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L'OFFICE UNIVERSITAIRE DE RECHERCHE SOCIALISTE
 
Document paru dans Recherche socialiste 46-47
Militer au Parti socialiste en 1912
Le parti et le militant idéal selon L’Encyclopédie socialiste


En contrepoint du dossier de ce numéro consacré aux transformations de militantisme socialiste, nous publions de larges extraits du chapitre XX (« Quelle doit être la vie du parti ») du volume intitulé Le Parti socialiste en France de L’Encyclopédie socialiste, syndicale et coopérative de L’internationale ouvrière1 publié sous la direction de Compère-Morel et de Jean-Lorris entre 1912 et 1921 chez Aristide Quillet. Ce volume, confié à Paul Louis et paru en 1912, contient une première partie historique, et décrit ensuite le mode de fonctionnement interne du Parti, de ses groupes et sections, et dans les assemblées.


Chapitre XX
Quelle doit être la vie du parti [extraits]


[…] Il faut que le groupe, une fois créé par quelques militants pleins de conviction ardente (ils sont d’ordinaire trois ou quatre), s’assure un recrutement normal, et se dote d’une activité progressivement accrue. Lorsqu’il a franchi les premières difficultés, c’est-à-dire attiré à son siège des adhérents, quelques unités ou quelques dizaines d’unités, il n’est pas encore sûr de subsister, c’est-à-dire de résister aux circonstances fâcheuses qui fondront sur lui. Il luttera et réagira d’abord contre l’individualisme excessif de certains membres, qui peuvent nourrir les meilleures intentions, mais qui détestent la loi commune et qui s’ingénient, quelquefois par simple bravade ou par originalité de tempérament, à tourner ou à violer la volonté collective ; il coupera court aux divisions intestines, aux divergences de vues qui naissent entre les personnes et qui, en se développant, compromettraient sa stabilité et sa vitalité. Il conjurera les déviations possibles et frappera sans précipitation, mais aussi sans hésitation, ceux qui favoriseraient des intrigues et des compromissions, en trahissant la doctrine du socialisme ou en désertant sa tactique éprouvée. De même qu’un être humain, dans une société de déchirements, de guet-apens, et de haines, le groupe se trouve obligé de défendre sa vie contre mille embûches. Il lui sera malaisé de se renforcer et non moins malaisé d’écarter tous les périls de mort.

VI. - Le devoir du militant
On n’a presque rien fait encore, lorsqu’on a réuni quelques citoyens conscients de leur devoir de classe et résolus à la lutte sociale, et qu’on leur a suggéré 1’acceptation de statuts mûrement délibérés. Il importe que l’action du groupe soit réfléchie, conduite avec méthode et surtout qu’elle se manifeste en permanence. Les membres, s’ils ont un réel souci du but qu’ils se sont assignés, s’attacheront à s’instruire. Les militants français – le fait a été remarqué et la critique semble exacte – sont souvent moins sérieusement éduqués que les militants allemands. Ils ne lisent point assez ou ne se pénètrent pas suffisamment de tous les détails de la doctrine. Un socialiste n’a pas accompli tout son devoir vis-à-vis de lui-même et vis-à-vis de son Parti, autrement dit vis-à-vis du prolétariat, lorsqu’il a appris, enfoncé dans sa mémoire quelques expressions, dont il ne perçoit pas toujours clairement le sens. Les mots ne sont rien : les idées sont tout. Tel discours de réunion fera de l’effet sur le moment et suscitera des applaudissements. Mais, en réalité, il n’aura inculqué aucune notion nouvelle à ceux qui l’auront entendu. Comme tout membre d’un groupe peut et doit être appelé à un moment quelconque, à coopérer à la propagande, il convient qu’il approfondisse les thèses essentielles du socialisme. Sans doute, les militants, obligés de travailler de leurs mains durant la journée pour se nourrir et nourrir leur famille, n’ont que rarement assez de loisir pour s’approprier tous les détails de l’évolution économique, pour analyser dans ses derniers recoins la pensée d’un Marx ; mais un socialiste conscient fera une place aussi large que possible à la vie intellectuelle ; il s’instruira par les moyens qu’il aura à sa portée, et qui sont plus copieux dans les grands centres que dans les petites villes, et dans celles-ci que dans les communes rurales, sur l’histoire de son pays, sur l’histoire économique d’abord, qui est primordiale. Il cherchera à illustrer, par l’examen des faits quotidiens, les théories générales et abstraites qu’ont formulées les grands penseurs du socialisme ; il s’enquerra de tous les événements qui se succèdent dans le monde, en se disant que rien de ce qui intéresse l’humanité ne doit lui rester étranger.

