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L'OFFICE UNIVERSITAIRE DE RECHERCHE SOCIALISTE
 
Mollet, Europe, 1965
Guy Mollet,
L’Europe vue par un socialiste français
Extraits* de la brochure publiée en 1965


* Guy Mollet, La construction européenne... vue par un socialiste français, supplément. à la Documentation socialiste, n° 156, avril, 1965, Parti socialiste SFIO, 23 p.

[…] De ces conférences et d’autres, du cheminement de l’idée européenne, est sorti le Conseil de l’Europe dont la première session s’est tenue à Strasbourg du 8 août au 8 septembre 1949. Tout de suite, dès la création du Conseil de l’Europe, une première ligne de démarcation se forma entre les différents pays participants, qui sépara les « fédéralistes » de ceux qui s’intitulèrent eux-mêmes les « fonctionnalistes ». Grosso modo, s’affrontaient ainsi les conceptions particulières aux « hommes du Nord » (Britanniques et Scandinaves) et « hommes du Sud » (à condition de ranger dans cette dernière catégorie Français, Belges et Hollandais). La distinction pour grossière qu’elle fût – et singulièrement faussée par l’évolution même du problème – comportait, à l’origine, une part de vérité.

« Fédéralistes » et « Fonctionnalistes »
La plupart des peuples d’origine latine méritent un peu le reproche d’avoir le souci exagéré du cadre bien décrit, de la Constitution en quelque sorte préfabriquée. Quand nos amis anglais ou scandinaves nous parlent de cet aspect de notre tempérament, ils disent que nous traçons un cadre et que, celui-ci tracé, nous essayons d’y faire entrer la vie, quitte à modifier un peu la vie ou à faire éclater le cadre. Souvent, d’ailleurs, au lieu de nous appeler « fédéralistes » ils aiment nous appeler « constitutionnalistes » et à opposer notre méthode à la leur. Pour eux, déclarent-ils, pas de constitution écrite (et c’est exact au moins en droit constitutionnel britannique) : la coutume en tient lieu.
Se servant des institutions déjà existantes, ils les font « fonctionner » en les rodant, en les poussant de leur mieux vers le but défini en commun, sans cadre préalablement établi, sans constitution formellement écrite. À cette méthode empirique, ils aiment donner le nom de « méthode fonctionnelle ».
Mais il apparut bientôt que, dans l’esprit de certains représentants britanniques et scandinaves, le « fonctionnalisme » était surtout un moyen de temporiser, une façon de prendre le moins d’engagements possibles. En fait lorsque nos amis d’outre-Manche – en particulier – furent placés, comme on dit, « au pied du mur », nous dûmes prendre conscience de leur opposition de principe à tout abandon partiel de souveraineté supranationale. Mais, tout en regrettant l’excès de prudence – pour le moins – dont ils faisaient preuve, j’ai toujours eu en même temps la conviction que leur opposition même à des abandons de souveraineté n’était pas si irréductible, ni si définitive que certains pouvaient le croire – ou voulaient le faire croire. Je continue de penser qu’il eût été possible d’amener les Anglais assez loin dans la voie que nous voulions suivre à condition, d’abord, de ne pas mettre en avant des théories rigides, mais de leur parler un langage concret et réaliste, et ensuite de vouloir sincèrement et, si l’on peut dire, de vouloir activement, leur participation. À l’appui de cette affirmation, je retiens notamment l’interview accordée par notre camarade Herbert Morrisson, alors au Foreign Office, au Monde le 14 octobre 1951 où il déclarait : « Nos vieilles méfiances à l’égard du Conseil de l’Europe ont presque complètement disparu. Le peuple britannique est très attaché à son mode de vie politique et à ses institutions. Cela ne signifie pourtant pas qu’il faille exclure, dans l’avenir, une refonte éventuelle de nos institutions, pourvu que les réformes proposées jaillissent de l’expérience. » En vérité, certains hommes d’État « continentaux » se sont dès l’origine de la construction européenne résignés bien vite, voire avec une sorte d’empressement, à l’abstention britannique.

