocritique, telles qu’il les a formulées plusieurs fois dans Communisme, mais surtout dans son dernier ouvrage paru au Editions du Rocher sur les procès politiques modernes.
D’autres directions de recherche nous semblent intéressantes. L’une concerne la politique locale du Parti, rejetée par le parti comme bourgeoise à ses origines – nous avons dans le DEA des éléments qui le suggèrent –, puis qui reprend lentement ses droits, pour ancrer finalement le parti dans la politique française ; l’autre concerne la résolution de la question sociale en France, à l’écart de laquelle le PCF n’a pu se maintenir longtemps, et qui l’a contraint à abandonner progressivement son isolement. La troisième, sans doute la plus complexe, concerne les formes héritées du socialisme dans le communisme, et le rôle de la Première Guerre mondiale dans la genèse du communisme français.
Nicolas Roussellier, dans ses différentes contributions à l’ouvrage dirigé par Serge Berstein sur L’invention de la démocratie, est revenu en détail sur l’importance, dans la vie politique de la IIIe République, de l’enjeu politique local et de l’enjeu de la politique sociale. Ces deux éléments constituent la trame secrète de la digestion démocratique du sécessionnisme communiste en France.
A plusieurs reprises dans notre DEA, affleure l’idée que, dans ses premières années, le PCF avait, dans la foulée du rejet de la politique « bourgeoise » et de la « diplomatie secrète », intimé aux militants l’ordre d’abandonner les pratiques clientélaires qui liaient le parti socialiste ancien style à ses militants à l’échelon local. De fait, dès les premiers mois de 1921, ce sont les notables socialistes locaux et leurs cliques qui, dans les régions de vieille tradition socialiste comme le Nord, quitte précipitamment le parti, déçus dans leurs attentes par la propagande et l’attitude intransigeante du Parti à leur égard. La reconstitution difficile d’un maillage de notables rouges est un aspect important de la politique d’implantation du PCF, qui permet à la fois son ancrage dans le pays, et son ralliement/abandon à la politique républicaine ; dans ce cadre, le doriotisme, dont les origines sont marquées profondément par l’ascétisme révolutionnaire d’un Treint, pourrait être réévalué, comme émanation d’un communisme municipal et plébéien, établi sur la masse menée par quelques personnalités ascétiques et musclées. Comment l’ascétisme révolutionnaire parvient-il à se maintenir face à l’exercice quotidien, à son corps défendant, de la politique partisane et locale ?
Enfin, la question des formes héritées du socialisme français au cœur du communisme français occupe une place centrale dans l’économie générale de la problématique de notre thèse. Toujours il a fallu se départir de l’idée trop répandue que les courants divers du socialisme et du syndicalisme français, guesdiste, jaurésien, syndicaliste révolutionnaire, étaient formés d’un bloc et se livraient comme tels à l’historien, qui pouvait aisément en remonter les filières. Cette remontée des filières est rendue en fait doublement complexe d’une part, par le recours nécessaire aux biographies militantes dont la portée explicative est souvent réduite par l’irréductible individualité des parcours, et d’autre part, par la rupture du continuum historique que constitue la Première Guerre mondiale. Le socialisme français de ce point de vue en souffre doublement : l’hébétude dans laquelle il est plongé dans les semaines et les mois qui suivent août 1914 entame secrètement les certitudes de l’identité socialiste et les fondements de l’unité partisane qui se fendille dès l’année 1915 ; l’abattement dissipé, le socialisme français est confronté à l’éreintement appliqué de ses traditions et de ses pratiques décisivement ébranlées par le ralliement à l’Union sacrée. Or c’est précisément dans ces vides que la culture de guerre héritée de 1914 se love, et inspire au premier communisme français un parti-pris de violence dont jamais il ne s’est départi. C’est donc confronter de front la thèse d’Annette Becker et Stéphane Audouin-Rouzeau sur la brutalisation des sociétés européennes à l’issue de la Grande Guerre. Là encore, notre DEA offre quelques éléments de réponse, en particulier à travers l’étude du parcours de Treint, mais aussi dans la restitution des débats autour de la violence nécessaire du parti dans la conquête de la rue ou du pouvoir. L’argument de la substitution de pratiques de guerre à de saines pratiques de paix éreintées par le grand massacre est cependant insuffisant pour restituer la réalité des ancrages du premier communisme français. La guerre en effet accentue des penchants, ravive des pratiques et des traditions propres au socialisme français, et suscite de puissantes attentes proto-révolutionnaires que seule une sortie épique de la guerre semble dès 1915-1916 apte à combler. Ce sont ces dispositions et ces attentes que la révolution bolchevique de 1917 promettait chimériquement de satisfaire.
Romain Ducoulombier
 

 
© L'OURS - 12 cité Malesherbes 75009 Paris