ACTUALITE
L'OURS
PUBLICATIONS
DEBATS DE L'OURS
LIVRES DIFFUSÉS
SEMINAIRE OURS
ARCHIVES BIBLIOTHEQUE
TEXTES, IMAGES, DOCUMENTS
L'OURS Signale (colloque,
LIENS UTILES
NOUS ECRIRE
 
Nous joindre
L'OURS 12 Cité Malesherbes 75009 Paris
Tél. 01 45 55 08 60
Pour être informé de nos activités (réunions, parutions, séminaires…), laissez nous un message électronique :
e-mail : info@lours.org
 
L'OFFICE UNIVERSITAIRE DE RECHERCHE SOCIALISTE
 
Daniel Mayer, Congrès extraordinaire, novembre 4
Discours de Daniel Mayer, secrétaire général du Parti socialiste SFIO, à l’ouverture du Congrès extraordinaire des fédérations socialistes reconstituées dans la Résistance, Paris, le 9 novembre 1944.
D’après la sténotypie originale déposée à l’OURS, numérisée et consultable dans son intégralité sur la base de données des congrès du site de la Fondation Jean-Jaures : http://debats.archives-socialistes.fr

Avertissement : Les intertitres sont de la rédaction, et nous avons rectifié dans la mesure du possible l’orthographe des noms cités, et des lieux, et apportés quelques précisions entre […] à la sténotypie.


DANIEL MAYER : Camarades, il y a cinq ans que nous attendons cette minute, et cependant, cette minute nous a surpris. Elle nous a surpris, et je ne vous cacherai pas mon émotion. Je ne sais pas exactement comment commencer ; je ne sais pas si je prononcerai des paroles d’allégresse, de joie, de contentement, ou au contraire, des paroles plus graves, des paroles de deuil.

Nos morts et nos prisonniers
Tout à l’heure, notre camarade Depreux a énuméré une série de morts, une série de camarades qui sont restés sur notre route. Sa liste était bien trop incomplète. Il vous a parlé d’un certain nombre des nôtres. Je voudrais, avec les quelques maigres renseignements que je possède, vous dire que cette liste, hélas, s’allonge chaque jour, et que nous n’avons pas à pleurer seulement ceux dont il a parlé, mais un nombre bien plus grand.

Léo Lagrange est mort à la guerre, Saint Martin, député du Gers, est mort à la guerre, Marx Dormoy a été assassiné, François Camel a été assassiné, Grasset a été assassiné, Léon-Maurice Nordmann a été fusillé, Vinçon a été fusillé, Fourny a été fusillé, Pierre Brossolette a été torturé, Ranier de Boulogne-Billancourt a été fusillé… (lecture de la liste)…

Je voudrais rappeler aussi le souvenir d’un certain nombre des nôtres, et plus des enfants de deux d’entre nous. Je veux parler du fils de Jules et Germaine Moch, et du fils de notre camarade Henri Ribière.

Nous n’avons pas que ces morts, nous en avons d’autres, et les secrétaires fédéraux, chaque jour, nous envoient la liste innombrable de nos victimes.

Nous avons l’intention de publier un Livre d’or des victimes du socialisme, des victimes de la République, des victimes de la démocratie, et de ceux qui ont combattu pour le Socialisme, la République, la démocratie, et la France ; et d’affirmer ainsi que nous n’avons jamais, à aucun moment, nous, socialistes, dissocié la France, le socialisme, la République et la démocratie.

Nous avons laissé sur notre route un homme, dont je voudrais aussi évoquer la mémoire, qui fût le trésorier général du Parti socialiste clandestin, notre camarade Raoul Evrard, qui est mort le jour même où la Gestapo, dans son lit, alors qu’il agonisait, venait perquisitionner chez lui, et dont il nous a fallu faire des obsèques effroyables, chacun se demandant s’il n’allait pas être arrêté.

La fédération du Pas-de-Calais a pris l’engagement de faire à Raoul Evrard, ancien trésorier général du Parti socialiste clandestin, des obsèques dans Lens libéré, au milieu des mineurs pour lesquels il avait travaillé toute sa vie.

Nous avons laissé sur notre route – Depreux en a parlé tout à l’heure –, le premier ambassadeur du gouvernement de la République française à Londres, notre camarade Pierre Viénot, qui est mort à la tâche.

Nous avons laissé sur notre route un membre du comité de la zone sud, notre camarade Léon Roche le seul parlementaire, de la Haute-Vienne qui dès le 10 juillet 1940, s’était dressé contre Pétain.

Je voudrais associer à ces morts de quelques noms de camarades de l’Internationale, quelques noms seulement car nous ne les connaissons pas encore tous, qui sont morts durant ces années : Robert Tanneberg (?), ancien ministre des Finances de Vienne, Kate Leichter, de la Social démocratie autrichienne, Émile Stol, ancien rédacteur du Social Democraten de Prague, Heinrich Hein de Vienne. Si… l’un des chefs du p…, suicidé en exil, tous assassinés ou torturés par la Gestapo.

Il n’y a pas que les morts qui sont absents de ce congrès, il y a tous ceux qui sont encore en Allemagne, à la tête desquels Léon Blum, Jean Lebas, député du Nord, Jean Blondi, député de l’Oise, Eugène Thomas, député du Nord, Claude Jordery, député du Rhône, Malroux, députe du Tarn, Bedin député de la Dordogne, tous déportés.

Parmi les rédacteurs du Populaire, Pierre Brossolette, dont on a dit le martyre, et dont je veux saluer la présence dans cette salle, bien qu’elle n’appartienne pas aux cadres de notre Parti, de sa femme Germaine Brossolette, membre de l’assemblée consultative. (Applaudissements)

Parmi les rédacteurs du Populaire, Jacques Grumbach, qui a disparu au moment où il franchissait la frontière espagnole, dont ses amis avec moi-même espèrent encore le retour, mais dont nous avons le devoir de dire que le retour est sans doute improbable : Jean-Maurice Hermann, rédacteur au Populaire, déporté en Allemagne, Amédée Dunois, rédacteur au Populaire, déporté en Allemagne, Suzanne Buisson, rédactrice au Populaire, déportée en Allemagne.

Nous avons aussi des prisonniers, Max Lejeune, député de la Somme, qui est dans le même camp de représailles que Rosenfeld, rédacteur en chef du Populaire, et Robert Blum, fils de notre camarade Léon ; André Kanter, Marcel Roels, rédacteur au Populaire.

Camarades, quand on a de telles listes, quand on les sait si incomplètes, ce n’est forcément pas par des paroles d’allégresse qu’on commence un congrès, malgré que ce congrès doive être un congrès de joie, puisqu’il symbolise la Libération du pays, la libération du socialisme, et puisqu’il est la première grande manifestation politique au cours de laquelle nous nous retrouvons.


Du Parti socialiste au Parti socialiste clandestin
De cette tribune, où je vois vos visages, à vous que je connais pour la plupart, je sais bien que ce congrès est devenu une sorte de carrefour, et qu’il y a là à la fois des jeunes et des anciens, des femmes et des hommes, des camarades dont la destinée les a amenés, durant ces dernières armées, les uns à Londres, les autres à Alger, les autres en Suisse, tandis que quelques uns avaient le privilège de rester en France. Il n’y a pas entre nous de différences entre ces camarades, de quelqu’endroit qu’ils viennent. Il y a des socialistes qui se retrouvent, qui ont travaillé en commun, quel que soit l’endroit où ils étaient, et qui sont destinés à travailler en commun, pour le triomphe du socialisme.

Nous avons monté de toutes pièces, en 1940-1941, un parti, un parti qui n’était pas habitué du tout à la clandestinité, qui n’avait rien préparé pour vivre dans la vie illégale, un parti qui se trouvait, mortellement divisé, qui avait un certain nombre d’hommes qui l’ont trahi, et qui se trouvait dans une situation telle qu’il n’avait pas la force de remplir la mission qu’il aurait pu remplir si les dirigeants de ce parti avaient eu le courage qu’ils n’ont pas eu. Nous nous trouvions, en 1940, devant une situation qui annonçait, qui préfigurait en quelque sorte, la décadence de la bourgeoisie.

1940 n’a pas été autre chose, pour nous, que l’abandon par la bourgeoisie des privilèges qu’elle détenait, et que l’affirmation par la classe bourgeoise qu’elle n’était pas patriote et qu’elle mettait au-dessus de l’intérêt national ses intérêts de classe.

Je voudrais vous lire une page, qui n’émane pas de nous, une page qui n’émane pas d’un socialiste, et qui décrit beaucoup mieux qu’un socialiste ne saurait le faire, et avec une force bien plus importante qu’elle n’aurait dans notre bouche, la société telle qu’elle se présentait à partir des années 1933-1934 :
« Il faut découvrir le visage de cette bourgeoisie française, dont Le Jour et Gringoire ont été, pendant la crise, les porte-parole, il ne s’agit plus avec elle de soumission inconsciente.

On ne comprendra rien au comportement de cette fraction de la bourgeoisie française si on ne l’entend murmurer à mi-voix : "Plutôt Hitler que Blum." »

C’est Emmanuel Mounier dans la revue Esprit du 1er octobre 1938, qui brossait ce tableau.

Nous nous sommes trouvés en face du néant. Nous nous sommes trouvés, en 1940, en face d’une bourgeoisie qui capitulait, parce qu’elle espérait prendre sa revanche du Front populaire. Nous avons le droit et le devoir de dire que la capitulation de 1940 a été la revanche du Front populaire, la revanche de 1944, la revanche de 1936. (Applaudissements)

En face de cette bourgeoisie, une classe ouvrière divisée, une classe ouvrière scindée en plusieurs tronçons, deux tronçons principaux ; le tronçon communiste dont on peut dire qu’il considérait, à cette époque, que les intérêts du pays auquel il est particulièrement attaché ne coïncidaient pas avec les intérêts de la défense nationale française, et c’est pour cette raison là qu’il n’a pas commis dès 1939 et dès 1940 comme on aurait été en droit de l’attendre de lui les actes de patriotisme glorieux qu’il commet depuis 1941. (Applaudissements)

Un Parti socialiste qui, peut-être, n’a pas eu suffisamment de courage, à partir des années 1938 pour se séparer, comme il aurait dû le faire, courageusement, en mettant, le fer dans la plaie, des hommes qui avaient, confondu le pacifisme et le défaitisme… (applaudissements)… et qui, sous prétexte de défendre la paix, en réalité défendaient simplement leur propre peau. Au lieu de défendre la paix avec courage, ils ne défendaient simplement qu’une sorte de peur individuelle et personnelle. Pour la plupart d’entre eux, ils ont prouvé qu’effectivement ils manquaient surtout de courage, à partir des années 1940. (Applaudissements)

Nous avons, à quelques-uns, tenté de reconstruire cela. Tout à l’heure, vous entendrez après moi, deux rapports, celui de Gaston Defferre au nom de la zone sud, celui de Robert Verdier au nom de la zone nord. Il faudrait peut-être que ces rapports fussent multipliés car à l’époque, vous vous souvenez peut-être qu’il y avait encore une troisième zone, que l’on appelait la « zone interdite », et que nos camarades du Nord et du Pas-de-Calais, avec un courage digne de Jean Lebas, digne de Roger Salengro, digne de Delory , se mirent à l’œuvre, alors qu’ils étaient totalement et complètement coupés du reste de la France Socialiste.