Un souci primordial :
intégrer l’Allemagne

Quoi qu’il en soit, la volonté manifestée par nos alliés britanniques de tenir, provisoirement du moins, une « place à part », est un fait dont il nous a fallu tenir compte, tout en prenant conscience d’une autre réalité, impliquée celle-ci, comme on l’a vu, dans la « question allemande », à savoir la nécessité d’intégrer l’Allemagne dans un ensemble soumis à une autorité supranationale. C’est ainsi que nous avons été amenés à substituer au schéma d’une Europe politiquement fédérale dès l’origine, celui des autorités spécialisées, chacune étant affectée à un domaine précis : charbon-acier, défense, transports, etc., qui mènerait progressivement à une union économique totale, pour aboutir à une union politique. L’avantage de la formule était d’une part de permettre une intégration réelle, poussée, dans des domaines économiques même limités à l’origine, d’autre part de ménager l’adhésion future des nations qui, momentanément, désiraient demeurer à l’écart. Il fallait leur démontrer, et notamment aux Anglais, qui sont des réalistes, que l’entreprise européenne si audacieuse fût-elle, pouvait réussir et laisser la porte ouverte à leur entrée éventuelle.
J’ai à l’époque proposé à mes amis continentaux, en somme, de prendre au mot les Anglais qui nous disaient invariablement : « Nous ne voulons pas entrer dans un cadre rigide, nous sommes, nous, des réalistes. » C’est ainsi qu’au Conseil de l’Europe a été lancée l’idée d’un pool charbon-acier, dont Robert Schuman et Jean Monnet devaient être les promoteurs et les animateurs. Les Anglais nous ont dit « bravo », mais ils ne nous ont donné que leur bénédiction. Le caractère supranational de nos institutions a continué à les effrayer. Néanmoins, ce que nous espérions, au départ s’est produit, puisque devant le succès de la Communauté européenne du charbon et de l’acier,puis celui du Marché commun et de l’Euratom, les Anglais ont demandé d’entrer dans l’Europe.
Il restait, certes, beaucoup à faire pour qu’ils en viennent à une adhésion complète, sans réserves. Mais l’idée cheminait. De Gaulle a alors commis la faute historique de leur opposer son veto personnel.

Les premières réalisations
La réussite de la Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA) a été telle que très vite les pays membres ont voulu aller plus loin. La phase suivante s’est traduite par deux traités, celui du Marché commun et celui de l’Euratom. La légende veut que ce ne soient pas nos traités.
L’histoire veut cependant que ce soit notre œuvre.
C’est la fierté du gouvernement à direction socialiste d’avoir négocié les traités d’Euratom et du Marché commun européen, et c’est à un ministre socialiste français qu’il a été donné de les signer.
Les hommes qui ont rédigé le traité du Marché commun s’accordaient à constater qu’il n’était pas une fin en soi, mais un moyen de déboucher, grâce à une intégration économique toujours plus poussée, sur une union politique.
Où allons-nous ?
Europe des patries ? Europe des patrons ? Europe des peuples ?
Quelle Europe veut-on faire ? Un amateur de slogans disait un jour qu’il fallait choisir entre :
– l’Europe des patries ;
– l’Europe des patrons ;
– l’Europe des peuples.
L’image est parlante, mais je ne crois pas qu’elle donne une idée très juste du problème posé : les « patrons », en effet, peuvent trouver leur compte dans une association d’États souverains comme dans une Europe fédérée.
Je préfère décomposer la question et dire qu’il y a deux choix successifs à faire.
D’abord la forme de l’Europe.
Alliance d’États souverains ou fédération d’États acceptant des transferts de souveraineté ?
Si l’alliance d’États souverains prend le nom d’Europe, ce n’en est pourtant que la caricature.
L’Europe des patries, c’est la thèse du général de Gaulle.
Soit qu’il entende préserver la souveraineté française suivant le principe « charbonnier est maître chez soi » (1).
Soit qu’il pousse son audace jusqu’à la confédération mais alors sous direction, sous tutelle française (2).
Et quand il parle de l’Europe intégrée, fédérée, c’est pour la condamner ou la brocarder : « Les étrangers ne feront pas la loi... Les technocrates apatrides... le Volapük...»

