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L'OFFICE UNIVERSITAIRE DE RECHERCHE SOCIALISTE
 
Bréhier/ Patrick Weill 321
Qu’est-ce qu’un Français en 2002 ?
Par Émeric Bréhier
à propos du livre de :
PATRICK WEILL
Qu’est ce qu’un Français ?
Histoire de la nationalité française depuis la Révolution

Grasset 2002 450 p 21,50 #

Ambitieux, dense, l’intérêt de l’ouvrage de P. Weill, Qu’est ce qu’un Français ? est triple : d’abord il fourmille d’informations et de précisions sur une politique publique ; ensuite, il surprend souvent un lecteur peu au fait de l’histoire de la nationalité ; enfin, en une vision comparatiste stimulante, l’auteur tord le cou à quelques certitudes bien établies sur les différences entre les droits de la nationalité allemand et français, perçues comme révélatrices de l’ouverture, ou non, d’une nation. Bref, voici un livre dont la lecture est particulièrement instructive pour qui
s’intéresse à des débats et à des notions aussi entremêlées que l’immigration, la nationalité et la citoyenneté.


P. Weill rappelle que si la nationalité relève certes du droit, elle constitue aussi une politique délimitant une frontière, et non une clôture, entre ceux qui sont français et ceux qui ne le sont pas. Dès lors, il est normal qu’au travers du droit contemporain de la nationalité soient perceptibles, telles des couches sédimentaires, les affrontements politiques du passé. Et l’auteur de distinguer trois étapes essentielles :
– ce n’est qu’avec la rédaction du Code civil, après la période révolutionnaire, que la frontière entre le Français et l’étranger est précisément tracée ; le jus sanguinis devient alors la norme ;
– dans une France devenue un pays d’immigration à la fin du XIXe, le jus soli s’impose, mais en une vision bien différente de celle prévalant sous l’Ancien Régime ;
– enfin, après la saignée de la Première Guerre mondiale, et en dépit des approches restrictionnistes ou racistes des années 30 mises en œuvre sous Vichy, la naturalisation devient un instrument de la politique démographique.
Sous l’Ancien Régime, le Français n’est pas explicitement défini, et ce n’est que très progressivement, sous l’influence des jurisprudences parlementaires, que les catégories se figent : " La résidence dans le royaume est exigée pour se voir attribuer la qualité de Français, car elle est le signe tangible de l’allégeance au Roi. " La Constitution de 1791 entérine cette vision en précisant que sont citoyens français ceux qui sont nés en France d’un père français ; ceux qui, nés en France, d’un père étranger, ont fixé leur résidence dans le royaume ; ceux qui, nés à l’étranger d’un père français, sont revenus en France et ont prêté le serment civique. Avec la rédaction du Code civil s’opère une double rupture : la qualité de français est " déconstitutionnalisée " et, surtout, suite à une curieuse alliance de juristes influencés par le droit romain et de révolutionnaires opposés à un jus soli féodal, le jus sanguinis s’impose porteur de la vision d’une " nation-famille " dont la qualité se transmet par la filiation. Cette révolution juridique " ouvre l’ère du droit moderne de la nationalité française et dans toute l’Europe ". Car, c’est bien en s’inspirant de la législation française que nombre d’États vont bâtir leurs propres règles juridiques. Tel est le cas de la Prusse, et partant du Ier Reich. Seuls la Grande-Bretagne, le Danemark et le Portugal demeurent fidèles au jus soli féodal.

Du droit du sang au droit du sol
Nationalité transmise par la filiation et longue marche improbable vers la naturalisation expliquent la forte progression de la population immigrée à la fin du XIXe. Seule la conjugaison de plusieurs craintes permet la réintroduction du jus soli dans le panthéon républicain avec la réforme de 1889 : la concentration d’étrangers aux frontières, une sourde inquiétude démographique devant la puissante Allemagne, l’inégalité devant un service militaire de plus en plus universel mais auquel seuls les jeunes Français sont soumis, et l’inquiétude des colons d’Algérie de voir Italiens et Espagnols les supplanter. Se trouvent ainsi mêlés dans cette loi " le principe d’égalité, l’intérêt pour la sécurité de l’État, l’appartenance sociologique de ces jeunes à la France et la préoccupation démographique. Et le compromis ainsi adopté satisfait à la fois la gauche républicaine et une partie des forces conservatrices ". La République s’approprie le jus soli.
La seconde étape est franchie après la " der des der " : confrontés à une saignée démographique massive, les responsables politiques bâtissent une politique publique visant à accroître la natalité, à combattre la mortalité infantile et à faciliter la naturalisation ; l’urgence étant à la reconstitution du " potentiel humain ", le naturalisé éventuel devient une denrée précieuse et non plus une menace en puissance. En quelque sorte, à l’assimilation de fait se substitue une assimilation de droit. À l’heure où l’on reparle de " sans-papiers ", apparaissent, à la faveur de cette vague de naturalisation, ce que des courants xénophobes allaient dénommer des " Français de papier ".
Le dispositif vichyssois est l’aboutissement de ce discours avec la révision des naturalisations accordées depuis 1927. Toutefois, cette disposition ne constitue que la partie émergée d’un programme plus vaste dont l’objectif essentiel est l’établissement d’un nouveau code de la nationalité. Divisée entre les " restrictionnistes " et les " racistes ", l’administration vichyste verra pourtant ses projets retoqués par un occupant soucieux de préserver ses intérêts stratégique et… idéologique. Pour autant, comme le montre P. Weill dans un chapitre particulièrement stimulant, le retour à la légalité républicaine ne fait pas disparaître par enchantement ces débats sur le droit de la nationalité, pas plus qu’il ne disqualifie les approches ethniques de l’immigration. Seule une expansion économique exceptionnelle nécessitant une forte poussée migratoire explique le libéralisme dont la France, à cet égard, a fait preuve durant les " trente glorieuses ". Une fois celle-ci perdue dans les sables mouvants, les débats, fort rapidement, ressurgissent et réapparaissent peurs, fantasmes, interrogations.

Droit à la nationalité et émigration
Il faudra attendre 1997 pour qu’un semblant de " paix idéologique " sur ce sujet s’impose. Mais, finalement, ce rétablissement opéré n’est-il pas moins le fruit d’une politique publique que le résultat d’une revendication ? Le droit de la nationalité étant le miroir des rapports État-société-individus, il serait étonnant que n’y soit trouvée aucune trace de l’autonomisation contemporaine des individus. À bien des égards, le jus soli apparaît ainsi comme un droit lié à la naissance sur le sol, et non plus comme une politique publique.
Au terme de cette étude, une conclusion s’impose : le droit de la nationalité est plus que sensible à la perception de la situation migratoire ; à bien des égards il en est dépendant. Mais si le droit à la nationalité semble aujourd’hui moins sujet à débat, tel est loin d’être le cas de la politique migratoire de la France et, plus globalement, de l’Union européenne.
Émeric Bréhier
 

 
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