Jean Lebas, aujourd’hui déporté, faisait, à la main, des tracts qu’il allait lui-même le soir mettre dans les boîtes aux lettres de la région de Roubaix. (Applaudissements)

Nos camarades de ce que l’on appelle « la zone nord », dont Verdier sera tout à l’heure l’interprète, se soit mis au travail comme ils ont pu, dans des conditions difficiles.

Nos camarades de la zone sud avaient une tâche qui était singulièrement différente. On ne connaissait pas l’occupation, et un certain nombre de gens pensaient que, peut-être après tout, l’Armistice avait sauvé quelques vies humaines, et qu’il ne fallait pas lutter là-bas contre la Gestapo, et contre l’occupant. Il fallait lutter contre une fraction de la population qui n’avait pas encore compris.

Aujourd’hui, où nous nous retrouvons, et où nous pouvons confronter les différentes tâches, les différentes appréhensions et les dures difficultés qui ont été les nôtres, nous nous apercevons que nos travaux ont été des travaux de natures différentes, car nous n’avions pas toujours le même adversaire, ou plus exactement, l’adversaire que nous avions avait plusieurs faces. L’adversaire que nous avions était, dans le Nord, l’Allemagne, la Gestapo, sous la forme la plus rude ; dans la partie du Nord qui n’était pas interdite, c’était la Gestapo sous une forme peut-être moins rude que dans la zone interdite, mais la Gestapo quand même ; dans le sud nous avons commencé à connaître, dès 1940, les complices de la Gestapo, ceux qui devaient former plus tard les ordres de la légion, et les ordres de la milice. Vous entendrez, par conséquent, tout à l’heure, des rapports peut-être, différents dans le ton, peut-être différents dans la forme, car la lutte, je le répète, ne revêtait pas exactement les mêmes formes. Mais j’ai le droit et le devoir de vous dire ici que, ces combats, où qu’ils aient été, et quels qu’ils fussent, avaient exactement la même acuité ; et c’est l’ensemble des militants du Parti, ce sont ces militants de masse qui n’avaient pas failli, pas démérité, qui se sont mis au travail. C’est l’ensemble des camarades du Parti auquel revient le droit et le devoir de dire : « C’est nous, et c’est nous partout, tous ensemble, qui avons reformé le Parti socialiste, tel qu’il était formé. » (Applaudissements)

Léon Blum reste à son poste
Un homme émerge au-dessus de tout cela, un homme dont la photographie est au-dessus de cette scène : Léon Blum.

Un certain nombre de gens vous poseront la question : « Après tout, Léon Blum, en 1940, il aurait peut-être pu s’en aller à Londres ? » Oui, Léon Blum aurait pu s’en aller à Londres.

J’ai en main quelques pages des Mémoires que Léon Blum a commencé à écrire en 1940-1941, à Chazeron ou à Bourassol. La question s’est posée, une scène s’est passée chez Vincent Auriol. Il y avait Vincent Auriol, Michèle Auriol, Renée Blum ; il y avait surtout les moyens matériels de partir. Renée Blum, Michèle Auriol, Vincent Auriol, ont tenu à peu près à Léon Blum ce langage : « Il n’y a plus désormais qu’un souverain en France, c’est Hitler ; les gouvernements français sont condamnés à une sorte de surenchère dans l’obéissance, dans la complaisance. Cela changera un jour, par la force des choses, et le changement sortira du fond du peuple, mais jusqu’à nouvel ordre, il en est ainsi. Bon gré, mal gré, les soi-disant gouvernements français vont s’efforcer d’implanter en France, les principes et les méthodes du régime nazi : ils auront leur Gestapo, et leurs sections d’assaut, ils passeront des exécutions personnelles aux persécutions collectives, ils frapperont les socialistes, ils dégraderont les juifs. » Vincent Auriol disait à Léon Blum : « vous êtes tout à la fois un Socialiste, un juif, et vous-même par-dessus le marché. » Léon Blum, dans ses mémoires, écrit :

« Mes amis voyaient juste, comme l’événement n’a pas tardé à le faire voir, ils avaient raison contre ce qu’ils appelaient mon optimisme.

« Mais je crois que j’avais raison à mon tour quand je leur répliquais : soit, acceptons si vous voulez que ma vie ou ma liberté soit en péril.
(Applaudissements) Comprenez bien, à votre tour : le péril que je cours n’est pas une raison de partir, mais une raison de rester. Si je partais aujourd’hui ce serait nécessairement pour prendre mon poste, comme un soldat. Dans la lutte que la Grande-Bretagne, et peut-être demain les États-Unis, vont poursuivre contre l’ennemi, quel peut être mon poste ? L’organisation ? Le conseil ? La propagande ? Quelles armes apporterai-je avec moi ? L’autorité que j’aurais pu conserver sur l’esprit d’un certain nombre de Français ? Mais je perds précisément ce qui me reste d’autorité si la France officielle peut me dénoncer comme un lâche acculé à la fuite par le sentiment de ses fautes, ou la peur du châtiment. L’interprétation qui sera forcément donnée de mon départ, et probablement acceptée par une opinion sans défense, détruira toute utilité possible de mon action.

« Il y a quelque chose de pire : je ne réussirai peut-être qu’à compromettre en m’y ralliant la cause que j’aurais voulu servir ; je ne servirai pas la cause commune, et peut-être lui nuirai-je. Je nuirai certainement à ceux de mes amis qui seront demeurés en France, et contre lesquels il sera trop facile de se retourner et d’exploiter ma conduite. Non, voyez-vous, il n’y a plus pour moi qu’un parti, qu’une voie, depuis que le gouvernement a capitulé : rester en France, là où je suis, attendre tranquillement le danger s’il est vrai qu’il y ait danger, me tenir prêt à répondre de mes actes passés dans toute discussion publique, à la tribune de la chambre si je puis, à la barre d’une cour de justice s’il le faut, défier avec sérénité l’injustice et la haine qui s’épuise, préserver toutes les possibilités d’action en France pour le jour, peut-être prochain, où ce peuple accablé et abasourdi par le désastre, aura repris possession de lui-même. Ce jour-là, ma présence, ou si vous le voulez mon existence, retrouvera peut-être une signification. »

« Je dis "peut-être", parce que je n’en suis pas ; convaincu, et que je suis plutôt enclin à croire que je suis arrivé au terme de ma vie utile. Convenez que vous n’avez rien à répondre à cet argument.

« Et puis, il y a quelque chose qui n’est pas un argument, car ce n’est pas de l’ordre de la raison, mais quelque chose qui répond en moi à un mouvement un instinctif et irrésistible : j’ai été, et je suis encore un homme public, j’ai dirigé les affaires de la France, c’est à dire que je l’ai représentée à ses propres yeux, aux yeux de l’étranger, je sens que je ne puis pas, à mon gré, surtout à une telle heure, rompre le lien de solidarité qui m’unit à mon pays. Je porte condamnation contre tout ce qui s’est accompli depuis une semaine et j’ai le droit de condamner. Chaque Français est juge de l’honneur de la France, de ce que l’honneur commande, de ce qu’il interdit. Je considère la France comme déshonorée, mais je ne me sens pas le droit de tirer mon épingle du jeu. »

« Je dois prendre ma part dans le sort commun, non seulement dans le malheur, ce qui est relativement facile, mais dans la honte. »


Camarades, j’ai voulu que ce soit Léon Blum, lui-même, qui vous dise les raisons qu’il avait de rester en France. Il ajouté :

« J’eus sans doute quelques tremblements dans la voix en parlant ainsi, car Michèle Auriol se leva et vint m’embrasser. Vincent Auriol et ma belle-fille n’insistèrent pas davantage. » (Vifs applaudissements)

Le Procès de Riom, signal du réveil républicain
Léon Blum est resté. Léon Blum était au procès de Riom. Le procès de Riom a été, non pas seulement une manifestation et une démonstration anti-gouvernementale, le procès de Riom a été pour le pays, et nous avons le droit de le dire sans faire de particularisme non pas parce que Léon Blum est notre guide et notre chef, mais simplement parce que c’est la réalité, le procès de Riom, grâce à Léon Blum, a été le signal du réveil républicain en France. (Applaudissements)

Et c’est seulement à partir du procès de Riom, et à partir du moment où Léon Blum a transformé la barre de défense en barre d’accusation et en tribune publique que la Résistance, qui existait déjà, a eu son véritable sens. On ne s’est pas battu seulement contre Hitler, on ne s’est pas battu seulement contre l’occupant et contre l’envahisseur ; mais on a compris qu’en luttant contre Hitler, on luttait en même temps contre Vichy, et qu’il ne pouvait pas y avoir de dissociation possible entre la lutte pour la patrie et la lutte pour la République. (Applaudissements)

Et nous pouvons dire que c’est à partir de ce moment-là que la Résistance, qui se cherchait, qui se tâtait, qui ne se comprenait pas, a eu son véritable sens.

Vous pensez bien que, à côté de Léon Blum, il me faut citer le nom de ses trois défenseurs : Le Troquer, Félix Gouin, Samuel Spanien… (applaudissements)… qui ont mené, dans des conditions qui apparaissent aujourd’hui peut-être normales - mais qui leur faisaient alors risquer leur vie car à la fin de chaque déposition de chaque plaidoirie, on ne savait pas si le gouvernement de Vichy ne les ferait pas arrêter - qui ont mené la défense de Léon Blum.

Je tiens donc à associer au nom de Léon Blum les noms des trois défenseurs héroïques qui ont accepté de mener ce combat, sachant ce qu’ils encouraient. (Applaudissements)

Le Populaire clandestin
Nous avons tâché de faire un journal. Je vous renvoie, pour ce journal, à l’émotion que notre camarade Édouard Froment a décrite dans Fraternité, puisqu’il a été le premier délégué à la propagande en zone sud, les feuilles que nous faisions, les feuilles que les camarades du Nord avaient faites avant nous, les petites feuilles dont Manicacci se souvient peut-être car il en a été l’un des principaux artisans dans ses locaux de Marseille, ces petites feuilles, nous avions le sentiment qu’elles avaient pour but presque exclusif de ranimer la flamme, de donner à nos camarades le sentiment qu’ils n’étaient pas seuls, que leur combat était le même, qu’il il y avait par-ci, par-là, des hommes qui avaient songé à reconstituer le Parti. Et puis nous nous sommes aperçus, au travers des rapports de nos camarades qui sont allés à Londres, et qui sont allés à Alger, que ces petites feuilles, que vous trouviez dans votre boîte aux lettres, sous votre paillasson, dans la poche de votre pardessus, avaient aussi un autre but, puisqu’à l’étranger elles étaient la voix de la France. Lorsque le Populaire clandestin arrivait à Londres, il était immédiatement photographié, multiplié, envoyé dans toutes les capitales de l’Europe et du monde. Et il nous a permis de dire à l’ensemble du monde que la France n’était pas le gouvernement de Bordeaux, ou de Vichy, que la France c’était la France de la petite feuille ronéotée, ou mal imprimée, que la France était la France du Populaire clandestin et des autres feuilles clandestines.

