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L'OFFICE UNIVERSITAIRE DE RECHERCHE SOCIALISTE
 
Alain Bergounioux RS 28
L’Europe et les socialistes français :
Une perspective historique

par Alain Bergounioux
(article paru dans L’OURS Hors série n° 28 recherche socialite septembre 2004)

Les socialistes français ont joué un rôle déterminant dans le processus de la construction de l’Europe. Ils ont été jusqu’à aujourd’hui présents aux grands rendez-vous, 1948 au congrès de La Haye, 1957 pour les deux Traités de Rome, 1984 pour la relance européenne, 1992 pour le Traité de Maastricht, et, je l’espère, demain, pour la Constitution européenne.
Léon Blum, Guy Mollet et François Mitterrand ont été tous les trois des européens convaincus. Mais cette histoire n’a pas été linéaire. Elle a été marquée à certains moments par de vifs débats. Les choix européens ont toujours été le produit d’une lutte de convictions
.

L’internationalisme a fait d’emblée partie de l’identité socialiste. Celui-ci portait une espérance de paix. Ce fut le sens de l’engagement des socialistes d’avant 1914, au premier rang desquels Jean Jaurès. Mais ce ne fut qu’après 1918 que l’Europe en tant que telle entra dans les préoccupations des socialistes. L’unité du continent aurait permis d’éviter le retour de la guerre. Léon Blum, en 1927, fut un des présidents de la section française du Mouvement pan européen. Mais la différence des régimes politiques, les uns autoritaires, avec déjà l’Italie fasciste, les autres démocratiques rendait difficile de réaliser cette idée. De toute manière, à partir de 1933, il ne pouvait plus en être question.

Les premières étapes de la construction européenne
C’est pourtant au cœur des années noires, celles de l’occupation, que l’idée européenne allait reprendre vie – et, pour cette fois, s’affirmer durablement. Là encore, Léon Blum joua un rôle majeur pour donner une perspective aux socialistes en acclimatant la notion de " délégation de souveraineté " pour désormais penser un au-delà de l’Etat-nation. En 1948, au moment du congrès de La Haye du Mouvement européen, tous les socialistes, les nouveaux majoritaires depuis 1946, derrière Guy Mollet et les nouveaux minoritaires, avec Léon Blum, adhèrent aux thèses fédéralistes. André Philip fut un des principaux animateurs du Comité pour les Etats-Unis socialistes d’Europe. La première idée d’une Communauté européenne du Charbon et de l’Acier germa dans ce mouvement – et fut reprise ensuite par Jean Monnet.
Pour Léon Blum, comme pour Guy Mollet ensuite, l’internationalisme a joué un rôle majeur dans leur détermination européenne : l’Europe était perçue par eux comme la première étape d’une organisation du monde, d’une construction de la " Communauté universelle " comme disait Léon Blum. Les socialistes se trouvèrent dès lors devant une question décisive : le socialisme était il ou non un préalable à la construction européenne ? Leur réponse fut quasi-unanimement, l’Europe avant le socialisme, l’Europe comme un chemin vers la réalisation des valeurs socialistes.
Cette conviction venait (déjà) de la conscience de l’impossibilité de mener une politique socialiste " dans un seul pays ". Le Manifeste de 1950 des socialistes proclamait qu’" en dehors de l’unité européenne, il n’est point de salut pour la Paix, la Liberté et la prospérité des peuples ". Evidemment, cet engagement dans la construction européenne justifiait aussi l’action politique menée de 1947 à 1951, puis de 1956 à 1958 dans des gouvernements de " troisième force ".
Ce qui divisa les socialistes à partir de 1952 jusqu’en 1954, fut le Traité de la Communauté européenne de défense. Ce qui était en cause ne fut pas le principe de la construction européenne mais le problème du réarmement allemand quelques années après la fin de guerre. L’hostilité d’une moitié du groupe parlementaire fit échouer la ratification du traité. L’unité de la SFIO se retrouva néanmoins aisément pour la relance européenne de 1956, sur les bases d’une Europe économique, qui a abouti aux deux Traités de Rome, l’année suivante, sur le Marché commun et l’Euratom.
La difficulté pour les socialistes avec la Ve République vint de ce que cette première étape de la construction européenne transcendait la distinction entre la gauche et la droite qui allait revenir en force en France dans les années soixante, installait l’économie de marché en son cœur, avec, il est vrai la présence de politiques communes, alors que la SFIO – mais encore moins le PSU, n’avaient pas admis dans la doctrine son principe.