Tâche lourde et rebutante, au début, pour des hommes qui peinent de longues heures dans l’atelier ; tâche bientôt attirante et joyeusement remplie, parce qu’elle élève ces hommes au-dessus d’eux-mêmes, et qu’en s’assimilant peu à peu des matières nouvelles, ils brisent le cercle étroit de l’horizon local, et rejoignent par la pensée les millions d’êtres qui se courbent, comme eux, sur la besogne ingrate et qui, comme eux, aspirent à l’affranchissement.

VII. – L’émulation dans le groupe
Cet effort mental si nécessaire, et en dehors duquel le socialisme demeure réduit à une œuvre médiocre, c’est le groupe qui le stimulera, qui le provoquera, qui le dirigera. Ce groupe est un premier laboratoire d’échanges intellectuels, s’il apparaît aussi comme un foyer d’action et de conquête.

Comme il entend assurer sa vie, il s’appliquera à inscrire à son ordre du jour les divers problèmes qui sollicitent l’attention des socialistes. C’est dans les réunions éducatives qu’il organisera, et où chacun apportera à la collectivité son bagage d’idées et de connaissances, qu’il préparera les armes dont les militants useront ensuite pour la controverse et pour la bataille extérieure. On n’a rien fait lorsqu’on a ressassé certaines formules. Toutes doivent correspondre, dans le cerveau de ceux qui les répandent et les justifient, à des idées arrêtées. Il ne suffit pas de dire que les luttes de classes forment le fond de l’histoire et que la lutte de classes est le principe même de l’action socialiste. Qu’entend-on par classes ? En quoi la classe se différencie-t-elle de l’ordre, tel que le concevait l’ancien régime ? Cette lutte de classes est-elle une invention, une fiction du socialisme, comme le prétendent nos adversaires qui nous accusent d’élaborer des guerres civiles pour notre usage, ou nous bornons-nous à la constater, à l’enregistrer, à établir qu’elle est issue fatalement de l’évolution économique et qu’elle ne disparaîtra qu’avec la structure capitaliste ? Voilà un point, entre beaucoup d’autres, sur lequel les membres d’un groupe échangeront utilement des vues, et pratiqueront, si l’on peut dire, une réciprocité d’enseignements.