Nous avons fait cela, et je ne vous raconterai pas l’histoire du Parti, que mes camarades vous diront. Je n’ai au fond qu’à m’occuper ici de l’aspect politique, et j’ai par conséquent à faire une sorte de compte-rendu de mandat au nom des camarades du comité exécutif.

Camarades, nous avons fait cela après avoir pris un certain nombre de décisions.

L’épuration du Parti
La première décision a été de faire place nette.

Je ne pense pas que ce congrès discutera pendant de longues heures le cas des parlementaires, qui le 10 juillet 1940 ont voté pour Pétain. Nous sommes quelques-uns qui, lorsque nous avons commencé à travailler, avons fait le serment de ne jamais nous retrouver dans le même parti que les hommes qui, le 10 juillet 1940 ont trahi avec leur mandant la confiance du peuple, la France, le Socialisme et la République. (Applaudissements)

Nous avons pris un certain nombre de décisions de principe. Nous avons chassé, complètement et définitivement tous ceux qui avaient voté pour Pétain ; et nous avons posé qu’en principe nous reprendrions avec nous, nous lutterions avec les hommes qui ont eu le courage de voter contre Pétain.

Mais la question, je dois avoir la loyauté de le dire au congrès, n’était pas si simple. Après avoir affirmé ces grands principes, il nous a fallu trancher cas par cas, car il y avait des hommes qui étaient sur le Massilia, il y avait des absents, il y avait des abstentionnistes, parmi ceux qui avaient voté, pour, il y en a très peu soyez rassurés, qui se sont immédiatement rachetés par leurs actes ; et parmi ceux qui avaient voté contre, il y en a un ou deux qui se sont ensuite très mal conduits. Nous avons opéré les tris nécessaires, et tout à l’heure vous aurez à désigner une Commission, qui siégera samedi, en votre nom, et qui examinera tous les cas, je dis bien, « tous les cas », de Léon Blum à Paul Faure, qui les examinera avec un souci d’équité, avec un souci de justice et avec une certaine sérénité.

Je tiens cependant à mettre en garde le congrès contre un courant sentimental qui semble se développer dans certains départements. Après avoir condamné en bloc tous les parlementaires qui ont failli, il y a trop de Secrétaires fédéraux qui viennent me dire que le parlementaire de leur département est un très brave type. (Applaudissements)

Il faudra que ce congrès, après s’être mis d’accord sur les principes, reprenne parmi nous, comme je le lui demande instamment, tous ceux des parlementaires qui, ayant failli, se sont aussitôt rachetés par leurs actes. Je ne veux pas ici citer de noms [Il s’agit de Raymond Gernez, NDLR ], je parlerai seulement d’un seul, parce que je me suis promis il y a trois ans déjà de parler de lui : c’est dès le lendemain du vote qu’il est venu, qu’il est allé dans les imprimeries, qu’il est allé, la valise à la main, sans arrêt, refusant un poste partout, refusant absolument de faire partie de quelque comité que ce soit ; il a fait ce travail, héroïque, patient, modeste. Je dis qu’il serait injuste de ne pas reprendre ce camarade parmi nous, avec les trois ou quatre autres que nous avons repris. Mais je tiens à mettre en garde une nouvelle fois ce congrès contre des courants sentimentaux : il faut que ce congrès soit un congrès d’épuration, de rénovation. Pas de courant sentimental contre ce congrès. (Vifs applaudissements)

Je vous demande en même temps, et le Comité exécutif vous demande, d’assimiler aux parlementaires tous ceux des membres de la Commission administrative permanente, du conseil d’administration du Populaire, du Comité national mixte des jeunesses, du Comité national des femmes Socialistes, bref de tous les organismes centraux ; et de faire en sorte que dimanche, nous puissions publier dans les journaux, la liste définitive des exclus du Parti, et que la Parti puisse continuer sa marche sans que par la suite son Congrès national soit encombré de demandes de réintégration. Vous direz que ces exclusions sont des exclusions sans appel, et que le Parti continue à travailler. (Applaudissements)

C’est après avoir fait ce vide autour de nous – et quel grand vide ! – que nous nous sommes mis au travail.

Hommage à Henri Ribière et aux autres résistants anonymes
Je ne voudrais ici citer aucun nom. Je suis quand même obligé d’en citer un, un seul. C’est vrai que je suis secrétaire général du Parti – la vie est remplie d’accidents de ce genre –, il y a un homme qui, le premier, tant dans la zone sud que dans la zone nord, a commencé à travailler, qui a parcouru à l’époque où il n’y avait personne, et où on ne savait pas comment vous accueillir, tous les départements du sud et tous les départements au nord. C’est lui qui est à l’origine de la reconstitution du Parti seulement comme il est trop modeste, personne ne le sait, et c’est pourquoi je le dis au Congrès : je parle d’Henri Ribière… (applaudissements)… qui ne s’est pas contenté de travailler pour le Parti, mais qui était à libération zone nord, qu’il a avec quelques camarades créé presque de toutes pièces, qui a joué un rôle extrêmement important dans les opérations militaires et dans les opérations d’organisation de parachutage et dans tout ce qui pouvait être la vie clandestine d’une organisation, qui siège au Conseil national de la Résistance au titre de cette organisation.

Camarades, j’aurais voulu aussi, peut-être parce que j’ai parfois le goût du symbole, après avoir rendu hommage aux morts, aux déportés, aux prisonniers, rendre hommage aux vivants, et à ceux qui ont fait ce travail. J’y ai pratiquement renoncé sous une forme nominale : j’avais trop de choix.

Je me suis demandé si je parlerais tout bonnement et tout simplement, dans ce congrès où nous sommes tous des amis, pour prendre le symbole du dévouement, du travail obscur, des tâches difficiles, des difficultés sans cesse renaissantes, tout simplement de ma femme, qui n’a pas eu seulement les difficultés que nous connaissons, mais qui a eu aussi les difficultés du ravitaillement, les craintes, les angoisses, la peur et la peur cachée. J’y ai renoncé, ce serait trop nominal.

Je me suis demandé si je parlerais de cette femme, aujourd’hui déportée, qui a accepté de rester pendant une heure et demie devant un local où elle savait qu’il y avait la Gestapo, pour empêcher un camarade de s’y rendre. J’y ai renoncé : ce serait trop nominal. [Il s’agit de Suzanne Buisson, NDLR ]

Je me suis demandé si je parlerais de cette autre femme, qui porte un nom glorieux, le plus glorieux d’entre nous tous, et qui a su par son courage, sa discrétion, son abnégation, non seulement garder ce nom, mais, ce qui nous paraîtrait un miracle, y ajouter encore de la gloire. J’y ai renoncé, parce que c’était trop nominal. [Il s’agit de Renée Blum, la belle-fille de Léon Blum dont le mari est prisonnier en Allemagne, NDLR ]

Je vous parlerai de quelqu’un dont je ne sais pas le nom, dont je sais seulement que c’est un militant socialiste. Lorsque je suis revenu de Londres, en avion, il y avait des camarades qui faisaient le balisage du terrain. Il y en a un qui s’est approché de moi et qui m’a dit :

« Vous arrivez de Londres, je vais vous demander un immense service : donnez-moi des cigarettes. » Il a pour moi symbolisé le travail obscur, le dévouement de nos militants. Je ne connais pas son nom : je vous demande de rendre hommage à ce militant anonyme, qui symbolise l’effort merveilleux de l’ensemble de nos camarades. (Applaudissements)

Car nous n’avons pas eu seulement que des camarades qui ont travaillé à rédiger des journaux, à faire des tracts et à s’occuper de l’aspect politique.

On nous a parfois qualifiés plus ou moins d’attentistes. On nous a taxés de modérantisme. Pourquoi ? Parce que nous n’avons pas l’habitude de crier sur les toits nos faits de guerre, parce que nous vénérons avec pudeur la mémoire de nos morts, parce que nous avons plus à cœur de voir nos emprisonnés libérés que d’en faire des martyrs de notre cause.

Non ! Les socialistes étaient partout dans le combat. Chaque fois que l’intérêt de la France l’a exigé, les ouvriers socialistes étaient en grève. Les socialistes ont été dans le maquis, les hommes et les femmes de France socialistes, ont résisté à la déportation, au Service du travail obligatoire. Les femmes socialistes ont protesté contre les rations de famine. Et je connais les cheminots, les postiers, qui sont des cheminots Socialistes et des postiers socialistes, qui ont fait un travail de sabotage énorme et formidable

Vous, camarades, qui n’êtes pas seulement ici, la plupart du temps, des délégués des fédérations socialistes, mais qui appartenez dans vos régions aux Mouvements de libération nationale, à Combat, à Libération, à Franc-tireur, vous savez très bien que partout où il y avait un travail à faire, c’étaient les socialistes qui encadraient les maquis, qui commandaient des équipes de parachutage, de réception, de distribution d’armes et de matériel.

Nous avons le droit de dire que nous n’avons, à aucun moment, été ce que l’on a appelé, pour je ne sais quelle raison spéciale, des attentistes ; partout où il y avait du travail à faire, les Socialistes étaient présents. Et si nous n’avons pas créé - j’en suis peut-être le responsable et je m’en enorgueillis de groupe particulier socialiste, c’est parce que nous n’avons pas voulu faire de particularisme. Il y avait la France, la Résistance : nous étions tous Français, et tous résistants, et nous n’avons pas voulu dire qu’il pouvait y avoir une Résistance qui fût plus particulièrement socialiste. (Applaudissements)

Par conséquent, si nous ayons eu un défaut, ça aurait été le défaut de la modestie. Mais il ne faut pas, pour reprendre le mot que Maurice Schumann me disait un jour, il ne faut pas qu’il y ait une sorte de pénalité de l’abnégation.

Nous n’acceptons pas du tout les épithètes dont quelques uns veulent nous couvrir. Nous avons été dans la Résistance. Nous n’avons pas fait de particularisme dans cette Résistance, mais nous avons été partout à la pointe du combat, par nos militants, par nos cadres, par notre expérience.

D’ailleurs, voulez-vous en avoir la preuve ? Lorsque la plupart des grandes cités du pays ont eu à désigner des administrateurs municipaux, – je vais en oublier, j’ai oublié Laon à la causerie que j’ai faite à la radio, et je m’en excuse auprès de Levindrey, Roubaix, Lille, Amiens, Arras, Nantes, Saint-Nazaire, Bordeaux, Marseille, Perpignan, Toulouse,… toutes les grandes villes de France ont mis des socialistes à leur tête. Ça n’est pas un effet au hasard, c’est exclusivement parce que lorsque les habitants de ces cités ont eu à choisir les meilleurs administrateurs parmi les plus courageux de leur Résistance, ils ont tout naturellement mis des Socialistes à leur tête.

