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L'OFFICE UNIVERSITAIRE DE RECHERCHE SOCIALISTE
 
Guy Bordes : Noblesse du roman social
Les lettres de noblesse du roman social
par GUY BORDES

à propos de SOPHIE BEROUD, TAMIA REGIN (dir.)
Le Roman social
Littérature, histoire et mouvement ouvrier

Éditions de l’Atelier Éditions ouvrières 2002 297 p 19 €

Ce livre est le résultat d’un travail de longue haleine, sorte de colloque qui a duré deux ans et a convoqué un nombre impressionnant d’universitaires et d’écrivains, organisé par l’Institut d’histoire sociale de la CGT*.

Une remarque préliminaire s’impose. L’esprit d’ouverture dont témoignent l’éventail des personnes consultées et la variété des sujets traités offre de la CGT l’image réconfortante d’une organisation enfin dégagée du carcan idéologique stalinien. Mais cette agréable constatation se nuance d’une teinte de regret à l’idée que cet intérêt pour la littérature issue du mouvement ouvrier ou inspirée par lui se manifeste au moment où n’existent plus, à quelques exceptions près, ni classe ni culture ouvrières au sens traditionnel du terme. La quatrième partie du livre intitulée significativement : " De 1968 à nos jours, une société éclatée, des représentations fragmentaires " en fait un constat plutôt mélancolique, à l’époque, il est vrai, où, toutes classes confondues, les gogos téléphiles assouvissent leur soif de représentation et leurs aspirations au sublime en absorbant, ignares et décervelés, leur dose quotidienne de Loft story.

Une approche chronologique
Les vingt contributions de cette riche somme de réflexions suivent l’ordre chronologique. Elles commencent au dernier quart du XIXe siècle avec l’émergence sociologique et culturelle d’une classe ouvrière que son autonomie idéologique permet d’identifier dans sa masse. En même temps, son importance numérique et son rôle économique interdisent d’en ignorer l’influence. Elle se poursuit avec les débats et les productions littéraires de l’entre-deux-guerres, période la plus riche et la plus intéressante à notre avis, quand l’École prolétarienne d’Henry Poulaille polémique avec les tenants du réalisme socialiste, alors que les foules du Front populaire font irruption dans la fiction littéraire et que la condition ouvrière passe du statut d’objet à celui de sujet dans la production romanesque. Viennent ensuite, après la Seconde Guerre mondiale, ces années où la littérature engagée sur le modèle sartrien se débat dans d’insurmontables contradictions entre propagande et qualité artistique pendant que triomphe dans les secteurs dominés par les communistes le bétonnage esthétique du réalisme socialiste (ce n’est pas à cette époque que la CGT aurait pu publier un ouvrage semblable à celui-ci !). Enfin, la dernière période qui va de 1968 à nos jours voit, en même temps que s’accélère le déclin de la classe ouvrière industrielle, les représentations du monde du travail et des humbles s’émietter et se dissoudre dans la coexistence d’une littérature de témoignage récurrente avec des productions de critique sociale, pour finalement se réfugier dans les derniers avatars du roman policier lequel, de littérature de délassement, véritable opium du peuple, se transmue en âpre contestation de la société contemporaine.
On peut dire de cet ouvrage qu’il apporte une contribution majeure à l’étude du phénomène culturel de grande ampleur que fut le roman social dont la croissance et le déclin suivirent la courbe du développement de la grande industrie, depuis le Second Empire jusqu’aux années Mitterrand. Il faut dire aussi qu’un tel survol courait le risque d’être lacunaire, et sans doute faut-il regretter le volume en creux auquel les remerciements liminaires font allusion et dont la parution paraît bien aléatoire. Le parti pris d’intégrer tous les aspects de la production romanesque inspirée par les conditions de vie et de travail de la classe ouvrière, ou plus simplement par la reconnaissance de son existence, condamnait les auteurs malgré le nombre important des contributions à un choix forcément réducteur, et contestable. Claire Etcherelli et Dorothée Letessier ne sont mentionnées que dans les pages d’introduction aux troisième et quatrième parties. Ces œuvres qui témoignent d’une expérience qui dépasse la coupure un peu artificielle de 1968 (bornage obligé, semble-t-il, pour toute réflexion sur l’évolution de la société française), auraient mérité une communication à part entière. Cela aurait permis, dans le domaine de l’écriture féminine, de donner un pendant fin de siècle à la réflexion ouverte en début de volume sur Marguerite Audoux. Il en va de même pour Robert Piccamiglio (1) : l’analyse de son œuvre aurait opportunément illustré le chapitre sur l’entreprise moderne. Et que dire de l’absence totale de René-Victor Pilhes dont L’Imprécateur (2) a marqué dans les années 70 la magistrale entrée de l’entreprise multinationale dans la littérature de critique sociale ?
On est donc à la fois comblé de voir, par exemple, une juste place consacrée à Henry Poulaille et Constant Malva loin des polémiques partisanes qui ont faussé l’approche de leur œuvre, ou de constater la reconnaissance d’André Maurois comme romancier social, et déçu de l’absence, que ne semble pas justifier un souci d’éviter la redondance, de ces écrivains qui ont apporté dans ce domaine une vision vraiment originale. En revanche, l’article consacré au roman anticolonialiste de Pierre Sémard, pour touchant qu’il soit, donne trop d’importance à un écrit somme toute marginal (mais ne peut-on voir là un reste de convergence et/ou de complicité idéologique ?), et celui sur Barthes, Sartre et consorts n’apporte strictement rien de plus que ce que tout le monde connaît déjà.

