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L'OFFICE UNIVERSITAIRE DE RECHERCHE SOCIALISTE
 
Paul Ramadier/1905
En Rouergue et Languedoc :
L’unité socialiste et sa réalisation progressive

par PAUL RAMADIER, ancien président du Conseil des ministres

J’étais bien jeune quand l’unité s’est faite et mes souvenirs sur elle n’ont pas grand intérêt. J’avais seize ans et nous venions, entre lycéens et normaliens, de créer la Jeunesse socialiste de Rodez ; nous lisions ensemble les publications qui nous tombaient sous la main ; mais je vous garantis qu’à cette époque, la littérature socialiste n’était pas très répandue à Rodez et que nous avions bien du mal pour acquérir quelques idées. Les discussions éperdues qui suivaient n’aboutissaient pas toujours à les rendre claires.
Bien qu’il n’y eût qu’une Jeunesse socialiste, nous avions décidé d’adhérer, chacun suivant notre préférence, au Parti socialiste français, ou au Parti socialiste de France. Je n’oserais pas soutenir que ces préférences reposaient sur une connaissance critique des doctrines. Le Parti socialiste français avait pour lui le nom éclatant de Jaurès et son rôle à la tête du Bloc. En 1904, on était en pleine lutte, et quelle lutte ! On expulsait les congrégations, on laïcisait les écoles et, dans ce vieux pays clérical du Rouergue, c’étaient sans cesse manifestations, processions, une lutte acharnée contre les " socialistes " qui tenaient le gouvernement et voulaient chasser les sœurs des écoles. La bataille était partout, en classe, dans la rue, dans les familles, et notre élan, se renouvelait sans cesse par le fanatisme des, cléricaux qui boycottaient les boutiquiers républicains, refusaient des vivres aux instituteurs ruraux ou tendaient des guet-apens aux inspecteurs, primaires.
Le Parti socialiste de France n’avait attiré qu’une petite minorité, dont je ne saurais dire les raisons avec certitude. Certains, tout au moins, trouvaient une satisfaction romantique à se draper dans l’intransigeance.
Quelques abus reprochés aux élus radicaux, le déplacement d’un directeur d’école qui avait été candidat contre le député et provoque un ballottage, donnaient un aliment à leurs critiques. À mesure que nous avancions dans notre courte expérience et que nous lisions quelques brochures, quelques livres, certains étaient séduits par Jules Guesde, d’autres par le syndicalisme naissant où des Rouergats, Emile Pouget, Niel, jouaient un rôle important ; nos imaginations s’exaltaient aux souvenirs de la Commune, de Blanqui ; quelques lycéens, qui venaient de passer le bachot de philosophie, s’aventuraient jusqu’à Marx et Georges Sorel, et prenaient un air fort entendu, sans donner sur ces doctrines ésotériques des explications bien claires.
A l’automne, l’unité socialiste était. décidée et, l’année suivante, elle se réalisait. Nous avions le sentiment qu’une grande force se constituait et que, demain, elle pourrait se manifester. Mais, pour le jour même, nous n’étions pas sans inquiétude. Nos amis du PSdF voyaient sombrer dans une unité un peu incolore leurs rêves romantiques que symbolisait à nos yeux la citoyenne Sorgue, Ruthénoise pur sang, qui, entre deux voyages lointains, revenait se reposer à sa propriété d’Arsac et nous rassemblait pour nous narrer des anecdotes, nous raconter les grèves ou les émeutes auxquelles elle venait de prendre part. Les autres, les " blocards ", se demandaient ce qu’allait devenir la grande majorité républicaine qui nous semblait condamnée après avoir été séparée de Jaurès. Nous ne nous rendions pas compte qu’elle était déjà bien malade et qu’elle avait à peu près épuisé sa force depuis 1898.
Vaille que vaille, nous entrâmes dans le Parti unifié. C’était pour nous de faible portée, car si nous nous étions divisés pour prendre les cartes, notre groupe de jeunesse était resté unique. Mais nous attendions avec quelque inquiétude ce que ferait le Parti. L’unité était faite sur le papier. Se ferait-elle dans les cœurs ?
En 1905, étudiant à Toulouse, j’entrai à la Jeunesse socialiste qui venait de se créer, et qui devait au privilège de l’âge de n’être inféodée à aucun des anciens partis. Le " syndicalisme révolutionnaire " y était bien porté. Nous fréquentions la Bourse du Travail, le père Bousquet, Marty Rolland. Cela nous entraînait vers les blanquistes, qui se réunissaient encore sous les arcades du Capitole. Les guesdistes formaient un cercle assez fermé, austère, qui n’attirait pas beaucoup notre imagination. Nous commencions bien à trouver les jauressistes un peu prosaïques. Mais ils nous séduisaient tout de même, souriants et avenants. Ellen-Prévot, Aucouturier, et, de temps en temps, nous donnaient quelques leçons affectueuses que nous avions bien méritées.