Le débat européen dans le PS des années 1970
Le Parti socialiste, refondé en 1971 au congrès d’Épinay sous la direction de François Mitterrand, procéda à une inversion des priorités, le socialisme en France redevenait l’objectif central. L’enjeu européen changeait de nature. Alliance oblige avec le Parti communiste autour du Programme commun de Gouvernement, le souci était que l’Europe n’empêche pas le déroulement d’une expérience socialiste en France. François Mitterrand, lui-même foncièrement européen, maintint une ligne médiane entre la ligne antérieure de la SFIO et celle que préconisait une partie des socialistes, en particulier, le CERES de Jean-Pierre Chevènement, mais aussi une partie de son propre courant derrière Pierre Joxe, fort critiques vis-à-vis d’une " Europe libérale ".
François Mitterrand reprit à son compte le mot d’ordre " l’Europe sera socialiste ou ne sera pas ". Mais il appelait néanmoins à poursuivre la construction européenne. Lorsque le CERES voulut mettre fin à cette ambiguïté, il se décida au combat au sein du Parti. Un congrès extraordinaire sur l’Europe se tint à Bagnolet en décembre 1973. Pour François Mitterrand, la construction européenne devait être poursuivie " sans délai ni préalable ". Il appelait de ses vœux une " Europe en marche vers le socialisme ". Les formules étaient inacceptables pour le CERES qui voulait rompre avec une réalité européenne " germano-américaine ". La France socialiste devait se construire contre " l’Europe des marchands et les financiers ". Pour dramatiser l’enjeu, François Mitterrand remit en jeu son mandat de premier secrétaire. Sa victoire laissa néanmoins subsister des ambiguïtés, les préoccupations des socialistes dans cette décennie portant avant tout sur la politique intérieure et les rapports avec le Parti communiste. Exclu de la majorité du PS en 1975, le CERES profita de la confrontation entre Michel Rocard et François Mitterrand pour reprendre de l’influence. En 1979, le PS refuse de signer une plate forme commune avec les autres partis socialistes européens. Le projet socialiste de 1980 appelait à une stratégie de rupture avec le capitalisme indépendante des engagements français vis-à-vis de l’Europe. Les socialistes arrivèrent donc au pouvoir en 1981 avec une réflexion quelque peu contradictoire sur la construction européenne.

