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L'OFFICE UNIVERSITAIRE DE RECHERCHE SOCIALISTE
 
Pierre Brossolette
Pierre Brossolette, socialiste et résistant

Article de Noëlline Castagnez paru dans L’OURS n° 278, mai 1998

A propos des ouvrages de
Guillaume Piketty, Pierre Brossolette, Héros de la Résistance, Odile Jacob, 1998, 417p.
Guy Perrier, Pierre Brossolette, Le visionnaire de la Résistance, Hachette, 1997, 288p.

Pierre Brossolette (1903-1944) est l’un des martyrs les plus connus de la Résistance, et son suicide pour ne pas parler sous la torture occulta jusqu’à aujourd’hui la complexité de l’itinéraire politique et intellectuel du personnage. En 1946, son beau-frère René Ozouf, puis trente plus tard, sa veuve Gilberte Brossolette avaient déjà rendu hommage au Résistant(1). Mais l’ouvrage de Guy Perrier et surtout celui de Guillaume Piketty restituent l’intégralité de son parcours, à l’aide d’une documentation abondante et diversifiée, qui ne néglige pas pour autant les archives familiales. Ces deux livres répondent toutefois à des vocations fort différentes.

L’ancien résistant qu’est Guy Perrier dresse le portrait d’un gaulliste, républicain et patriote qu’il érige en modèle et son livre est d’ailleurs préfacé par un compagnon de la Libération, Maurice Schumann. La volonté de rajeunissement et de changement de la vie politique française exprimée par Brossolette et ses mises en garde contre les partis traditionnels préfigurent pour l’auteur les erreurs de la IVème République et le retour de De Gaulle en 1958. C’est en cela que Brossolette lui apparaît comme « un visionnaire » dont la disparition lui paraît lourd de conséquences pour le gaullisme.

Tout autre est le projet de Guillaume Piketty qui, dans sa thèse de doctorat qu’il vient de soutenir brillamment et dont émane ce livre, tente de cerner les motivations de ce résistant précoce devenu un missionnaire de la France combattante. A cette fin, les trente-six premières années de sa vie sont minutieusement étudiées, mais l’auteur prend soin de ne pas tomber dans le déterminisme en montrant combien l’engagement dans la Résistance est lié aussi à des rencontres et des contingences de hasard. Il permet en outre de mieux cerner les complexes et parfois difficiles relations entre la France libre et la Résistance intérieure, les conflits de personnes, et les polémiques autour des projets pour la France libérée.

Normalien, agrégé d’histoire, Pierre Brossolette fut d’abord un militant socialiste. Après avoir été dans la mouvance radicale de son père, Léon Brossolette, et devenu franc-maçon, il adhéra à la S.F.I.O. en 1929. Il participa à tous ses débats doctrinaux de l’entre-deux-guerres et tenta de s’implanter dans le département de l’Aube dont sa famille était originaire, sans y trouver toutefois le succès électoral qu’il espérait. Parallèlement, il fut un spécialiste des relations internationales. Briandiste jusqu’en 1924, il milita pour le maintien de la paix par la sécurité collective et, très attaché à la Société des Nations, il participa aux travaux du Groupement universitaire pour la Société des Nations (G.U.S.D.N.) au côté de Pierre Mendès France. Mais l’avènement d’Hitler en 1933 ébranla ses convictions pacifistes. Sa vigilance à l’égard du nazisme devint aiguë et fit de lui, en 1938, un des plus fervents antimunichois de la S.F.I.O. Avec Daniel Mayer, Pierre Bloch, Georges Monnet, il participa à la fondation du groupe Agir, partisan d’une politique de fermeté, face aux pacifistes intégraux du parti. Guillaume Piketty montre ainsi que l’antinazisme de Brossolette ne relevait pas de la germanophobie, bien que son patriotisme, qu’analyse aussi Guy Perrier, fut l’une des clés de son engagement. Enfin, cet intellectuel choisit une voie originale en préférant le journalisme à la faculté, et ce dès sa sortie de l'École normale supérieure. Jusqu’à la guerre, il fut un journaliste prolifique dans divers journaux, tels que L’Europe nouvelle, Le Quotidien, Notre Temps, qui lui permettaient de développer ses idées tout en conservant son indépendance. A partir de 1936, il donnait aussi une chronique quotidienne de politique internationale à la radio.