Dire la classe ouvrière
Meilleur choix était donc possible. Mais ne boudons pas notre satisfaction. Que cette compilation d’articles bien documentée (importante bibliographie, notes abondantes, mais absence d’index !) soit le fait d’une initiative syndicale, ce qui espérons-le lui assurera une diffusion populaire étendue, qu’elle constitue à la fois une étude intelligente et une reconnaissance – même tardive – d’un pan entier de la culture populaire ne peut que réjouir ceux pour qui la valeur de ces écrits a toujours été une évidence. Car en dernière analyse, de quoi s’agit-il ? Tout simplement de justice. De rendre justice à ceux qui, d’Émile Zola magnifiant les mineurs de Germinal aux ouvrières licenciées en 1998 par Levi’s qui ont rédigé Les Mains bleues, ont dit la classe ouvrière, ont forgé dans la diversité des esthétiques et des opinions sa culture propre, ont été les artisans de sa dignité et de sa grandeur. Pour nombre d’auteurs et de militants, l’émancipation de la classe ouvrière ne passait pas seulement par l’accès à l’instruction publique, gratuite, et obligatoire que lui avait octroyé la république bourgeoise. Au-delà de ce minimum vital culturel, elle était inéluctablement conditionnée par la prise de conscience de son identité culturelle. Le roman social en a été un élément, majeur. Les auteurs de ce livre contribuent à en préserver la mémoire, et à en sauvegarder l’avenir. Car, pour paraphraser quelqu’un, l’extension du domaine de la lutte est, qui sait ?, peut-être pour demain. Que les universitaires, qui ont superbement ignoré – pour ne pas dire méprisé – la littérature du peuple au moment où elle s’écrivait et se lisait participent à ce renouveau, c’est, autant qu’une ironie de l’histoire, un motif de réconfort.
Guy Bordes
* Les travaux non publiés ici pourraient faire l’objet d’un second volume.
(1) Cf. L’OURS n° 295, février 2000.
(2) L’OURS n° 54, novembre 1974) ne l’avait pas raté !
(3) Les Mains bleues (501 blues), Éditions Sansonnet, 2001, ouvrage collectif.
 

 
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