Le choix européen de 1983
Le tournant clef intervint au printemps 1983 quand il fallut choisir de poursuivre la politique menée depuis 1981 au prix d’une sortie du système monétaire européen ou de la modifier profondément pour ne pas isoler la France dans une économie mondiale fortement compétitive. Le Parti était divisé et méfiant. Le gouvernement et apparemment François Mitterrand ne l’étaient pas moins. A côté des contraintes monétaires immédiates cependant, il est permis de penser que parmi les éléments qui pesèrent fortement pour le maintien du choix européen, l’attachement de François Mitterrand et de Pierre Mauroy à la construction européenne joua un rôle décisif. À partir de cette date, l’Europe allait à nouveau constituer une priorité et une finalité revendiquée par les socialistes. Ils adoptèrent un discours nouveau sur l’Europe, permettant de donner une vision socialiste de la construction d’une Europe non plus " socialiste ", mais différente cependant de celle revendiquée par les libéraux. Le nouvel objectif fut d’éviter la dilution de l’Europe dans un simple zone de libre-échange, et dans cette perspective, la notion d’Europe politique retrouva son sens pour les socialistes, l’Europe sociale devenant le nouveau but.
La signature de l’Acte unique, en février 1986, qui accrut les aspects libéraux de la construction européenne, conduisit François Mitterrand et les socialistes à présenter l’Europe politique comme une nécessité permettant de contrebalancer les effets futurs de l’ouverture du marché unique de 1993. En 1987, Laurent Fabius appela le Parti socialiste à être " le premier parti européen ". Jacques Delors, à Bruxelles, tout en étant l’artisan principal de la mise en œuvre du marché unique, se fit le champion des politiques communautaires.
Les progrès de la construction européenne apparurent cependant lents aux socialistes. La Charte communautaire des droits sociaux fondamentaux adoptée lors du Conseil européen de Strasbourg, en décembre 1999, n’évoquait plus l’harmonisation des législations en matière de protection sociale, laissait chaque pays, agir en fonction de sa situation propre. Sans engager réellement dans ces années le débat fédération-confédération, les socialistes voulurent réfléchir en termes de " puissance publique européenne ", appliquant ainsi les schémas français portées à préférer une action centralisée et volontaire. Quoiqu’il en fut, la dimension européenne de la pensée socialiste devint une donnée désormais incontournable.
Avec le Traité de Maastricht, en 1992, l’enjeu européen prit une importance qu’il n’avait jamais eu dans la vie politique. La réunification de l’Europe, retrouvant " sa géographie et son histoire ", avait persuadé François Mitterrand qu’il fallait accélérer le cours de la construction européenne. " Tout repli sur nous-mêmes serait fatal ", disait-il en mai
1991. Le Parti socialiste reprit cette urgence dans son projet de décembre, au congrès de l’Arche : " l’Europe constitue l’espace pertinent pour mieux maîtriser l’avenir ". Cette évolution rencontra l’opposition résolue de la minorité anti-européenne, le CERES, qui se transforma en 1992, en Mouvement des Citoyens, fit campagne pour le non et finit par quitter le PS en 1993 pour défendre principalement l’indépendance nationale.
A partir de Maastricht, qui fut ratifié à une courte majorité, les socialistes ont été placés devant la tâche de définir une politique européenne cohérente. Nous sommes entrés en effet depuis cette date dans la période historique qui est la nôtre jusqu’au Traité constitutionnel de Bruxelles, signé désormais par les Chefs d’État et de gouvernement à Rome, le 27 octobre, qui en sera peut-être la conclusion provisoire.