Camarades, ces choses-là, nous avons le besoin, et nous avons le droit de les dire.
Les socialistes dans la Libération de Paris
Et dans l’insurrection parisienne, nous avons également mené un combat qu’il est peut-être nécessaire de souligner. Dans l’insurrection parisienne, c’est encore à Henri Ribière que l’on doit que la préfecture de police de Paris et que l’Hôtel de ville aient vu flotter le drapeau tricolore sur leurs toits, avant même que les Allemands aient quitté la banlieue parisienne. À la préfecture de police et à l’Hôtel de ville, tous les cadres sont des membres du Parti socialiste. Je vous dis cela, non pas par un orgueil excessif, mais je vous dis cela simplement pour que vous alliez le répéter dans vos fédérations, et pour que vos fédérations et vous n’ayez pas ce qu’Augustin Laurent appelait un jour une sorte de complexe d’infériorité. Nous ne faisons pas, sans doute, beaucoup de publicité, mais nous agissons, et nous ne trouvons pas d’ailleurs tellement bon de faire tant de publicité autour des morts, autour des fusillés, et autour des martyrs. Nous tenons simplement à faire notre travail. (Applaudissements)

Nous ne nous sommes pas contentés, pendant la clandestinité, de travailler à la Résistance armée, mais nous avons travaillé pour l’avenir, et nous avons préparé des Commissions d’études, notre camarade, Charles Dumas, a été l’initiateur d’abord, l’animateur ensuite, de ces Commissions d’études, qui ont préparé les problèmes un l’avenir, problème de la constitution, problème de nationalisation.

C’est dans la clandestinité que nous songions à l’avenir, et je me souviens que Vincent Auriol, je crois, retour d’Alger, me disait, avec quelle émotion, qu’une société, qui n’était pas une société socialiste, a étudié dans un groupe d’études, un rapport venant de France, sur la société des nations, et sur le sens que nous entendions donner à l’Europe et au monde de demain.

Vous ne vous en rendez peut-être pas compte, parce que vous avez fait tous ce travail, mais à l’étranger, dans le monde entier, le fait que le Parti socialiste résistant, luttant, participant aux attaques, participant au sabotage, ait encore eu le temps, le moyen et l’esprit de travailler pour l’avenir du pays, avait des répercutions extrêmement profondes. Je crois que nous ne nous sommes pas, ici même, rendu compte de l’importance de ces travaux, et de ces travaux d’études qui prouvaient, non seulement notre foi dans l’avenir et dans la victoire, mais en même temps que nous étions nous-mêmes le Parti de l’avenir et que nous préparions le monde après la victoire.

Le rôle des socialistes auprès de De Gaulle et au CNR
Nous avons fait cela, et nous avons participé à la création du Conseil national de la Résistance.

Le Conseil national de la Résistance est issu des conversations que nous avons eues avec les envoyés du général de Gaulle, approximativement – je le dis pour l’histoire – huit mois avant la création de ce Conseil national la Résistance. C’est dire qu’à tous moments, nous avons voulu unifier l’ensemble de la Résistance française ; nous avons voulu qu’il n’y ait qu’un seul faisceau d’énergies, affirmant l’unité de cette Résistance, et en particulier nous avons voulu que l’unité de cette Résistance se fasse autour de l’homme qui le 18 juin 1940 a incarné notre espérance et notre volonté de combattre. (Applaudissements)

Quelle a été notre position à l’égard de De Gaulle ? Très simple. Nous qui sommes fiers d’être – et avec quelle affectueuse reconnaissance – le parti de Léon Blum, notre honneur et notre drapeau, nous n’avons pas, depuis 1940, cessé un seul instant de considérer le général de Gaulle comme le seul chef du gouvernement légitime de la France. C’est être fidèle au socialisme et à la patrie, qu’il nous est impossible de dissocier, que vouloir la réussite de l’œuvre révolutionnaire entreprise par le Gouvernement de la République et le Conseil national de la Résistance. Et c’est la raison pour laquelle, dès le début, nous avons déclaré que nous étions gaullistes.

Qu’est-ce que nous entendons par là ? Le gaullisme, pour nous, est l’incarnation de l’espérance et de la volonté des combats français. Le général de Gaulle est, pour nous, l’homme qui, le 18 juin 1940, lorsque nous avons tourné le bouton de notre appareil de radio, alors qu’il n’y avait plus en nous aucune espèce d’espérance, a ranimé la flamme qui était au fond de nous, et nous a fait comprendre qu’il était absolument nécessaire de continuer le combat.

Pour nous, le général de Gaulle est, je le répète, le seul chef au gouvernement légitime de la France, et il l’est depuis le 18 juin 1940. (Vifs applaudissements)

Et c’est par conséquent, autour du général de Gaulle, autour au Conseil national de la Résistance, que le Parti socialiste a travaillé, avec l’idée essentielle à utiliser ce faisceau, ce rassemblement pour des fins d’avenir.

Dès après sa constitution, nous avons proposé au Conseil national de la Résistance, un programme commun. Je ne vous dirai pas qu’il n’y avait pas dans ce programme des lacunes, qu’il n’y avait pas des imperfections, des trous. Nous avons cependant proposé un programme dont nous avons le droit de vous dire qu’il était directement inspiré, vous vous en doutez, des programmes socialistes, programme de 1919, Cahiers de Huyghens, programme du Rassemblement populaire de 1936.

Le Conseil national de la Résistance a élaboré, en tenant compte de ces textes, un programme qui n’est pas un programme socialiste, qui est un programme ressemblant singulièrement au programme du Rassemblement populaire, avec, lui aussi, ses lacunes et ses imperfections. Mais nous tenons à dire que nous sommes associés à ce programme, à son élaboration et son exécution.

Nous tenons à dire, et nous le disons, que nous désirons que le gouvernement de la République française fasse bien totalement et complètement la programme du Conseil national de la Résistance.

Ce programme n’est pas, je le répète, totalement complet ; il ne nous plaît pas totalement et complètement. Il est, cependant. Et parce qu’il est, c’est la raison pour laquelle le comité exécutif a estimé qu’il ne devait pas rédiger avant ce congrès de programme socialiste. Il n’en est pas moins que, tout en restant fidèle au programme du Conseil national de la Résistance, tout en réclamant son application, et son application rapide, le Parti socialiste devra, sans faire de particularisme, avoir son programme propre, préparer ses mesures propres, rédiger un programme dont on pourra dire, non pas pour le jeter contre les autres, non pas pour l’opposer aux autres mais pour marquer cependant notre position, qu’il est « le programme du Parti socialiste ».

Mais je devais cette explication au congrès. Si le comité exécutif ne vous a pas présenté jusqu’à ce jour de programme spécifiquement socialiste, c’est parce qu’il estimait qu’il avait à l’égard du Conseil national de la Résistance un devoir de loyauté, qu’il s’était lié dans la clandestinité avec les autres organisations, partis et mouvements, et qu’il devait, par conséquent, rester fidèle au serment qu’il avait fait dans la clandestinité, pour l’élaboration, et maintenant pour l’exécution du programme du Conseil national de la Résistance. Le congrès aura cependant à désigner une ou plusieurs commissions d’études, qui travailleront avec les Commissions d’études du groupe socialiste à l’Assemblée, et à rédiger dans les semaines qui viendront, un programme spécifiquement socialiste.

Le Conseil national de la Résistance groupe, vous le savez, l’ensemble des partis politiques, l’ensemble des mouvements et les deux grandes centrales syndicales. Quels sont nos rapports avec ces organisations qui sont au sein du Conseil national de la Résistance ?

Nos relations avec les démocrates chrétiens
Camarades, le mouvement de libération zone nord, vous vous en doutez, entretient avec nous les relations les plus amicales, les plus confiantes. Il est composé, pour la plupart, de socialistes démocrates chrétiens, et de syndicalistes.

L’existence même de ce mouvement, et l’existence du mouvement de Libération nationale dans la zone sud qui comprend un grand nombre de nos camarades, pose une question, la question de nos rapports avec l’ensemble des mouvements de Résistance, et plus particulièrement avec ces deux grands mouvements-là.

Nous avons connu, dans la Résistance, un certain nombre d’hommes, que nous mésestimions parfois avant la guerre, qui n’ont pas les mêmes conceptions philosophiques ou religieuses que nous, et qui se sont avérés comme nous, à nos côtés, courageux, patriotes, et qui sur le plan de la politique économique et sociale acceptent les solutions qui sont les solutions au socialisme. Est-ce que nous allons déclarer que parce que ces hommes n’ont pas la même philosophie de la vie que nous, nous ne ferons pas ensemble le bout de chemin nécessaire ? (Applaudissements)

Le congrès devrait dire « non » à une telle question. Il est absolument nécessaire que nous ayons, – je pense en particulier aux démocrates chrétiens – avec eux des relations qui nous permettent de créer un vaste mouvement d’opinion dans le pays, et que nous disions que nous pouvons faire avec les démocrates chrétiens le bout de chemin nécessaire. (Applaudissements)

J’ajoute tout de suite d’ailleurs que la condition qui nous permettrait de faire cela, c’est qu’il sera entendu, pour tous et pour nous en particulier, qu’à aucun moment la laïcité de l’état et l’enseignement ne pourront être remis en cause par l’état républicain. (Vifs applaudissements)

Nous avons connu dans la Résistance des hommes qui étaient dans différents mouvements et qui auparavant n’avaient pas les mêmes conceptions économiques que nous ; à qui, il faut bien le dire aussi, la propagande de Vichy parfois a fait comprendre que le Socialisme ne pouvait pas tellement leur faire peur, à qui la situation économique a fait comprendre qu’il fallait venir vers les solutions du socialisme.

Allons-nous, sous prétexte qu’ils étalent des adversaires d’hier, dire à ces hommes qu’ils ne pourront pas venir ?

Je pense, en particulier, à ceux qui ont été déçus par l’attitude équivoque du Parti Radical. Je pense aux militants républicains sincères, qui étaient dans le Parti Radical, et qui n’ont pas compris que ce parti ne se rénove point. Je salue d’ailleurs, la rentrée, chez nous d’un grand nombre de militants du Parti Radical, comme certains maires, et certaines municipalités au Pas-de-Calais ou de la Corse.

Nous disons que nous pouvons demain être le grand parti républicain et révolutionnaire, qui groupe autour de lui l’ensemble des républicains, et l’ensemble de ceux qui veulent faire effectivement la transformation sociale. (Applaudissements)

Ouvrir le Parti aux militants de l’USR et de la GR
Tout à l’heure, Depreux évoquait le congrès de 1933 ; et c’est de cette tribune même que sont sortis les premiers accents qui ont conduit à ce que l’on a appelé « la scission néo ». Mais nous ne pouvons pas ignorer qu’à l’Union socialiste républicaine, il y avait en réalité deux catégories d’hommes absolument distincts. Il y avait ceux qui ont suivi Marcel Déat, Adrien Marquet ; et il y avait les amis, les condisciples et les fidèles de Pierre Renaudel. Il y avait ceux qui ont formé ensuite l’Union socialiste républicaine.