Pour une Europe fédérée
Europe des patries ou Europe fédérée ? Ce n’est pas là une vaine querelle de vocabulaire. De même que les institutions sont nécessaires dans nos pays libres pour canaliser les efforts des citoyens et des groupes politiques et pour les faire concourir à l’intérêt général – ce n’est pas le général de Gaulle qui démentira ce besoin d’institutions respectées – de même, des institutions indépendantes et dotées de pouvoirs suffisants sont nécessaires dans la Communauté européenne pour dégager une position commune des gouvernements, arbitrer parfois entre eux, dire aux peuples et aux dirigeants quel est l’intérêt de la Communauté et les faire tous concourir à la réalisation des tâches d’ensemble.
J’espère que demain nous reprendrons cette marche vers une Europe unie, peu à peu intégrée avec, au-dessus des décisions nationales, des décisions supranationales, prises d’ailleurs par des hommes politiques et non par des technocrates. La politique gaulliste nous ramène aujourd’hui à une Europe des patries, des nations, c’est-à-dire en fait à une simple alliance, à une coalition de type traditionnel bien insuffisante pour l’Europe moderne.
Nous sommes donc pour l’Europe fédérée. Je rappelle, au passage, que c’est la seule qui apporte une solution au problème allemand tel que je l’ai posé. C’est pourquoi nous nous prononçons pour la fusion des exécutifs de la CECA, du Marché commun et de l’Euratom, mais surtout pour le renforcement du rôle et des pouvoirs du Parlement européen ainsi que son élection au suffrage universel direct.
Les prérogatives du parlement européen devraient particulièrement être accrues en matière budgétaire. Les traités devraient lui être soumis pour approbation, non plus pour simple avis. L’exécutif devrait recevoir l’investiture du Parlement. Enfin l’élection de ce Parlement au suffrage universel direct est pour nous une exigence essentielle. Car la construction de l’Europe ne saurait se traduire par un affaiblissement de la démocratie.
Le projet gaulliste d’union politique, dit plan Fouchet, n’est qu’une caricature de construction politique. Il se résumerait, s’il était accepté par les autres pays membres du Marché commun ce qui est loin d’être le cas, à de simples réunions régulières et consultatives entre dirigeants nationaux. Quant au pacte franco-allemand, seule « réalisation » politique européenne du régime gaulliste et qui fait à deux ce que le plan Fouchet visait à faire à six, son échec admis par de Gaulle montre ce que l’on est en droit d’attendre de l’Europe des patries !

Économie libérale ou économie planifiée ?
Le problème de la forme supposé réglé, se pose le problème du contenu de l’Europe, celui de la politique économique et sociale de cette Europe.
Sur l’objectif politique de la construction européenne, sur les thèmes fédéralistes que je viens d’exposer, un large accord existe entre des hommes par ailleurs aussi différents que MM. Paul Reynaud ou Motte, Lecanuet ou Pflimlin, Maurice Faure ou Gaillard et nous-mêmes. Et ce que je viens de dire de la France vaut pour d’autres pays.
Mais sur les objectifs économiques de la construction européenne, sur la politique économique à suivre, l’accord n’est pas fait. Cette économie sera-t-elle libérale ou planifiée ? C’est là que notre amateur de slogans introduirait sa distinction entre l’Europe des patrons et l’Europe des peuples.
Le libéral se satisfait volontiers de la libération des échanges. Et les trusts ou les cartels ont vite fait de réorganiser en Europe leurs ententes hier nationales. Le socialiste s’oppose à cette conception. S’il accepte la libération des échanges, il entend qu’elle soit accompagnée de l’élaboration d’une politique commune, du contrôle des ententes et des cartels, de l’harmonisation des charges salariales, sociales et fiscales. Nous ne voulons pas confondre union économique et union douanière.
Certes de nombreux libéraux acceptent l’idée d’une planification, mais ils se séparent encore de nous quant à la nature de cette planification. Le Marché commun, en obligeant les industriels à se mesurer avec la concurrence, les a incités à procéder souvent à une certaine planification. Mais celle-ci ne s’est pas faite dans l’intérêt général ; elle a été conçue en fonction d’intérêts privés, qui sont souvent en contradiction avec l’intérêt général. C’est ainsi qu’on a notamment procédé à de larges autofinancements, qui constituent en fait des dissimulations de bénéfices, qui pourraient être mieux utilisés pour l’ensemble de la Communauté. Je ne retiendrai qu’un exemple, celui de la construction par toutes les compagnies pétrolières d’une multitude de postes à essence - souvent déficitaires - au long des routes de France et, d’ailleurs, de tous les chemins d’Europe.
Nous autres socialistes, nous estimons que l’Europe ne peut avoir de vie réelle, de structures valables, qu’à la condition que les travailleurs, non seulement y soient associés, mais ressentent intimement, grâce à une planification de caractère démocratique – et aussi de caractère social – l’intérêt qu’ils ont à y participer. Le combat à mener suppose que les socialistes et les syndicalistes européens fassent entre eux l’effort d’unification nécessaire de leur propre combat.

