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L'OFFICE UNIVERSITAIRE DE RECHERCHE SOCIALISTE
 
Bergounioux/Berstein Blum
Léon Blum, le parti et le pouvoir,
par ALAIN BERGOUNIOUX

(a/s de Serge Berstein, Léon Blum, Fayard, 2006, 836 p, 30 €)

Il était inévitable que Serge Berstein, historien éminent de la vie politique française, en vienne un jour à consacrer un ouvrage à Léon Blum. En effet, auteur d’une thèse qui a fait date sur le Parti radical dans l’entre-deux-guerres et de nombreux travaux – dont une biographie d’Édouard Herriot – il n’a cessé de rencontrer la figure et l’action de Léon Blum, l’interlocuteur privilégié (et parfois l’adversaire choisi) des radicaux.

Émettons l’hypothèse qu’ayant mis l’accent à plusieurs reprises sur les responsabilités des socialistes dans la crise politique de l’entre-deux-guerres, qui n’ont pas voulu mettre en œuvre une alliance durable avec le Parti radical pour donner une stabilité à la gauche, Serge Berstein a voulu en avoir le cœur net et comprendre ce qui a déterminé les positions de la SFIO et tout particulièrement celle de Léon Blum. Nous avons là le fil qui construit cette recherche et constitue en même temps son originalité. Car, des ouvrages sur Léon Blum, il y en a eu et de bons, celui pionnier de l’historien américain Joël Colton dans les années 1960, la biographie de Jean Lacouture, parue en 1977, au moment où l’union de la gauche et ses problèmes rendaient Léon Blum encore proche, l’étude d’Ilan Greilsammer, la plus récente en 1996, qui a bénéficié de la connaissance des archives personnelles de Léon Blum, jusque là « gelées » à Moscou et a éclairé les diverses facettes de sa personnalité. Le choix de Serge Berstein est de restituer Léon Blum en son temps en menant une étude minutieuse des réalités politiques.
Cette volonté trouve pleinement sa justification au fils des pages. Car la personnalité de Léon Blum ne suffit pas pour expliquer ce que fût son parcours politique. Elle l’éclaire évidemment. Son sens de la justice, son intelligence analytique, son courage personnel, son humanité enfin expliquent nombre de ses attitudes – et l’attachement qu’il a pu susciter. Mais son parcours ne fut rien moins que linéaire. Léon Blum ne se destinait pas à la vie politique. Il y est venu tardivement. Il avait 48 ans au moment où son fameux discours au congrès de Tours lui a donné un rôle national. Jeune, il voulait avant tout être écrivain et il a vécu éloigné de la politique active presque la moitié de sa vie d’adulte. L’affaire Dreyfus lui a certes donné des valeurs et un engagement à gauche. Il y a rencontré la forte figure de Jean Jaurès en qui il a reconnu un « maître ». Mais 1905, l‘unité socialiste, ne l’entraîna pourtant pas dans le militantisme. Ses idées politiques étaient celles d’un socialiste humaniste passablement éloigné du marxisme. Et, Serge Berstein – sans trop s’appesantir – rappelle qu’il a choisi un mode de vie bourgeois, l’entrée au Conseil d’État, un mariage dans son milieu, une forme de sécurité en quelque sorte.

Blum et son parti
Tous les biographes de Léon Blum s’accordent à dire que le tournant se produit pendant la guerre où il est le directeur de cabinet de Marcel Sembat. Serge Berstein le date même de la conférence qu’il prononce le 31 juillet 1917 pour le troisième anniversaire de l’assassinat de Jean Jaurès. Il est regrettable que ses archives personnelles n’en disent pas plus. Tout se passe comme si Léon Blum s’était donné une mission pour préserver le message de Jaurès dans la grave crise qui s’annonçait. Il a certes bénéficié de circonstances exceptionnelles, avec le discrédit qui a frappé les partisans de l’Union nationale, l’effacement relatif de Jean Longuet. Le discours de Tours l’a placé au premier rang. Mais Léon Blum n’a pas été le chef d’une majorité dans la « vieille maison » maintenue. Ce fût un courant néo-guesdiste, que représentaient bien le secrétaire général, Paul Faure et son adjoint Jean-Baptiste Severac, qui a été l’axe de la SFIO dans l’entre-deux guerres (et au-delà comme l’a montré le congrès d’août 1946). Léon Blum a bien eu des amis proches et dévoués, Vincent Auriol, Marx Dormoy, Jules Moch, etc. Mais il n’a jamais exercé une maîtrise directe sur l’appareil du Parti. Son influence est venue essentiellement de son rôle intellectuel, de ses responsabilités dans le groupe parlementaire, de la direction politique qu’il a exercée dans Le Populaire par ses éditoriaux. Mais, ce qui est le plus intéressant, pour asseoir cette influence il a dû veiller à maintenir l’unité d’un parti qui, malgré la scission de 1920, était fortement composite et n’acceptait pas dans sa majorité de n’être plus le « parti révolutionnaire ». Léon Blum a dû ainsi respecter les codes et la culture de ce parti, accepter pendant presque toute l’entre-deux guerres ce qu’il avait éludé en 1905.