Le Parti socialiste a été confronté à des questions qui n’avait jamais vraiment été traitées. Il est possible d’en distinguer quatre principales : quelles institutions pour l’Union européenne, quelle place pour l’État nation, quelles relations avec les pays européens candidats à l’adhésion à l’Union, quel contenu social ?
Jusque-là, le choix fédéral ou confédéral n’avait pas été abordé de front et les mots étaient employés sans signification véritable. Le projet de l’Arche paraissait opter pour une perspective fédérale : " l’Union politique renforcera dans une finalité fédérale l’identité de la communauté actuelle en jetant les bases d’une véritable citoyenneté européenne, en renforçant sa légitimité démocratique et en lui permettant de mener, là où ses intérêts l’exigeront une politique commune en matière économique, de relations extérieures et de sécurité ". Mais la dynamique mise en œuvre pour la négociation du Traité de Maastricht et des traités qui ont suivi jusqu’à celui de Bruxelles a donné au Conseil européen, aux gouvernements et aux chefs d’État, un rôle déterminant. " Le Conseil européen doit être à tout moment en mesure de parler au nom de l’Europe après avoir consulté les opinions nationales ", déclarait François Mitterrand un mois avant le référendum de Maastricht. L’ordre institutionnel européen a fonctionné alors selon deux logiques distinctes, d’un côté, les affaires de l’Union avec des compétences régulièrement, mais prudemment élargies continuant d’être réglées dans le cadre d’un triangle institutionnel, le Conseil, la Commission, le Parlement, de l’autre, le rôle clé du Conseil européen, réalité gouvernementale, demeurant déterminant.
En France, face aux " souverainistes ", influents à droite et à gauche – sans parler de l’extrême droite tout entière anti-européenne – les socialistes ont défendu le concept de subsidiarité, une conception prudente des transferts de souveraineté – excepté sur la monnaie unique. La place particulière des intérêts agricoles l’explique partiellement. Le gouvernement de Pierre Bérégovoy n’hésite pas à en appeler à " l’Union nationale " pour défendre l’agriculture française dans les négociations du GATT, organisation qui a précédé l’OMC. Pour résoudre cette difficulté, la perspective fédérale coïncidant avec la défense des intérêts français, François Mitterrand et ses successeurs à la tête du Parti et au gouvernement, firent du maintien de la cohésion du couple franco-allemand l’élément fondamental de la construction européenne.
Les socialistes français ont clairement demandé qu’un approfondissement institutionnel de l’Union européenne précède l’élargissement aux anciens pays de l’AELE et aux pays de l’ancienne Europe de l’Est. François Mitterrand et les socialistes tout au long des années 1990 furent cependant entraîné par l’Allemagne et l’Angleterre à abandonner cette exigence et à tenter de rendre simultanés l’approfondissement et l’élargissement. Ce pragmatisme se retrouva dans la construction de l’Europe sociale. L’adoption de la monnaie unique passa par l’acceptation du principe de l’indépendance de la Banque centrale européenne. La définition d’une charte des droits fondamentaux donna lieu à d’âpres négociations – notamment avec l’Angleterre – pour finalement être partie prenante du Traité constitutionnel.
Ces difficultés – inévitables dans la mesure où l’Union européenne a été la résultante de compromis entre pays, avec leurs histoires, leurs cultures et leurs intérêts, faites de longues négociations et d’équilibres successifs – expliquent qu’avec Lionel Jospin les socialistes aient repris un temps la notion, proposée par Jacques Delors de " Fédérations d’États-Nations : " fédération – comme le fixait le Parti socialiste dans sa convention de mars 1996 – car beaucoup de décisions y seront prises à la majorité, d’États-Nations car la fédération ne s’occupera que de ce qui est d’intérêt commun et devra préserver les identités de ses membres ". Après 1997, les divisions de la gauche plurielle, avec un PCF et un MDC résolument euro-critiques et des verts plutôt pro-européens – amenèrent Lionel Jospin à maintenir cette position face même au discours audacieux de Joscha Fischer, réclamant en 2000 une fédération pour l’Europe. Celle-ci trouva plus d’écho au Parti socialiste qui affirma un engagement plus fédéral qui fut confirmé par le congrès de Dijon en mai 2003. En même temps, l’idée déjà formulée depuis quelques années par Jacques Delors, et que j’avais formulée, avec notamment Pascal Lamy, en juin 2001, d’une " avant garde européenne " pour avancer plus vite, fut explicitement adoptée.

Ce rappel historique montre que nous sommes désormais au cœur des problèmes de l’Union européenne qui se fait effectivement. Il était inévitable qu’avec le temps, ils deviennent plus nombreux, à la mesure de l’importance que revêt l’Europe pour notre avenir dans un monde où les rapports de force évoluent rapidement. La foi européenne existe toujours. Mais la construction européenne a pris un tour original dont nul ne sait ce que produira au bout du compte le processus en cours. Il y a donc une place éminente pour la volonté des hommes. C’est à quoi je m’attache dans mon action. L’Union européenne a cessé d’être idéalisée. Elle se fait. Elle a donc pris tous les traits d’une réalité politique conflictuelle dans la vie politique française. Les citoyens doivent être convaincus et non placés devant des faits accomplis. Le nouvel aliment de l’Union européenne et de ses progrès devra être l’intelligence et la confiance des peuples.
Alain Bergounioux
 

 
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