J’ai l’impression qu’il est peut-être symbolique que de cette tribune même, nous avons le droit de dire que ces hommes ont de nouveau leur place parmi nous. Le tri s’est opéré chez eux, il y a dans l’Union socialiste républicaine des hommes, dont je puis après tout citer les noms, cela n’indisposera sans aucun doute personne : je pense à Paul-Boncour, je pense à Paul Ramadier, et je dis que des hommes comme ceux-là devraient demain, s’ils le désiraient, pouvoir reprendre dans ce grand parti républicain patriote et fraternel que nous sommes en train de créer, leur place. (Applaudissements)

Je pense à un certain nombre d’hommes qui sont partis à ce que l’on a appelé alors dans notre jargon, la Gauche révolutionnaire, qui étaient des hommes éprouvés, veulent agir, et qui ne sont, au fond, partis que parce qu’ils ne trouvaient pas toujours dans l’appareil du Parti socialiste d’alors le besoin de création, de dynamisme avec lequel leur tempérament les incitait à travailler.

Je dis que, à part peut-être quelques meneurs que nous ne voudrions pas reprendre parmi nous pour des raisons la plupart du temps autres que politiques, ces jeunes hommes au caractère ardent et dynamique ont aussi leur place dans le Parti socialiste que nous sommes entrain de créer. (Applaudissements)

Et par conséquent, je vois dans ce parti de demain, dont le Congrès d’aujourd’hui serait la préfiguration, une sorte de grand rassemblement, à la fois républicain et révolutionnaire, groupant l’ensemble de ceux qui veulent travailler à la transformation économique et sociale, sans perdre un seul instant le souci de la notion de liberté. Nous serions en réalité ce que l’on appelait d’un mot qui a été parfois galvaudé et auquel on a donné un sens trop souvent péjoratif, nous serions la véritable « social-démocratie » c’est-à-dire ceux qui créent le Socialisme sans perdre un instant le sens de la démocratie et le sens de la liberté… (applaudissements)… et il n’y aurait dans le pays aucune autre force que la nôtre, pouvant grouper à la fois ces révolutionnaires ardents, partisans de transformations économiques et sociales profondes, et ces républicains passionnés, épris de liberté, cette liberté dont Matteotti nous disait naguère, que nous n’en connaissons le prix qu’à partir du moment où nous l’avons perdue.

Il est nécessaire que nous connaissions encore le prix de la liberté, la liberté d’ailleurs, je le dis entre parenthèses, n’est pas une chose que l’on conserve comme dans un musée. La liberté, c’est un combat de tout les instants, et c’est peut-être parce que nous n’y étions pas assez attachés, ou parce que nous pensions que nous l’avions acquise définitivement que nous n’avons pas su suffisamment pour la conserver.

Eh bien, nous pouvons être la grande organisation qui créera les conditions d’une économie dirigée dans, le cadre d’une discipline imposée par les circonstances économiques, tout en conservant les libertés politiques, les libertés publiques auxquelles chacun de nous est attaché ; et nous pouvons, par conséquent, grouper tous les français, et tous les patriotes que nous avons connus dans la Résistance et qui ont œuvré pour cela. Il y a cependant un danger. Il y a un danger à la formation d’un tel groupement, et je veux en parler ici, aussi nettement que je viens de le faire.

Nos relations avec le Parti communiste
Il ne faut à aucun moment, dans l’esprit de qui que ce soit, sous aucune forme que ce soit, que ce grand parti, dont je viens de m’efforcer rapidement de vous désigner les contours, puisse apparaître et puisse être, dans l’esprit de qui que ce soit, comme une sorte de bloc anticommuniste… (applaudissements)… dans lequel le socialisme jouerait une sorte de rôle d’aile marchante plus ou moins sociale.

Il n’y a, je tiens à le dire peut-être encore d’avantage pour la presse que pour les congressistes qui le savent, il n’y a dans le Parti socialiste aucun militant qui pense, à aucun moment, qu’il pourra appartenir à un bloc anticommuniste, quel qu’il soit, sous aucune forme. (Vifs applaudissements)

Nous avons d’ailleurs, durant la clandestinité – car je dois aussi vous parler de cela – proposé au Parti communiste un comité d’entente.

Nous lui disions : « Ce comité d’entente pourrait être, par exemple, c’était la période clandestine, composé de quatre membres, deux Communistes et deux Socialistes. Ce comité étudierait les problèmes de l’unité ouvrière, il en préparerait le cheminement. Et en écartant les obstacles, il siégerait, par exemple une fois par mois ; il servirait d’arbitre naturel entre les deux organisations, et il résoudrait sans doute facilement les conflits de tous ordres qui pourraient surgir entre elles à tous les échelons. Quel exemple pour, la France, et pour le monde, concluions-nous, si l’on pouvait constater un jour que, tout en restant unis dans les mouvements de Résistance et en ne négligeant rien de leur tâches patriotique, les deux partis de la classe ouvrière ont, dans la lutte, en pleine clandestinité, préparé les voles à l’unité de demain ! »

Camarades, ce n’est pas notre faute à nous si la réponse à cette offre de comité d’entente a été négative. Nous regrettons la négation de cette réponse et je crois que le congrès sera à peu près unanime pour dire, que l’offre que nous faisions alors n’est pas devenue caduque, que l’offre que nous faisions alors, nous avons le droit et le devoir de la répéter à cette tribune, publiquement, à nos camarades du Parti communiste. (Applaudissements)

Et cela ne signifie à aucun moment que nous acceptions de qui que ce soit des leçons, ni des de patriotisme, ni dès attaquée contre aucun des nôtres, nous voulons accepter, nous voulons penser que l’avenir du pays nécessite l’unité des deux partis de la classe ouvrière car, quels que soient les contours et les dessins au parti de demain, nous restons le parti de la classe ouvrière et du prolétariat organisé, et à aucun moment nous ne perdrons notre visage.

Mais si nous sommes partisans de l’union entre ces deux grands partis, nous tenons à dire avec autant de force que nous n’accepterons de l’autre Parti aucune attaque contre aucun de nos militants, et qu’il nous trouvera tout entier dressé contre toutes les attaques, quelles qu’elles soient. Nous l’avons prouvé dans le Populaire, récemment, lorsqu’il s’agissait de Le Troquer, ou d’Adrien Tixier. Nous continuerons, et nous pensons d’ailleurs que c’est le seul moyen pour que ces attaques cessent. En répondant à ces attaques, et en n’en acceptant absolument aucune, nous pensons que c’est peut-être justement le seul moyen de créer cette atmosphère fraternelle entre nous, qui est nécessaire, non seulement à la population laborieuse du pays, mais au pays tout entier. (Applaudissements)

Nous voulons d’ailleurs que le Parti communiste ait dans le pays sa place exacte ; et nous avons dit au général de Gaulle, lorsque nous avons évoqué avec lui la situation politique à l’égard du Parti Communiste : « pas d’exclusive, pas de favoritisme » ; aucune espèce d’exclusive contre les militants du Parti Communiste ; s’ils représentent dans certaines régions réellement une force, ils doivent avoir leur place normale, et régulière, dans tous les organismes existants, comité départemental de Libération, comité local de Libération et autres organismes ; mais il ne faut pas non plus leur faire une place de choix s’ils ne représentent pas exactement l’opinion de leur région ; chacun a place dans la proposition, et dans la mesure à peu près exacte où l’on peut fixer cette proportion et cette mesure. Et de même, au gouvernement, nous trouvons tout à fait normal que le Parti communiste soit représenté.

Nous aimerions simplement – et nous le disons franchement –, qu’il y ait un peu moins de contradictions entre l’attitude des ministres communistes et l’attitude des autres organismes communistes à l’extérieur. (Applaudissements)

Les socialistes au gouvernement
Nous-mêmes, nous sommes au gouvernement. Nous avons délégué au gouvernement trois de nos hommes. Adrien Tixier, ministre de l’Intérieur, que le Parti connaît peut-être un peu moins que les deux autres, non pas parce qu’il est un plus jeune, ou un plus récent adhérent, mais parce qu’il était à Genève, au bureau international du travail, où l’avait appelé Albert Thomas, et où l’a maintenu la confiance et d’Albert Thomas et de Léon Jouhaux, notre camarade Adrien est dans cette salle, j’aimerais que le congrès lui dise la sympathie qu’il a pour l’œuvre extrêmement difficile qu’il entreprend au gouvernement. (Applaudissements)

Le deuxième ministre dont je vais parler, vous le connaissez. Il n’est pas au rang des ministres, il est dans ce Congrès, parce que c’est son tempérament, au rang de la délégation de la fédération du Nord : Augustin Laurent… (applaudissements)… Augustin Laurent, membre du comité exécutif du Parti depuis sa fondation, et qui a accepté ce poste – j’en apporte le témoignage – sans savoir qu’il avait été désigné ; qui a commencé par me faire une scène, sous prétexte que j’étais responsable de cette désignation !

Le troisième, c’est Tanguy-Prigent, qui est présent ici lui aussi, naturellement. (Applaudissements)

Tanguy-Prigent est entré au gouvernement un peu comme dans la légende. Il était dans un maquis breton. On lui a dit : « Tu es ministre. » Il a répondu : « Quelle blague ! Je n’en crois pas un mot ! » Il a fallu qu’un envoyé spécial du gouvernement aille le chercher pour lui confirmer la nouvelle.

Camarades, j’ai dit à la fédération au Pas-de-Calais, lorsque je suis allé à Lens il y a deux semaines, et je voudrais le répéter ici, qu’on a un peu trop, surtout à l’assemblée consultative, l’habitude d’opposer le groupe de la Résistance au groupe des parlementaires. C’est une terminologie que pour notre part nous n’acceptons pas. Tous les parlementaires du parti sont des résistants ; et je voudrais vous en fournir la preuve en vous disant ce que j’ai dit à la fédération du Pas-de-Calais.

Augustin Laurent, Tanguy-Prigent, Adrien Tixier, sortant du combat, sortant du maquis, sortant de la lutte, ne sont pas des ministres qui sont sortis de je ne sais quelle boîte de bonbons enrubannée avec des faveurs bleu ciel. Les ministres Socialistes qui sont au gouvernement sont les authentiques représentants, non seulement du Parti socialiste, mais de ce que nous ne pouvons à aucun moment dissocier du Parti de la Résistance française, des maquis de la lutte et de la clandestinité elle-même. (Applaudissements)

Nous pensons d’ailleurs que la représentation du Parti socialiste au gouvernement est insuffisante ; et si nous avons discuté avec le gouvernement, ce n’est pas pour dire que nous n’acceptons pas toutes les responsabilités, mais bien au contraire, que nous n’avons pas assez de responsabilités. Si nous avions à étudier un certain nombre de dosages, comme on faisait avant la guerre, nous dirions, comme nous le pensons que la représentation socialiste au gouvernement et plutôt insuffisante, et nous voudrions encore avoir davantage de responsabilités gouvernementales.