S ous l’Occupation, il acheta une librairie rue de la Pompe qui allait bientôt servir de couverture à ses activités de Résistance. Dès l’hiver 1940, il entrait dans le Groupe du Musée de l’Homme de Jean Cassou, sans espoir, mais parce qu’il était pris d’une irrésistible envie d’agir. A la fin de 1941, il rejoignait le réseau de renseignement du colonel Rémy, la Confrérie Notre-Dame, où il put exercer ses talents d’analyste politique et de propagandiste. Ainsi, comme de nombreux résistants de la première heure, Brossolette fit jouer des relations souvent anciennes dont il espérait qu’elles réagiraient à l’Occupation. Lorsqu’il arriva à Londres en avril 1942, Pierre Brossolette pouvait brosser au général de Gaulle un tableau cohérent et documenté de la Résistance intérieure en particulier en zone occupée.

Il était alors à la fois un fervent partisan du général, qui sauvait à ses yeux l’honneur de la France, et un critique virulent des anciens partis qui avaient failli à leur tâche. Il se heurta par conséquent aux socialistes antigaullistes du club Jean Jaurès à Londres, suscita la plus vive méfiance du Parti socialiste clandestin et finit par échouer lorsqu’il voulut rallier la droite non collaborationniste à de Gaulle en la personne de Charles Vallin, qu’il ramena de France en septembre 1942. Entré au Bureau central de renseignement et d’action (BCRA), il était devenu l’adjoint de Passy et effectua, en France occupée, des missions d’organisation de la Résistance telle que la célèbre “ Arquebuse-Brumaire ” en 1943. Cette mission, que nous relate avec précision Guy Perrier, devait permettre de coordonner l’action des mouvements, des réseaux, et des organisations politiques, syndicales et religieuses et à terme de constituer le Conseil national de la Résistance. Mais dès lors que des hommes politiques tels que André Philip ou Georges Boris jouaient un rôle croissant et que la Résistance intérieure disposait de ses propres instances, Brossolette se trouva peu à peu marginalisé.

En septembre 1943, Brossolette s’envola pour présenter le préfet Emile Bollaërt comme délégué du Comité français de libération nationale. Mais il avait perdu son statut de résistant de l’intérieur en devenant l’homme de Londres et sa position en était fragilisée. Il ne disposait plus des mêmes appuis. Lorsqu’il fut rappelé à Londres avec Bollaërt, leur bateau fit naufrage en février 1944. Arrêtés, leur identité fut découverte le 15 mars, peut-être grâce à la fameuse mèche blanche de Brossolette. Torturé, il se jeta par la fenêtre du 4ème étage et mourut le 22 mars 1944.

L’itinéraire de Brossolette est révélateur des tensions de cette période à la fois exaltante et douloureuse où le dépassement de soi jusqu’au sacrifice ne permet pas d’éviter les polémiques et les conflits de pouvoir. A travers cette personnalité brillante et contrastée, Guillaume Piketty montre les enjeux toujours actuels de la Résistance et de sa mémoire. Dans son introduction, l’auteur se donnait pour objectif d’éviter les écueils de l’hagiographie et ceux d’une histoire désincarnée ; il semble y avoir parfaitement réussi.

Noëlline Castagnez

(1) René Ozouf, Pierre Brossolette, héros de la Résistance, Gedalge, 1946 et Gilberte Brossolette, Il s’appelait Pierre Brossolette, Albin Michel, 1976.
 

 
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