Trop de cotisants ignorent la signification exacte même des affirmations générales sur lesquelles reposent les statuts des Partis assemblés dans l’Internationale. Que doit-on comprendre par conquête des pouvoirs publics ? Par socialisation des moyens de production et d’échange ? Le rôle du groupe est de faire toucher du doigt aux nouveaux affiliés la valeur de ces déclarations, de dissiper les obscurités dont s’enveloppent nécessairement des termes abstraits, d’opposer le mécanisme général de la société, telle que nous l’imaginons dans l’avenir, à la société telle qu’elle pèse sur nous. Un groupe devient ainsi une petite école primaire du socialisme. Et qu’on ne dise point que cette besogne d’entraînement intellectuel, qui doit être poursuivie avec méthode et reprise de temps à autre pour les derniers inscrits, détourne la petite organisation locale d’une œuvre plus positive. Il n’est pas d’œuvre plus positive. Les hommes, les femmes, les adolescents qui répondent à l’appel du Parti, veulent autre chose que la viande creuse des formules apprises. Du moment qu’ils ont déjà assez libéré leur esprit pour venir dans nos rangs, ils aspirent à plus de lumière, ils souhaitent savoir quel est le programme, au vrai, du socialisme dont ils approuvaient déjà confusément les tendances, mais dont ils ne saisissent point toutes les données. Cette mise en commun des notions acquises, cette analyse scientifique des doctrines, à laquelle les militants plus instruits doivent procéder devant les citoyens moins riches de loisirs et de livres, donnent aux séances, un intérêt, un attrait supérieurs. Il n’est point d’exemple que ces recherches collectives aient rebuté des esprits sérieux, et il faut supposer que les travailleurs, en adhérant au Parti, accomplissaient un acte sérieux et mûri. Au contraire, et c’est là une expérience de fait, un groupe retiendra d’autant mieux ses membres et les rassemblera d’autant plus régulièrement à ses séances, qu’il rendra ses discussions plus fécondes et qu’il s’attachera plus soigneusement à l’entreprise d’éducation.

Tous les membres du groupe s’emploieront à cette entreprise dans la mesure de leurs forces. Il ne faut pas que ce soient toujours les mêmes qui parlent et les mêmes qui écoutent. Si certains sont plus qualifiés pour développer les théories générales et analyser les systèmes, tous peuvent et doivent trouver dans la politique quotidienne, des exemples à citer, des anecdotes qui viendront illustrer telle ou telle affirmation doctrinale et prêter matière à développement nouveau.

Au bout de quelques mois, le groupe qui aura formé de la sorte l’instruction de ses adhérents, qui se sera approprié l’essence même du socialisme, aura préparé d’excellentes semences. Ce qui manque le plus souvent, ce ne sont point les bonnes volontés, ce sont les propagandistes de valeur, que ne déconcerte point une interruption de l’adversaire, qui ayant réfléchi sur le programme du Parti, ne sont surpris par aucune des objections courantes, et qui possèdent un arsenal d’arguments suffisant pour porter la conviction dans les cerveaux encore rebelles. Lorsque cette petite phalange de lutteurs sera créée, le rayonnement, quelles que soient les difficultés du milieu, s’accomplira de lui-même.

Encore convient-il que ceux qui ont assumé le mandat de faire vivre le groupe s’acquittent exactement de leur mission. Et ici apparaît le rôle des organes de la petite collectivité, et en particulier du secrétaire et du trésorier.

VIII. Direction et administration du groupe
On a souvent dit : tant vaut le secrétaire, tant vaudra le groupe. Il y a quelque exagération dans ces mots, car le groupe a toujours licence de changer le secrétaire, s’il se montre insuffisamment diligent ; mais il est certain qu’un mauvais secrétaire est un péril grave et qu’un bon secrétaire, l’oiseau rare en quelques contrées, peut exercer une puissante et féconde influence.

À ce fonctionnaire, qui a charge de convoquer les adhérents, de préparer l’ordre du jour, de veiller à la réussite des démonstrations extérieures, les qualités d’ordre pratique sont indispensables. Il lui faut de la méthode, de l’activité, le souci très vif de faire toutes choses en leur temps et sans le moindre retard. Il dépend de lui, dans la plus large mesure, que le groupe prospère ou que le groupe périclite.

Que s’il néglige, en effet, de lancer les convocations à l’heure dite ou de se procurer la salle de réunion, les membres se lasseront bientôt. Ils viendront plus rarement à des assemblées, qui se tiennent dans de fâcheuses conditions, l’effectif se dispersera ; toute ardeur fléchira. Que si, au contraire, le secrétaire s’attache à épargner à ses camarades, tous les petits ennuis matériels qui peuvent gêner un labeur suivi et régulier, ils prendront si bien l’habitude de se rencontrer à jour fixe, que cette habitude leur deviendra un besoin. Dans tout groupe, il est, au demeurant, des adhérents plus actifs, plus assidus que d’autres. Le petit noyau d’hommes qui disposent de loisirs plus certains, ou qui apportent, plus de dévouement à la propagande, feront tous leurs efforts pour insuffler aux autres l’ardeur qui les anime.