Il n’empêche que nous sommes, à l’égard du gouvernement où nous avons délégué trois des nôtres, totalement indépendants. Nous considérons que le Parti, soutenant le gouvernement, comme il est nécessaire, comme il le pense et comme il le doit, est cependant indépendant, à l’égard d’un certain nombre de mesures prises par le gouvernement, et nous avons pris l’habitude – et le congrès dira sans doute qu’il faut que nous continuions à avoir de bonnes habitudes – de dire au gouvernement franchement ce que nous pensons lorsque nous estimons qu’il commet une erreur quelconque.

Nous le lui avons dit à plusieurs reprises, nous le lui avons dit lorsqu’il s’est agi, par exemple, du problème de la censure.

Nous nous sommes aperçus, un beau jour, que dans nos salles de rédaction, les censures ne se contentaient pas d’être des censures militaires, mais bien souvent des censures politiques ; et nous avons dit à Monsieur Diethelm : « faites attention, la censure doit être exclusivement militaire ; nous ne pouvons pas accepter un seul instant que le gouvernement de la République française fasse procéder à une censure politique sur la presse républicaine. »

Comme cela continuait, nous avons touché à un autre problème, qui est un problème qui nous angoisse tous, et qui est le problème de l’épuration. Nous avons dit au gouvernement : « faites attention, il y a entre le gouvernement et le peuple de ce pays un écran, et cet écran demeure encore trop longtemps : il s’agit de toute cette administration vichyssoise qui est encore dans certains départements ministériels… (applaudissements)… restée à sa place. Il faut que vous preniez la résolution que Léon Blum avait prise en 1936 ; il faut que vous fassiez passer le souffle républicain dans l’ensemble des administrations de ce pays ! » (Applaudissements)

Nous le lui avons dit, et nous avons le sentiment, en le disant, que nous aidons le gouvernement, puisque nous permettons ainsi un contact, et un contact plus direct entre le gouvernement et les masses populaires.

L’attitude du Parti socialiste à l’égard des milices patriotiques
Nous avons également marqué notre indépendance complète et totale à l’égard du gouvernement lorsque nous avons étudié le problème des milices patriotiques. Le problème des milices patriotiques a fait couler beaucoup d’entre, on en a beaucoup parlé. Le rôle au Parti socialiste à l’égard du problème des milices patriotiques, a été d’abord de faire comprendre que le différend qui opposait le Conseil national de la Résistance et le gouvernement de ce pays était un différent subalterne et secondaire, et qu’il ne fallait à aucun moment imaginer, et pour quelques uns espérer, qu’il y aurait une cassure quelconque entre le gouvernement et le Conseil national de la Résistance ; car ce s’est pas vrai. On a énormément exagéré les communiqués, les polémiques, et les divers propos que l’on pouvait opposer les uns aux autres. Nous tenons à affirmer ici qu’il ne peut pas y avoir opposition entre le CNR et le gouvernement, pas plus qu’il ne peut y avoir opposition entre le CNR et le gouvernement, pas plus qu’il ne peut y avoir dualité entre le CNR et le gouvernement.

La seule autorité possible, la seule autorité raisonnable, la seule autorité souhaitable, je dirai la seule autorité légitime, c’est le gouvernement provisoire de la République française. (Applaudissements)

Le Conseil national de la Résistance, issu de la Résistance, exprimant les pensées des militants de la Résistance, soutient le gouvernement, doit le soutenir, le conseiller, lui indiquer quel est son état d’esprit ; il ne peut à aucun moment y avoir dualité entre les deux organismes. Et pour ce qui concerne le problème des milices patriotiques, nous avons dit qu’il était nécessaire de mettre de l’ordre dans le pays et que nous ne pouvions pas accepter un certain nombre d’exagérations, un certain nombre d’exactions, un certain nombre de faits qui se déroulaient dans le pays et qui étaient d’ailleurs beaucoup plus, la plupart du temps, le fait de provocateurs que le fait de véritables patriotes.

Vous n’avez qu’à prendre des chiffres. Les patriotes, les membres des milices patriotiques, dans certaines villes, au moment de la Libération, ceux qui se sont battus, étaient 150 ou 200 : dans les mêmes villes, il y a maintenant 4 000 ou 5 000 miliciens. Il est incontestable que ce que l’on a appelé « la cinquième colonne » a tenté d’entrer dans les milices patriotiques, et c’est l’avis même des dirigeants de ces milices. Il est absolument nécessaire d’épurer là aussi, et de redonner aux milices patriotiques le rôle qu’elles doivent avoir.

Mais il est nécessaire aussi que le gouvernement comprenne la nécessité de créer ces groupes de patriotes, qui veilleront dans les usines, dans les ateliers, dans les bureaux, empêcher le sabotage d’un certain nombre de membres de la cinquième colonne ; et nous avons dit que les milices qui devraient être l’élite de la nation, et qui devraient se pénétrer de la grandeur de leur mission, ne peuvent à aucun moment être un pouvoir distinct du gouvernement, mais le pouvoir même du gouvernement. Il ne s’agit pas d’en faire je ne sais quelle organisation de police distincte de la police régulière, il s’agit d’en faire une organisation de patriotes, désireux de continuer à servir le pays, dont l’émanation suprême est le gouvernement lui-même.

Et nous pensons que ces milices sont liées intimement au gouvernement de la Résistance, comme le gouvernement de la Résistance est lié au peuple lui-même.

Camarades, lorsqu’il s’agit de ces positions, de ces positions générales, de ces positions à l’égard d’un certain nombre de problèmes, le comité exécutif, au Parti parle au nom du Parti, et vous aurez dans ce congrès, dans les jours qui viendront, à dire s’il a eu raison, ou s’il a eu tort, de prendre sur tel et tel problème les positions qu’ils prises. Mais le gouvernement lui-même, le Conseil national de la Résistance, plus encore peut-être que le gouvernement, prennent également des positions sans avoir pu consulter, eux nos délégués, eux leurs mandants, et eux le peuple. Et c’est pourquoi nous sommes heureux de saluer cette sorte de retour à la démocratie que constitue la réunion de l’assemblée consultative, et l’annonce faite, il y a quelques semaines, par Adrien Tixier, d’élections municipales prochaines.
Les socialistes et l’Assemblée consultative
L’Assemblée consultative s’est réunie hier. Je voudrais vous dire tout de suite ce que nous pensons de la composition de cette assemblée.

Je ne vous cacherai pas le sentiment extrêmement pénible que j’ai eu lorsqu’à l’Assemblée, j’ai vu simplement dans les tribunes du public des parlementaires socialistes résistants. Nous pensons que le gouvernement, et singulièrement le président Jeanneney, auraient été bien inspirés en écoutant les avis du Parti socialiste, et en disant qu’on ne peut pas faire de distinction autrement qu’arbitraire entre les parlementaires résistants, et que c’est l’ensemble des parlementaires qui avaient voté contre le gouvernement Pétain qui aurait dû appartenir à l’Assemblée consultative. (Applaudissements)

Le Parti socialiste a dit cela, il l’a répété sur tous les tons, il n’a pas été entendu. Nous le regrettons ; et nous tenons à dire à nos camarades qui n’ont pas été désignés pour être membres de l’assemblée qu’ils sont pour nous moralement et complètement des parlementaires socialistes, au même titre que ceux qui ont eu l’heureuse fortune d’être désignés pour être membres de l’assemblée.

Nous pensons que cette assemblée a un grand devoir à remplir. Cette assemblée, elle n’est pas évidemment l’émanation du suffrage universel, elle représente cependant à peu près complètement l’ensemble de la palette politique qui peut être dans le pays. Elle représente à peu près totalement l’ensemble du pays, l’ensemble du pays républicain et patriote. Nous voudrons saluer ce que nous ne considérerons pas comme une victoire seulement du Parti socialiste ou comme une victoire personnelle de Félix Gouin, cette élection, on peut bien dire triomphale, à la présidence de l’assemblée. (Applaudissements)

Un certain nombre d’éléments, qui n’ont pas compris grand chose à toute la politique française, avaient tenté d’opposer les parlementaires de la Résistance, ceux qui venaient d’Alger à ceux qui venaient de France, à ceux qui étaient demeurés ici, ou à ceux qui venaient de Londres. Le vote d’hier, le nombre de voix massif sur le nom de Félix Gouin prouvent qu’il ne peut pas y avoir de telles oppositions. C’est l’ensemble de l’Assemblée consultative qui a élu son président, et on ne saura plus lesquels sont arrivés à Alger ou lesquels ont eu le privilège de rester en France ; on ne saura plus qui était parlementaire d’hier, ou qui n’est pas encore parlementaire.

L’Assemblée consultative a un grand rôle à jouer, et le groupe parlementaire socialiste – dont nous avons eu la joie de voir Vincent Auriol, le plus jeune de nous tous après Bracke peut-être, devenir le président – a un grand rôle à jouer à l’Assemblée consultative. Il le jouera. Il ne se contentera pas d’étudier les problèmes de l’heure, il ne se contentera pas de provoquer de grands débats publics de politique intérieure et de politique extérieure ; il s’efforcera surtout par la noblesse de ses accents, par la grandeur de ses exposés, de rééduquer politiquement le peuple de ce pays qui, après cinq années, a perdu l’habitude de la vie publique, a perdu l’habitude de confronter loyalement le, thèses et les idées les unes aux autres. Il s’efforcera aussi, et surtout, de faire en sorte que cette assemblée naissante, et qui peut-être dans plusieurs semaines se cherchera encore, à tâtons et confusément, rejette de l’ancien Parlement toutes les mauvaises méthodes, toutes les petites querelles, tous les petits marchandages, et soit la grande éducatrice politique du pays, préfiguration de la grande assemblée constituante sur la Constitution et sur la désignation de laquelle, demain, le peuple souverain sera amené à se prononcer.

Les prochaines échéances électorales
Demain, le peuple va voter. Il votera d’abord sur les élections municipales, il votera ensuite pour des élections générales ; et nous sommes saisis d’une préposition du Front national, tendant à l’établissement de listes uniques au premier tour.

Le Front National demande la tenue de larges assemblées patriotiques, convoquées dans tous les quartiers, dans toutes les villes, tous les villages du pays où l’on exposerait le programme d’action du Conseil national de la Résistance, où l’on préciserait les conditions de son adaptation aux besoins municipaux et cantonaux, et où – demande le Front National – seraient désignés les candidats composant la liste unique de la Résistance.