Pour une monnaie européenne...
Les objectifs et les difficultés ainsi connus, il devient plus facile d’apprécier les événements présents ou prochains.
La conclusion de l’accord sur un prix européen des céréales, événement à la fois, présent, dans la mesure où il vient d’être signé, et prochain, dans la mesure où le prix européen est prévu pour 1967, retient particulièrement l’attention par son importance.
De ce qui procède immédiatement, la préoccupation socialiste opposée à la préoccupation libérale, certains pourraient conclure que nous ne sommes pas pleinement satisfaits. Il est bien vrai que tout n’est pas réglé, que certains peuvent être tentés de « faire du blé » dont nous avons trop, plutôt que de la viande dont nous sommes déficitaires. Il est exact que le consommateur risque de supporter les contrecoups des avantages – légitimes cependant – ainsi accordés au producteur. Et l’on pourrait ajouter bien des réserves lorsque le règlement financier sera complètement mis au point.
Et pourtant c’est sans réserves sérieuses que je me félicite de l’accord intervenu. Si une telle décision ne comble pas le socialiste, elle réjouit le fédéraliste européen1.
D’abord la menace de rupture est reportée.
Ensuite le marché commun agricole engage l’Europe dans la voie de la planification.
Enfin l’établissement de prix européens nous engage nettement dans la voie de la monnaie européenne. Car comme tous les prix seront fixés en « unités de compte monnaie européenne », c’est-à-dire en dollars, un pays ne pourra plus dévaluer sa monnaie nationale sans automatiquement relever le prix de ses céréales d’un pourcentage égal à celui de la dévaluation.

...Vers l’Unification politique
Pour expliquer la chose, prenons un exemple. Le dollar vaut cinq francs. Le prix du quintal de blé est fixé, mettons, à dix dollars, soit cinquante francs. Vient une dévaluation du franc à un taux normal, comme nous en avons déjà eue : le dollar, au lieu de valoir cinq francs, en vaut six. Le prix du quintal de blé sera toujours de dix dollars, puisqu’il a été fixé ainsi, mais ces dix dollars vaudront soixante francs au lieu d’en valoir cinquante. Une telle hausse est inconcevable, tous les prix suivraient et l’économie serait précipitée dans une crise inflationniste. On voit, par cet exemple, que les monnaies nationales ne sont plus adéquates à l’ère des prix européens fixés et unifiés. Il faudra une monnaie européenne. Et qui dit « monnaie européenne » suppose l’un des transferts de souveraineté les plus importants qui se puissent concevoir. Si bien que l’accord pour un prix européen des céréales a une portée politique immense.
À qui le doit-on ? « À de Gaulle ! », s’écrient les uns. Plutôt, en vérité, aux Allemands qui ont fait un sacrifice économique très lourd dans un but politique : la relance de l’unification politique européenne. Mais aussi, pourquoi ne pas le dire, à ces « technocrates apatrides », hier dénoncés, et à la tête desquels une place de choix revient à notre ami Mansholt, ancien ministre socialiste de l’Agriculture aux Pays-Bas.