À la préparation de l’ordre du jour est subordonnée, pour une grande part, le succès des réunions. Et c’est le rôle du secrétaire de porter, à cet ordre du jour, outre les conférences éducatives dont le sujet a été arrêté à l’avance, outre les débats d’administration intérieure qui s’imposent par intervalles, les questions d’actualité immédiate, qui passionnent plus naturellement la masse des militants. À cet égard, une réelle liberté d’initiative doit lui être concédée.

Mais il ne suffit pas que le groupe discute et prenne des décisions. Il importe, pour son prestige et son accroissement mêmes, que ces décisions soient connues au-dehors. Le secrétaire assurera cette publicité en envoyant, aux journaux du Parti, le texte des motions votées ou en usant de tout autre moyen autorisé. Le groupe ne se réunit pas seulement pour éclairer ses membres et leur permettre d’échanger leurs vues, il est un organe de propagande et d’action et ni cette propagande, ni cette action ne s’exerceront efficacement, s’il délibère toujours en secret, s’il ne tâche pas, en toute occasion, de signaler son existence aux travailleurs de la localité.
[…].

X. - La discipline dans le Parti
C’est à une discipline librement consentie que s’assouplissent les adhérents d’un groupe. Chacun d’eux a le droit de défendre, dans les réunions, et par les arguments qui lui conviennent et qui lui paraissent les plus persuasifs, ses vues propres. La liberté de discussion est entière, et il n’est aucun point de la doctrine, aucune mesure de la traditionnelle tactique qui ne puissent être étreints par la controverse. Le Parti socialiste n’a pas de dogme ; il est au suprême degré évolutionniste et réaliste, c’est-à-dire que si à un moment quelconque les données qu’il considère comme scientifiquement prouvées étaient convaincues d’erreur, il les abandonnerait ou les corrigerait. Il ressemblerait à une Église, s’il s’interdisait de soumettre à une critique continuelle les assertions qui lui semblent les plus solides, et il n’est point une Église figée dans la contemplation d’une hiérarchie. Il procède par raisonnement et non par acte de foi. Tout individu est qualifié pour prendre la parole et opposer ses conceptions à celles qui ont prévalu même de longue date. Ce qui prouve au surplus que la pensée du socialisme n’est nullement arrêtée à jamais, c’est qu’elle cherche toujours à s’enrichir, à se développer, à se préciser et que les congrès nationaux et internationaux reportent sans cesse les mêmes questions sur chantier, en utilisant les documents nouveaux qui peuvent être mis en lumière.

La discipline ne consiste donc pas en la profession aveugle d’un système dogmatique, et chacun peut collaborer à la refonte de la série d’idées, de la nomenclature d’affirmations qui forment la théorie du socialisme. La discipline consiste dans l’obéissance provisoire en quelque sorte aux décisions adoptées par la majorité. Elle a sa valeur dans le groupe, comme dans l’ensemble du Parti. Ces décisions peuvent et doivent d’autant mieux être obéies, que d’une part, elles sont sujettes à rectification et que, de l’autre, elles ne sont pas inspirées d’en haut par une oligarchie plus on moins tyrannique ; elles sont l’expression exacte de la volonté collective, le résultat du libre choix d’une masse d’hommes, où chacun est strictement l’égal de son voisin. C’est pourquoi il serait puéril de nous attarder plus longtemps à réfuter les accusations ironiques de nos adversaires.