Il y a, dans cette proposition du Front national, deux parties distinctes. Il y a les assemblées populaires, et il y à la liste unique. Je crois que le congrès, dans sa résolution finale ou dans une résolution annexe, pourrait rappeler au Front National que ces sortes d’assemblées patriotiques, où l’on désignerait des listes uniques de la Résistance, permettraient singulièrement aux patrons, aux hobereaux de village, de voir exactement quelle est la position de leurs ouvriers, et que, ne serait-ce que du point de vue de ces ouvriers-là et par respect pour la démocratie politique intégrale, il nous faut repousser ces assemblées de village, ces assemblées de villes, parce qu’elles ne correspondent pas à la réalité politique et à la réalité sociale du pays. Je crois qu’il nous faudra dire que nous ne pouvons pas accepter des assemblées où des agents provocateurs pourront se mêler, ou bien des hommes qui sont habitués à aller de ville en ville, l’injure aux lèvres, la menace parfois armée, à la main.

Il ne faut pas que ses assemblées aient lieu, et il faut que le retour à la démocratie se fasse par des élections simples, par des élections normales, chaque organisation désignant les candidats de son choix. Oui, liste de la Résistance commune, oui, unité de la Résistance, mais sous deux formes qui ne sont pas les formes que l’on nous propose. La première forme devra être une liste commune au second tour, et proportionnellement aux résultats du premier tour, car la proportion dans les listes ne peut se faire que selon la volonté du suffrage universel lui-même. (Applaudissements)

Par conséquent, il faudra que loyalement et tranquillement, chaque organisation ayant une réalité sociale dans le pays, aille au premier tour avec son drapeau, avec ses hommes, avec son particularisme.

Mais la seconde coalition est que ces élections aient lieu dans la fraternité, la loyauté et l’unité que ce soient plutôt avec les conceptions morales que les conceptions politiques qui l’emportent. C’est la probabilité intellectuelle, c’est le souci exclusif du bien public, c’est le désintéressement qui devront être l’apanage des candidats, et qui devront créer cette atmosphère et ce climat fraternel.

La véritable unité sera dans le ton de la polémique beaucoup plus que dans l’absence de polémique. (Applaudissements)

Et pour ce qui nous concerne, nous n’avons aucune espèce de crainte à nous présenter devant le pays.

Un parti rénové
Nous nous y présenterons comme un parti qui est à la fois un ancien parti, et un parti nouveau. Nous nous y présenterons comme le Parti dont la doctrine est inchangée. Nous nous y présenterons comme le Parti qui a complètement renouvelé ses méthodes, le ton et l’accent de la propagande.

C’est Léon Blum qui a écrit que la critique socialiste du régime actuel était devenue sous Pétain un lieu commun de rhétorique gouvernementale. C’est Léon Blum qui a écrit que le capitalisme et l’individualisme sont flétris, que la concurrence est détruite, que le système du profit est condamné, et que des dictatures arborent notre nom et se déclarent de nos formules, tout en les compromettant, comme c’était particulièrement le cas en France, de 1940 à 1944, par l’absurdité, la médiocrité ou l’hypocrisie de leurs réalisations.

Est-ce au moment où tout le monde se déclarait socialiste, est-ce au moment où le maréchal Pétain lui-même, pour être un peu moins impopulaire qu’il ne l’était, déclarait tenir les promesses des autres, que le socialisme ne se présenterait pas exactement avec sa doctrine, et avec son programme propre ?

Nous avons le droit, nous devons avoir l’orgueil, de dire que la doctrine socialiste est sortie renforcée des évènements de ces dernières années, et qu’elle a trouvé confirmation et rajeunissement dans cette sorte de consentement universel qui venait au socialisme. On a souvent sorti la formule, à mon tour je la sortirai une fois de plus, que l’hypocrisie est l’hommage que le vice rend à la vertu. Fallait-il que nous soyons vertueux tant l’hypocrisie a rendu d’hommages au Socialisme, à la doctrine, au programme socialiste. (Applaudissements)

Oui, la doctrine du socialisme est sortie intacte, elle est sortie confirmée. Le socialisme, il faudra quand même que nous le disions, et le comité exécutif du Parti m’a chargé expressément de le rappeler à ce congrès, malgré les apparences, ce n’est pas seulement un parti politique, ce n’est pas seulement le Parti qui discutait tout à l’heure, ou qui discutera demain des élections municipales, de la liste au premier tour ou au second tour du scrutin dont il se réjouit qu’il porte l’un de ses membres à la présidence de telle assemblée ; le socialisme, c’est cela, c’est entendu, par les nécessités quotidiennes, par les nécessités de la vie parlementaire ou municipale, mais c’est beaucoup plus que cela : c’est un système de civilisation, c’est une philosophie de la vie, c’est la doctrine qui appelle tous les hommes vers un régime meilleur ; et le socialisme ne sera pas réalisé seulement lorsque nous aurons la majorité des sièges dans telle ou telle assemblée, le Socialisme sera réalisé quand il n’y aura plus de misère dans le monde, lorsqu1 il n’y aura plus de malheureux et lorsque l’ensemble des produits du monde sera équitablement partagé entre tous les hommes. (Applaudissements)

Le socialisme, c’est la démocratie étendue aux rapports sociaux et organisée à l’échelle internationale.

C’est l’introduction de la justice ou de l’égalité dans la production et dans la répartition des richesses.

Le socialisme démocratique, c’est précisément la doctrine, et vous me permettrez de le rappeler, présentement en France, la seule doctrine qui puisse combiner l’ordre économique, l’égalité sociale, avec les libertés personnelles et civiques, avec la liberté individuelle, dont nous avons été frustrés, et dont seulement maintenant nous commençons peut-être à connaître tout le prix.

Eh bien ! Un parti qui a une telle doctrine, un parti qui peut se présenter sous une telle forme, n’a aucune espèce de crainte à affronter le suffrage universel, les consultations électorales,

Reconstruire l’Internationale des socialistes
Mais nous savons bien que les solutions du socialisme, les solutions que nous présentons pour l’économie de ce pays, ne seront en réalité viables, ne pourront en réalité exister, que dans la mesure où elles s’intégreront dans une économie socialiste internationale. Et nous ne pouvons à aucun moment oublier que si même nous tentions de construire le socialisme en France, ce socialisme ne serait viable que dans la mesure où il s’intégrerait à l’intérieur d’une économie socialiste internationale. C’est seulement dans la masure où le monde entier sera baigné, imprégné de socialisme, que l’on pourra le construire totalement et entièrement.

C’est seulement dans la mesure où nous construirons un bureau international au travail, solide et fort, que les réformes sociales que nous pourrons accomplir en France auront leur plein épanouissement.

Rappelez-vous, avant la guerre, la loi de 40 heures en France, et il fallait des années et des années pour, non pas imposer, mais seulement recommander à d’autres pays qu’ils puissent envisager avec faveur l’application de cette loi de 40 heures dans leur propre pays, l’épanouissement de ce qui était pratiquement la négation de ces réformes sociales en France ou dans d’autres pays.

Je disais récemment à des camarades : notre internationalisme, il n’est pas seulement un internationalisme sentimental, il est l’expression bien comprise des véritables intérêts de la classe ouvrière de ce pays.

Si nous réussissions à créer un bureau international du travail qui ne se contente pas de recommandations, mais qui puisse imposer sa loi, imposer ses réformes, imposer à l’ensemble du pays les lois sociales que nous voudrions voir appliquer, alors nous n’aurons pas seulement, pris, par exemple, la défense des ouvriers japonais, en obligeant le patronat japonais à payer ces ouvriers davantage, mais par ricochet nous aurons pris la défense des ouvriers, puisque nous aurions supprimé le dumping et la venue sur le marché français d’un certain nombre d’objets vendus à bas prix.

Par conséquent, dès qu’on étudie un problème, économique ou social, on est obligé, pour trouver sa pleine solution, et pour que la population laborieuse d’un pays y trouve sa pleine satisfaction, on est obligé de venir aux solutions du socialisme.

Il n’y a pas que le bureau international du travail qui ne doit plus seulement être un bureau de recommandations où l’on envoie des lettres affectueuses et amicales aux chefs des états pour leur demander de bien vouloir prendre en considération tel problème.

Organiser la paix entre les nations
Il y a la société des nations. Et si l’on avait écouté le Parti socialiste, depuis 1919 ou depuis 1920, – n’est-ce pas, Vincent Auriol, vous qui avez assisté au nom de notre Parti à tant de conférences internationales ? – nous avons bien le droit de dire que nous n’en serions pas là.

1933 : est-ce que la Société des nations n’aurait pas dû dire à l’Allemagne : « nous n’acceptons pas que le chancelier du Reich soit le chancelier Hitler, parce que nous considérons que Hitler est un danger pour la paix » ? Il n’aurait pas dû s’agir, à aucun moment, d’un problème franco-allemand.

C’est l’ensemble des nations civilisées, c’est la société des nations toute entière, qui, au risque de pénétrer dans la politique intérieure d’un pays, aurait dû dire à l’Allemagne : « Non, nous n’acceptons pas que Hitler soit chancelier du Reich, parce qu’Hitler est un danger pour la paix. »


En 1935, est-ce que vous ne croyez pas qu’une société des nations forte et puissante, aurait empêché Monsieur Pierre Laval de torpiller les sanctions contre l’Italie mussolinienne, lorsqu’elle s’est jetée sur l’Éthiopie désarmée et impuissante ?

En 1936, une société des nations puissantes aurait dû déclarer à l’Allemagne hitlérienne : « nous n’acceptons pas la remilitarisation de la Rhénanie, car la remilitarisation de la Rhénanie, c’est une atteinte à la paix, et c’est le prélude de la guerre. » Et l’on pourrait multiplier les exemples les uns après les autres.

Nous avons acquis la preuve que l’on n’a pas écouté les solutions du Socialisme, et qu’il nous faudra demain créer une société des nations qui soit une société des nations forte et puissante, ayant ses moyens d’imposition de ses solutions, ayant les moyens d’imposer à l’ensemble des nations civilisées les solutions qu’elle préconise pour le maintien de la paix.

Oui, il nous faudra une société des nations dont la souveraineté soit supérieure à chacune des souverainetés nationales. (Applaudissements)

Il faudra d’ailleurs que cette société des nations s’occupe des problèmes économiques réels, et ne soit plus seulement un lieu de rencontre internationale ou je ne sais quelle réunion d’arbitrage. Il faudra que cette société des nations s’occupe de la répartition des matières premières, des denrées de première nécessité, des transports, des conditions de la main d’œuvre, de l’hygiène, des travaux publics, de la législation douanière, de la législation du travail, des changes, de la monnaie. Autant de problèmes à résoudre, autant de questions à résoudre.

Je tiens à dire en particulier à notre camarade de Brouckère que nous ne concevrions pas, pour ce qui nous concerne, une société des nations qui n’ait pas à côté d’elle une Internationale ouvrière Socialiste forte et puissante.