Le refus du pouvoir
C’est cette réalité socialiste qui rend compte de toute l’histoire politique complexe de l’entre-deux guerres parfaitement bien décrite dans l’ouvrage. La SFIO, gérant déjà avec ses élus nombre de municipalités, n’a pas accepté pourtant l’idée d’une participation au pouvoir avec le Parti radical. Son unité n’aurait pas résisté. La rivalité avec le Parti communiste a pesé évidemment lourd. Mais pas seulement. La question du pouvoir a donc divisé profondément la SFIO. Léon Blum a voulu être le point d’équilibre, condamnant les impatientes participationnistes comme dans la crise néo-socialiste de 1933, refusant le « révolutionnarisme » verbal. Il a tenté d’organiser le débat en introduisant une distinction entre « l’exercice » et « la conquête du pouvoir » – tout en acclimatant peu à peu son parti à l’idée de prendre ses responsabilités. Entre temps, et Serge Berstein a raison de le souligner, la gauche radicale et socialiste a été dans l’impossibilité de donner un équilibre à une République vacillante avec les deux échecs de 1924 et de 1932.
C’est finalement la conjoncture – certes, le choc du 6 février 1934 mais surtout le changement de stratégie de l’Union soviétique et de l’Internationale communiste – qui changea la donne. Les socialistes furent en quelque sorte précipités dans les responsabilités. Et encore ont-ils été surpris par leur victoire électorale, ils escomptaient une prééminence radicale. Léon Blum s’était pourtant préparé à cette perspective. Il avait réfléchi à ce que devait être une action gouvernementale efficace avec ses Lettres sur la réforme gouvernementale publiées dès après la Première Guerre mondiale. Il a pris rapidement la mesure des contraintes qui enserraient l’action gouvernementale. Serge Berstein livre une analyse complète de la somme des problèmes et des difficultés qui a assailli le Front populaire. Léon Blum a parfaitement compris la nature de la revendication sociale qui a fait le caractère exceptionnel du Front populaire. Il a su trouver en quelques jours une issue au mouvement des grèves. Conscient de sa tâche et de ses devoirs vis-à-vis du pays, il a assumé la dévaluation de l’automne et le coût du réarmement. Serge Berstein expose bien les termes du débat contradictoire sur la loi des 40 heures et plus généralement sur la politique économique des socialistes. La faiblesse du Front populaire, de la coalition avec le jeu ambigu des communistes, le recul rapide des radicaux, du programme essentiellement revendicatif sont soulignés et tous les épisodes analysés. La division profonde de la société française et la force de l’hostilité au Front populaire et à la personne de Léon Blum, cible de tous les antisémites, auraient mérité d’être davantage encore mis en évidence. Car, dès l’automne 1936, Léon Blum – et avec lui le Front populaire – mène une longue bataille défensive. Le plus dur pour Léon Blum fût sans doute de voir son parti se diviser gravement, principalement sur la nature du danger nazi et la guerre peut être nécessaire. Mais il a alors cessé de privilégier l’unité pour l’unité. Homme politique de premier plan, il a toujours trouvé un soutien dans un pan de l’opinion, mais il a été aussi de plus en plus contesté. Serge Berstein a raison de dire qu’en 1940, Léon Blum a été « le bouc émissaire idéal du malaise français ».
Mais, c’est peut-être dans les épreuves qui vont l’accabler à partir de juin 1940 qu’il fut peut-être le plus grand. Refusant de quitter la France – comme il en aurait eu l’occasion à plusieurs reprises – il a voulu non seulement témoigner mais combattre. Retournant l’accusation du régime de Vichy, au procès de Riom, il a relevé le drapeau de la République. Inspirateur du socialisme renaissant dans la Résistance, il a néanmoins privilégié l’unité nationale en soutenant le général de Gaulle, appui d’autant plus important compte tenu de son prestige international aux États-Unis et en Angleterre. Tirant les leçons de son expérience politique dans l’entre-deux guerres et de la nouvelle donne créée par l’occupation et la résistance, consignées notamment dans À l’échelle humaine, il a espéré un profond renouvellement de la démocratie française et du socialisme. L’après-guerre a finalement consacré le paradoxe qu’a été la vie politique de Léon Blum : reconnu comme une figure majeure de la vie française, respecté pour les valeurs qu’il a incarnées pendant ces années d’épreuves, il n’en a pas moins échoué à convaincre son parti de le suivre dans l’évolution doctrinale qu’il lui proposait avec l’ouverture sur la société française qui allait avec. Le pouvoir malgré tout est demeuré un problème pour le socialisme français alors qu’il avait consacré l’essentiel de sa réflexion et de son action à sa résolution. Léon Blum a été finalement l’homme d’une transition, entre la première génération des fondateurs, celle de Jean Jaurès, de Jules Guesde, d’Édouard Vaillant, et celle pour qui « l’exercice du pouvoir » allait être une donnée – ce qui ne veut pas dire qu’il soit allé sans problèmes.
L’ouvrage de Serge Berstein permet de revenir sur les problèmes de fond du socialisme français à travers la personnalité de Léon Blum. Il le fait en versant toutes les pièces du dossier. À la différence de précédents biographes, Serge Berstein n’a peut-être pas une empathie forte avec son « héros », il offre, en effet, un regard plus extériorisé, et par là même intéressant pour des lecteurs socialistes en les amenant à regarder d’une autre manière des faits connus.

Alain Bergounioux
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Textes et discours de Léon Blum
 

 
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