Si la discipline, telle que nous la définissons, n’existait pas, on se demande comment resterait possible une action commune. Dans tout groupement humain, l’individu doit, en principe, subordonner ses manifestations personnelles aux préférences de la majorité. Cette règle comporte à coup sûr des exceptions, et la personnalité ne saurait accepter certaines violations de son libre-arbitre ou de sa dignité, violations qui entraîneraient une diminution pour le groupement lui-même, mais ces exceptions sont rares et ne peuvent se déterminer par avance. Lorsque les deux tiers ou les trois cinquièmes des ouvriers affiliés à un syndicat ont voté la grève, tous les syndiqués doivent chômer ; ceux qui se soustrairaient directement à cette prescription apparaîtraient comme autant de traîtres. Il en va de même dans le groupe socialiste, ou dans la section, pour des décisions d’un autre ordre.

Les congrès du Parti ayant déclaré, d’accord avec l’Internationale, que la lutte de classe est à la base de l’action socialiste, tout membre qui contesterait la réalité de cet antagonisme des classes, serait un transfuge de la cause socialiste. Si la liberté lui était laissée de soutenir à cet égard la thèse bourgeoise de la fusion ou de la conciliation des catégories sociales, on aurait ce singulier spectacle de socialistes venant briser de leurs propres mains les armes intellectuelles du prolétariat. Il suffit d’évoquer cet exemple pour démontrer l’absurdité de la thèse de la liberté absolue qui exclut en soi tout mouvement, toute offensive de la masse.
Lorsque le groupe – pour passer à un cas d’ordre pratique – a choisi un candidat, et résolu de l’opposer aux candidats conservateurs et radicaux, tous les membres sont tenus de soutenir le militant indiqué. Ils manqueraient aux engagements qu’ils ont pris s’ils s’abstenaient de voter en sa faveur mais il ne suffit pas qu’ils lui donnent leurs bulletins, il faut qu’ils s’emploient de toutes les façons à assurer la propagande, à recruter de nouveaux adhérents, à servir le Parti. Même s’ils ne sont pas intimement convaincus de la toute puissance de l’action électorale et s’ils discutent – je ne dis pas sur le principe, mais sur l’étendue de la valeur de cette action –, ils se rendront aux conférences, aux réunions de toute espèce ; ils contribueront à y maintenir l’ordre contre les adversaires de classe, pour que la parole socialiste puisse se faire entendre sans lisières, et que la propagande ne soit pas étouffée.

Cette discipline n’a rien de pénible, ni d’oppressif. L’homme, qui adhère à un groupe, fait forcément le sacrifice de sa fantaisie. S’il abandonne une parcelle de sa personnalité, il accroît en échange et de beaucoup cette personnalité, en s’instruisant par le contact d’autrui et en joignant ses efforts à ceux de ses camarades de combat. Il n’est pas vrai que l’individu soit d’autant plus vigoureux qu’il est plus isolé. Le syndicalisme contemporain, après le socialisme, a fait table rase des doctrines individualistes extrêmes, qui organisent l’asservissement des foules ouvrières, en affranchissant le capitalisme et l’État qui le représente, de toute crainte de résistance ou d’attaque.

Au surplus, c’est sans brutalité qu’il sied de faire prévaloir la discipline. Dans tout groupe, à côté des jeunes membres récemment admis, il y a d’anciens militants. C’est à ceux-ci qu’incombe le soin, en usant de la modération, du tact qui se concilie fort bien avec la fermeté, de rappeler à l’ordre ceux qui risqueraient de s’égarer. Rien n’est plus nécessaire que la cohésion entre travailleurs qui se réunissent pour s’instruire et pour poursuivre la lutte en commun. L’indiscipline rompt cette cohésion, et comme telle, elle mérite d’être arrêtée, réfrénée à temps, mais les sanctions trop sévères et trop soudaines peuvent, elles aussi, compromettre la stabilité et l’union. Tout ce qui froisse la dignité individuelle sera écarté avec soin. Dans la plupart des cas, une parole heureusement placée, une évocation motivée des principes du Parti suffira, au moins à l’égard de membres bien intentionnés, pour conjurer une déviation. Beaucoup de fautes sont accidentelles, et ceux qui les commettent les regrettent, dès qu’on leur signale leur tort. On se gardera de transformer en révolte ouverte contre l’organisation tout entière ce qui sera une omission, une négligence, une peccadille.