En réalité, sous une bannière unique, il y avait trois ou quatre partis différents, qui conservaient leur force, leur courant séparé, leurs décisions indépendantes. Ces groupes négociaient entre eux et sous l’arbitrage de Bedouce, finissaient en général par s’entendre sur les décisions essentielles. Mais la pénétration était lente et la méfiance réciproque.
Il n’en était pas seulement ainsi à Toulouse, mais dans toute la France. L’unité s’était faite sans cordialité, comme une opération politique nécessaire, mais désagréable. On s’épiait, on se soupçonnait, on se méprisait même un peu.
Chacun, bien entendu, conservait ses conceptions et les défendait avec une violence incroyable dans toutes les réunions, dans tous les congrès. Au dehors, on faisait plus ou moins front commun. Mais chacun poursuivait plus ou moins sa politique. Ici l’on faisait toujours bloc avec, les radicaux, là on s’opposait à eux avec plus ou moins de violence.
La constitution du Parti avait tenu compte de cette situation.
On avait posé le principe de l’autonomie des fédérations ; le Parti n’était jamais saisi des problèmes des questions électorales, des conflits, des atteintes à la discipline qu’en dernier ressort. L’ardeur commençait à s’user aux étapes inférieures. Louis Dubreuilh, secrétaire général du Parti, avec une finesse timide symbolisait cette unité peu exigeante, mais tenace. Il fondait un foyer déchiré par les querelles de ménage. Mais déjà elles étaient devenues des querelles de ménage.
La politique radicale, à partir de 1906, s’éloigna du Parti socialiste et de la CGT. Il ne restait plus du Bloc que la tradition du désistement au second tour en face des cléricaux. Cette convention tacite aurait peut-être même fini par disparaître, déchirée par les coups de canif si les droites ne l’avaient pas de temps à autre ranimée par quelques accès de fanatisme. Les grèves du Pas-de-Calais, Villeneuve-Saint-Georges, la grève des postiers, la grève des chemins de fer ont été les étapes de la désintégration progressive du Bloc et ont fait l’unité socialiste dans les esprits.
On l’a bien vu dans les congrès. On les abordait avec inquiétude. Sur toutes les questions à l’ordre du jour, deux conceptions s’opposaient. Bien vite deux blocs s’étaient formés. Le nombre des voix était connu à l’avance. Il n’y avait guère que la fédération de la Seine où la proportion des suffrages variait. Les débats étaient âpres, l’atmosphère lourde. Les discours étaient de véritables assauts où l’on ne ménageait ni les attaques, ni les injures. On s’écrasait sous les documents-massues. À chaque mot, on disait : " Cette fois, c’est la rupture ". Rappoport annonçait : " Le Parti se réunit en scission permanente ".
Cependant ce ne fut pas la rupture. Sous la violence des invectives, un certain nombre de militants, de chefs, veillaient à maintenir l’unité. Beaucoup ne l’avouaient qu’à moitié. D’autres, et au premier rang Jaurès, le laissaient transparaître à toutes leurs démarches et à toutes leurs paroles. On discutait toujours avec passion. Mais on cherchait aussi le point où il fallait s’arrêter pour ne pas contraindre l’autre tendance au départ. On se serait bien gardé d’exclure, ce qui eût provoqué des mouvements irrémédiables. Ainsi, sous le masque violent, chacun se retenait et respectait son adversaire.
Alors, à l’heure critique, s’élevait la grande voix de Jaurès, qui s’efforçait de reprendre les positions opposées à la sienne et de montrer que dans l’action elles se rapprochaient des siennes. Il faisait vibrer les fibres à l’unisson et circonscrivait le désaccord à quelques points qui n’apparaissaient pas tellement graves, auprès des points d’accord.
De congrès en congrès se constituait ainsi peu à peu une doctrine commune, non point rigide et exclusive, mais assez souple et large pour envelopper des inspirations différentes sous l’enveloppe des pensées plus générales. Le sommet fut atteint à ce congrès de Toulouse où Jaurès définit ses vues sur le réformisme et la révolution qu’il associait dans l’action au lieu de les opposer.
Et puis un jour, en 1913, en 1914, on sentit que l’union des esprits était faite. Compère-Morel, Ghesquière défendaient sur l’action syndicale des vues qui semblaient venir de l’autre tendance. On allait aux élections avec un programme où il était difficile de distinguer l’apport guesdiste et celui d’Albert Thomas.
Ce n’est pas en taisant les désaccords, en assoupissant les controverses que le Parti socialiste s’est formé, c’est en absorbant dans un patrimoine commun les tendances et les conceptions et en les cimentant par l’action.
(article publié dans la partie " documents " de Recherche socialiste 29 décembre 2004)
 

 
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