Vers l’Europe politique
Une course contre le temps

Ce qui importe beaucoup plus que la répartition des mérites, c’est la conclusion que l’on peut, que l’on devrait en tirer : L’heure est venue d’une véritable relance politique. Y est-on prêt ?
Et c’est là que j’aborde le dernier point de mon exposé : mes inquiétudes.
Les fédéralistes européens engagent aujourd’hui une course contre le temps. Si la thèse affirmée par le général de Gaulle devait l’emporter, c’est-à-dire celle des souverainetés intangibles, non seulement on n’ira pas plus loin, mais encore tout ce qui a été fait sera un jour défait.
Et je vais, pour éclairer ma pensée, reprendre celle des raisons invoquées tout au début de mon exposé : le problème allemand. Certes les Allemands sont encore profondément européens. Au lendemain de la guerre, les Allemands se sont trouvés avec un pays ravagé, écrasé, presque entièrement détruit, divisé, ayant perdu des centaines de milliers d’hommes, avec, sur le plan moral, l’impression d’être haïs du monde entier.
À ce moment-là, dans l’après-guerre, l’idée européenne, c’était pour l’Allemagne la chance de refaire une nation nouvelle. L’Europe c’était la lumière au bout du tunnel, l’espoir, l’égalité des droits. Ils ont été et ils sont encore sincèrement européens.
Hélas, le nationalisme est contagieux. Si aujourd’hui on leur dit, comme leur dit de Gaulle : « Charbonnier est maître chez soi ! » ; « L’Allemagne comme la France n’ont connu les années de leur vraie grandeur que par les armes » ; « Il n’est d’Europe que des patries »... ; si, en plus, on leur fait la cour, si chaque pays se veut plus offrant notamment sur le plan de la participation à l’arme atomique, pourquoi seraient-ils demain plus européens que l’Europe ?

L’Europe doit être supranationale
Or c’est un danger gigantesque. Car d’une part les Allemands ont la préoccupation, que j’estime normale, de refaire l’unité alle-mande. Si la France était divisée et si une ligne de démarcation coupait notre pays en deux, nous aurions tous à cœur de refaire l’unité française. Qui peut transformer ce but de la politique allemande en réalité ? Les États-Unis ? La Grande-Bretagne ? La France ? Cela suppose une guerre internationale qu’aucun de ces pays ne fera jamais. Mais un pays peut faciliter la réunification de l’Allemagne : c’est l’URSS. D’autre part, l’Allemagne, dont l’industrie rebâtie est la plus riche d’Europe et dont la production industrielle est supérieure à celle de la France, est toujours à la recherche de débouchés nouveaux. Qui peut les lui offrir ? Tout le monde bien sûr, mais l’Europe orientale, y compris l’URSS, peut lui en offrir davantage que quiconque. De l’autre côté du rideau de fer, on ne cesse de faire appel aux exportations allemandes. Et si j’en juge d’après les déclarations que m’ont faites les dirigeants soviétiques, suivant lesquelles ils seraient tout disposés à faire un « nouveau Rapallo », en tout cas, le risque existe. Et le seul moyen sûr de l’éviter est d’intégrer l’Allemagne à l’Europe, et non pas d’ériger en principe suprême, comme le fait de Gaulle, la thèse du « charbonnier qui est maître chez soi ». L’Allemagne est prête à prendre sa place dans l’Europe. Mais pour cela l’Europe doit être autre chose qu’une Europe des souverainetés. Elle doit être supranationale. Il ne faut pas manquer cette chance historique.
Pour terminer sur une note moins pessimiste, je dirai que le dernier geste de l’Allemagne, son acceptation même au prix d’un lourd sacrifice économique d’un prix européen des céréales, et la volonté affirmée récemment par les sept partis socialistes (sept parce qu’il y en a deux en Italie, celui de Saragat et celui de Nenni) de poursuivre la construction de l’Europe intégrée me donnent une confiance nouvelle.
Et puis je ne serais pas socialiste si je n’étais résolument optimiste et si je ne croyais à la marche constante vers le progrès et l’union de l’humanité.

(1) « La France doit être la France vis-à-vis de tous les pays, si grands qu’ils puissent être. À l’ONU, dans l’OTAN, en Europe… la France veut être la France, elle veut être elle-même. » 26 septembre 1963, discours prononcé à Saint-Dié.
(2) « D’un groupement ayant pour artères la mer du Nord, le Rhin, la Méditerranée, c’est à la France que doivent revenir le devoir et la dignité d’être le centre et la clé. » 7 mars 1948, discours de Compiegne. « Il faut bâtir l’Europe occidebtale… Mais de ce groupement, le centre physique et moral, c’est la France.» 17 avril 1948, discours de Marseille, clôture des assises nationales du RPF.
(3) Cette appréciation optimiste part de l’espoir que nul, demain, ne viendra contrarier ce courant favorable.
 

 
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