De Brouckère, lorsque vous rentrerez en Belgique, et que vous rencontrerez Camille Huysman, et nos camarades de l’Internationale, dites-leur que les vœux du Parti socialiste français sont la recréation et la rénovation de l’Internationale ouvrière Socialiste dont l’existence est plus que jamais nécessaire. (Applaudissements)

Vous voudrez bien, de Brouckère, dire à nos camarades de l’Internationale ouvrière Socialiste, que le Parti socialiste français n’a pas voulu modifier son titre, et qu’il continue glorieusement et avec orgueil à s’appeler « section française de l’Internationale ouvrière ».

Et que pour ce qui me concerne, lorsque je suis allé à Londres, dans la même journée, j’ai remis ou confirmé au général de Gaulle l’attachement inconditionné et complet du Parti Socialiste, à la politique d’espérance et de combat qu’il a avait commencé à mener depuis le 18 juin 1940 ; et à Camille Huysman, j’ai confirmé l’adhésion du Parti à l’Internationale ouvrière.

Il n’y avait en ce qui me concernait, ni duplicité, ni contradiction. Nous ne serions pas Socialistes si nous n’étions pas patriotes et internationalistes. (Applaudissements)

Les rapports entre la France et l’Allemagne
Il nous faudra d’ailleurs étudier, en même temps que les problèmes de la société des nations, les problèmes spécifiques, des rapports entre la France et l’Allemagne.

Je n’ignore nullement la délicatesse du sujet que je commence à aborder à cette heure tardive. Je n’ignore nullement que pour l’instant tout homme revêtu d’un uniforme allemand est an ennemi que nous avons le devoir d’abattre instantanément et impitoyablement.

Mais je demande au congrès de bien vouloir, avec sérénité, étudier les causes de la guerre et étudier les causes de la venue du nazisme et du fascisme.

Je lui demanderai, entre parenthèses, et très rapidement, de ne pas oublier le traité de Versailles, la politique de la bourgeoisie franco-anglaise à l’égard de la République de Weimar, accordant à partir de 1933 à Hitler tout ce qu’elle avait refusé aux républicains allemands.

Je voudrais simplement dire que la France serait sage en imposant à l’Allemagne une politique qui soit d’abord l’extermination totale, complète et impitoyable, de tous les cadres du nazisme et du fascisme. Nous ne sommes pas des gens particulièrement sanguinaires, et nous ne demandons pas de passer au fil de l’épée des dizaines et des centaines de milliers d’individus. Mais, pour tout ce qui concerne les cadres du nazisme, il faudra que le monde de demain soit totalement et complètement impitoyable.

Et il faudra ensuite supprimer les privilèges des grands hobereaux de l’est, et rendre aux paysans de la Prusse orientale les terres appartenant à leurs féodaux. Il faudra faire disparaître l’esprit de caste prussien qui, régulièrement, tous les vingt ans ou tous les quarante ans, précipite l’Europe et le monde dans la guerre. Il faudra abolir les pouvoirs des grands industriels de l’ouest, par la nationalisation des mines et des entreprises sidérurgiques de la Ruhr, notamment nationaliser les grandes entreprises de produits chimiques qui sont l’essence même de la production de guerre du Reich.

Il faudra rééduquer le peuple allemand, et soumettre à un contrôle qui sera international, les manuels scolaires diffusés et distribués dans les écoles allemandes. Il faudra faire tout cela.

Mais n’avez-vous pas le sentiment que, lorsque toutes ces tâches auront été accomplies, c’est quand même et malgré tout avec le peuple allemand, qui existe, dont on ne peut nier ni l’unité, ni l’existence même c’est avec lui quand même qu’il faudra construire la société des nations ; et qu’il faudra, de gré ou de force, c’est entendu, mais qu’il faudra quand même que l’Allemagne de demain, qui sera une Allemagne populaire, une Allemagne par essence même antinazie et révolutionnaire, ait sa place dans les années qui viendront, lorsqu’elle se sera expurgée de cet esprit de caste et du nazisme, à égalité une société des nations rénovée. (Applaudissements)

Il faudra que nous disions cela. Il faudra que le socialisme affirme cela, et s’est en cela que le socialisme n’aura pas changé, et qu’il aura été la section française de l’Internationale ouvrière.

La réorganisation interne du parti
Le Parti toutefois, camarades – c’est la dernière partie d’un exposé déjà trop long –, le Parti devra toutefois indiquer qu’il n’est pas le Parti d’hier et qu’il est un parti changé. Il est un parti changé, et il devra être dans sa structure et dans sa composition même.

Il est impossible que le congrès qui s’ouvre aujourd’hui, à la fin de ses travaux désigne un organisme central, avec représentation des tendances. Il faut à toutes forces que la Congrès affirme que, pour ce qui le concerne désormais, l’organisme central du Parti sera composé des meilleurs du Parti, sans distinction de tendances. (Applaudissements)

Il faudra que le Parti affirme désormais, qu’il n’accepte plus, qu’il n’accepte pas, qu’il n’acceptera plus jamais l’existence de tendances organisées dans le Parti. (Applaudissements)

Il faudra qu’il affirme que son organisation centrale, car vous pensez bien que tous les organismes centraux sont démissionnaires à partir de l’ouverture du Congrès, que l’organisme central qu’il désignera, élu, sur une liste, tout bonnement, sur laquelle on mettra des noms, par ordre alphabétique, et sur laquelle le Congrès souverain désignera les meilleurs. Et ce seront certainement les meilleurs, non pas les meilleurs de tel ou tel courant d’esprit, mais les meilleurs du Parti tout entier. (Applaudissements)

Et il faudra que cette nomination, le congrès tienne compte qu’il y a dans ce parti des hommes nouveaux, et des hommes anciens.

Il faudra que l’organisme de demain soit un brassage étroit, complet et fraternel, de ces hommes nouveaux et de ces hommes anciens.

Nous ne pouvons, à aucun moment, accepter le langage que tiennent quelques hommes de la génération, disant que la génération précédente a plus ou moins démérité en temps de guerre. Pour le socialisme, il n’y a pas non plus de problème de race qui se pose. Il ne pourra pas y avoir une sorte de numerus clausus des anciens ou des jeunes, ou des moins jeunes, ou une sorte de numerus clausus qui se baserait sur je ne sais quelles attributions, qui ne seraient d’ailleurs que les relents de la propagande hitlérienne que nous avons trop connus.

Il faudra par conséquent que ce congrès désigne un organisme central. Cet organisme central devra, à son tour, nommer un secrétariat. Nous vous proposons une organisation qui soit une organisation différente de l’ancienne.

Il nous faudra désigner un secrétaire aux questions de jeunesse, par exemple :

- un secrétaire chargé plus particulièrement charger de s’occuper des questions de la propagande féminine,

- un secrétaire qui devra s’occuper de la propagande tout court, de l’organisation du calendrier des réunions, et de l’organisation rapide, dans tout le pays, de larges tournées de masse, allant dire au pays ce que nous sommes, ce que nous voulons, et aussi ce que nous ne sommes pas, et ce que nous ne voulons pas être. (Applaudissements)

Il nous faudra créer un secrétariat aux problèmes de la presse et aux problèmes des éditions.

Il faudra d’ailleurs que ce secrétariat crée à son tour une sorte d’agence socialiste de presse, qui s’en ira immédiatement répercuter dans les fédérations l’orientation du Parti, les articles de nos camarades, les discours, la propagande et la documentation écrite que nous nous efforcerons de trouver, et qui soit le lien normal et direct entre le secrétariat du parti et les journaux, les quotidiens et les hebdomadaires, que nous allons vous aider à créer, multiple, nombreux, dans tous les coins de la France républicaine et de la France socialiste.

Il nous faudra un secrétariat aux Commissions d’études, ces Commissions d’études oui devront prendre en mains tous les problèmes les uns après les autres, questions économiques, nationalisations, problèmes extérieurs, affaires étrangères… Il faut que, sur chacun des problèmes, le Parti socialiste ait ses conditions propres. Il faut que, sur chacun de ces problèmes, le Parti socialiste ait sa documentation, officielle c’est entendu. Mais il faut que chaque secrétaire de section soit averti par le canal du secrétariat du Parti de tous ces problèmes, et qu’il reçoive les schémas de causeries, la propagande nécessaire, les armes qui lui permettent de répondre à nos adversaires, et plus encore de répandre partout les solutions que le socialisme apporte à l’ensemble des problèmes qui sont posés partout. (Applaudissements)

C’est en cela que nous sommes différents de l’ancien Parti, en ce sens que nous aurons un appareil de Parti, si vous le voulez bien, qui sera absolument distinct, dans ces méthodes de travail, dans ses méthodes de recrutement.

Notre morale socialiste
Mais, camarades, je voudrais terminer en vous disant qu’il nous faudrait aussi changer le ton même de notre propagande. Il faudra, si vous le préférez, et sans que je passe ici pour un pasteur anglican ou pour un quaker, que nous mettions, dans le ton de notre propagande quelques accents moraux, quelques accents de moralité nouvelle.

Il ne faut pas que nous nous contentions de faire des appels à l’adhésion individuelle, surtout là ou nous sommes puissants et où nous risquons d’avoir des gens, qui adhéreront en pensant qu’ils pourront devenir par la suite secrétaire du maire, ou balayeur municipal. Il faut que nous ayons des hommes qui comprennent que le Parti socialiste n’est pas une sinécure, mais que le Parti socialiste est un combat. Il faut qu’il y ait dans notre Parti des hommes qui comprennent qu’en venant au Parti ils se donnent tout entier à lui, et que ce n’est pas le Parti qui se donne à eux.

Il faudra qu’il y ait des hommes qui comprennent qu’ils doivent être les meilleurs partout, à l’atelier, au travail, dans la vie, qu’ils doivent être partout les meilleurs, et par conséquent des modèles ; que le socialiste, où qu’il soit, est, le qu’il le veuille ou qu’il ne le veuille pas, le drapeau du socialisme tout entier, et que l’on juge le Parti par les actes individuels de ses militants. (Applaudissements)

Que, par conséquent, il devra donner partout l’exemple de la liberté, l’exemple de la loyauté, l’exemple du désintéressement absolu, de la grandeur d’âme qui sont l’apanage des forces jeunes. Car nous sommes une force jeune, et il faudra qu’on le sache. Il faudra que partout nous ayons des hommes qui comprennent qu’ils sont venus à nous pour travailler, qu’ils sont venus à nous pour agir.

Camarades, au début de cet exposé qui se termine, je ne vous ai pas donné de mot d’ordre. Je n’aime pas les formules historiques. Il faudra quand même que ce congrès comprenne qu’il ne devra pas se contenter tout à l’heure, de dire si le comité exécutif du Parti a bien ou mal agi. Il devra se donner un mot d’ordre.

Ce mot d’ordre ne doit pas être un petit mot d’ordre. Nous ne devrons plus faire de politique à la petite semaine. Camarades, ralliement autour du Parti socialiste pour un seul mot d’ordre : création des États-Unis socialistes du monde ! (Vifs applaudissements)
 

 
© L'OURS - 12 cité Malesherbes 75009 Paris