XI. - Contre les divisions
Le groupe évitera surtout que des froissements, des querelles ne s’élèvent entre ses membres. Rien n’est plus dangereux que ces divisions intérieures, dont la gravité, au lieu de s’atténuer avec les jours, va d’ordinaire grandissant. Des clans se créent, des fractions surgissent. L’intérêt général est relégué au second plan, ou mieux l’on n’y pense plus. Tous les membres finissent par prendre parti ; ceux mêmes qui, au début hochaient la tête en disant : « ce sont là débats ridicules et indignes d’hommes qui pensent et qui s’adonnent à une œuvre d’affranchissement », sont entraînés à se classer par la force des choses. Ou bien alors, ils délaissent les réunions, qui n’offrent plus l’aliment requis par leur intelligence, et qui se clôturent par des échanges d’invectives. Les nouveaux venus, qu’attiraient l’espoir d’une éducation sociale plus soutenue, la promesse de discussions élevées et désintéressées, ne tardent pas à se retirer irrités, déçus, découragés par le triste spectacle qu’ils ont sous leurs yeux. Chacune des fractions s’ingénie à obtenir, par quelque moyen que ce soit, l’avantage sur la fraction adverse. On en viendra aux pires stratagèmes.

Les salles se vident ; les détracteurs du socialisme s’emparent des litiges, qui se sont produits, pour les envenimer, pour discréditer le Parti, pour le présenter comme un ramassis d’hommes cupides, soucieux uniquement de leurs ambitions, de leurs convoitises, de leurs haines, et il arrive que par la faute de quelques-uns qui ne sont pas plus mauvais que d’autres, mais qui ne savent pas maîtriser leurs sentiments, toute la propagande déjà faite est brusquement, brutalement anéantie. Ils ne se doutent pas du tort qu’ils portent à une cause qui leur était pourtant chère ; et lorsqu’ils s’aperçoivent du dommage moral causé, il est trop tard pour réagir. Il faudra de longs mois, des années même pour réparer le mal, en admettant qu’il apparaisse réparable.

Lorsqu’on reprend l’histoire de la classe ouvrière de France à travers ses diverses formations de combat, on se rend compte qu’à maintes reprises, elle a été victime déjà de ces divisions savamment entretenues et stimulées. Que de syndicats ont dû se dissoudre au lendemain d’une ère de recrutement et de prospérité, parce que des difficultés minimes d’abord, et peu à peu grossies par la maladresse ou par la malveillance, surgissaient, encombraient les ordres du jour, accaparaient tout le temps disponible ! Que de militants sérieux, convaincus, prêts à sacrifier leur vie à l’idéal socialiste, se sont résignés à la retraite, condamnés à l’isolement, parce qu’ils ne voulaient point être mêlés à des polémiques, dont s’indignait leur mentalité !
Le plus simple, lorsque naît une querelle entre deux ou plusieurs membres, ou entre des membres et le groupe, est de la liquider au plus tôt. Les statuts sont assez explicites à ce sujet pour qu’on y trouve tous les moyens de règlement nécessaires. La méthode d’ajournement, de temporisation est la plus fâcheuse en la circonstance. De même qu’en présence de certaines affections morbides qui s’attaquent au corps humain, l’intervention immédiate du chirurgien s’impose sans conteste, et constitue l’unique mode de salut, de même devant les luttes intestines, devant les schismes naissants, il n’y a point un instant à perdre. L’arbitrage, qui sera établi sans retard, évitera de graves déchirements ; il conjurera des dislocations de forces qui ruineront une besogne laborieusement conduite.
[…]

La vie extérieure du Parti est étroitement subordonnée à sa vie intérieure ; elle en exprime les vicissitudes, les progrès et les déclins.
 

 
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