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L'OFFICE UNIVERSITAIRE DE RECHERCHE SOCIALISTE
 
Guy Mollet, Chute, 1957
B>1957. Chute du gouvernement
Depuis décembre 1956, l'hostilité devant la politique économique et financière du gouvernement Guy Mollet se manifeste chaque jour davantage, d'autant que ce gouvernement n'entend pas transiger sur la mise en place du second train de réformes sociales prévu par Albert Gazier, ministre des Affaires sociales. Devant d'autre part trouver de nouvelles rentrées, pour éponger le déficit, le gouvernement envisage, à côté d'une augmentation de la TVA de 25% sur certains produits, de supprimer la décote sur les stocks, et Guy Mollet déclare à la tribune de l'Assemblée nationale, le 17 mai : "il est des secteurs où les stocks ont dangereusement augmenté, et il est normal que nous tendions à limiter les stocks abusifs". Le 21 mai, le président du Conseil engage pour la 34e fois la responsabilité de son gouvernement. Après son discours, les différents groupes se réunissent. Le vote donne les résultats suivants : le gouvernement est mis en minorité par 250 voix contre, 213 pour, et 70 abstentions. Le projet fiscal du gouvernement n'est pas adopté. Mais, constitutionnellement, la confiance n'est pas refusée : Guy Mollet n'est pas tenu de partir. Malgré tout, il remet sa démission au président de la République, mettant fin à ce qui a été le plus long gouvernement de la IVe République.
M. Guy Mollet, président du Conseil : Mesdames, messieurs, je veux d'abord d'un mot remercier ceux de nos collègues — M. Guyon, M. Morice, M. Triboulet — qui sont montés à la tribune pour dire leur accord avec la politique du gouvernement et leur intention d'apporter leur voix dans le scrutin de ce soir.
J'ai maintenant quelques réponses à donner, peu nombreuses d'ailleurs, aux questions qui m'ont été posées.
Je répondrai d'abord d'un mot à M. Dorgères d'Halluin, non pas sur le fond de son intervention, mais parce qu'il a posé le problème de l'attitude du gouvernement à l'égard de l'agriculture.
Dans la nuit de vendredi à samedi, j'ai eu l'occasion de dire combien je suis moi-même, combien le gouvernement est préoccupé à l'heure actuelle d'encourager l'agriculture française à développer ses exportations, et pas seulement celles des céréales.
J'ai évoqué le problème de la viande. J'indique à M. Dorgères d'Halluin qu'il y a contradiction dans son propos.
Quand les encouragements que nous entendons donner à la production de la viande en France auront eu leurs répercussions dans la vie quotidienne, leur conséquence sera d'écarter la menace, dont il parle, de réduction du nombre des travailleurs agricoles.
S'il est vrai que l'accroissement de la production des produits céréaliers peut se traduire, grâce à la mécanisation, par une réduction de la main-d'oeuvre agricole, vous savez comme moi que c'est faux lorsqu'il s'agit de la production de viande.
Je me borde à cette observation. Pour le reste, M. Dorgères d'Halluin a montré qu'il restait fidèle à lui-même, ce qui ne l'empêche d'ailleurs pas de me reprocher d'être fidèle à mes maîtres, tel Léon Blum.
Je relèverai maintenant quelques propos de M. Waldeck Roche [Waldeck Rochet (1905-1983), futur Secrétaire général du PCF, à l'époque député de Saône-et-Loire]. A plusieurs reprises déjà, il m'a été opposé à cette tribune les passages d'un article, d'ailleurs toujours tronqué, que j'ai publié pendant la campagne électorale et dans lequel j'employais, parlant de l'Algérie, l'expression "une guerre imbécile et sans issue". C'est M. Pierre Cot [Pierre Cot (1895-1977) député progressiste du Rhône] qui, le dernier, m'a rappelé cette phrase.
Je n'ai pas un mot à retirer au propos, je veux simplement l'expliquer.
Une guerre, ai-je dit ? Vous savez tous, même ceux qui condamnent la politique du gouvernement, que la France ne fait pas la guerre en Algérie. Si elle menait quelque chose qui pût ressembler à une guerre, l'évolution serait, hélas ! dramatique mais plus rapide.
Imbécile ? Sans aucun doute, mais je voudrais bien que, ce propos, vous ne le teniez pas uniquement à l'égard de la France, et que vous vouliez bien dire aux chefs de la rébellion, quand vous avez l'occasion de les rencontrer (Vifs applaudissements à gauche, au centre et à droite. — Interruptions à l'extrême gauche) qu'effectivement leur guerre est imbécile.
M. Waldeck Rochet : Vous avez rencontré les chefs de la rébellion et rompu les pourparlers.
M. Jean Bartolini : M. Commin, secrétaire général du Parti socialiste, a rencontré les chefs adverses [ Pierre Commin (1907-1958), à l'époque sénateur de Seine-et-Oise, proche de Guy Mollet, a mené en 1956 des négociations clandestines avec le FLN algérien pour tenter de dégager une solution politique pacifique au conflit].
M. le président du Conseil : Je n'ai jamais dit le contraire. Pourquoi vous fâchez-vous pour rappeler cela ?
M. Jean Llante : Vous l'avez écrit.
M. le président du Conseil : Guerre sans issue, je le proclame, et j'ai eu l'occasion de le proclamer souvent ici. Dès ma déclaration d'investiture — j'ai obtenu sur elle l'approbation de l'Assemblée — j'ai dit ma conviction entière que non seulement une guerre, mais que même les efforts que nous faisions pour rétablir la sécurité en Algérie, n'amèneraient jamais par eux-mêmes à la solution définitive. Le rétablissement de la sécurité est une nécessité mais n'apporte pas la solution. Il faut, disais-je, en plus du rétablissement de la sécurité, grâce à lui et en même temps que lui, réaliser en Algérie, sur le plan social, sur le plan économique, sur le plan administratif et demain sur le plan politique, les réformes nécessaires.
Je n'ai pas changé d'avis et je n'accepte pas qu'inlassablement on m'oppose ce propos qu'aujourd'hui encore je fais mien (Applaudissements à gauche.).
M. Waldeck Rochet : Il est plus vrai aujourd'hui que jamais.
M. le président du Conseil : Le deuxième argument que je voudrais reprendre des déclarations de M. Waldeck Rochet — je répondrai également sur ce point à M. Pierre Cot, qui en a fait usage, et à M. Paquet (Député Indépendant de l'Isère), bien que son propos ait été différent — est relatif à l'affaire de Suez.
Vous avez relancé l'affaire de Suez, a dit M. Waldeck Rochet, pour des raisons de politique intérieure ; et M. Pierre Cot plus nuancé...
Au centre : Et plus intelligent !
M. le président du Conseil : ... a dit : je ne sais pas si ce sont exactement des raisons de politique intérieure, je ne veux pas le croire ; je ne sais si c'est manoeuvre ou mauvaise humeur.
Quant à M. Paquet, il a aussi évoqué ce problème, mais sans l'assortir de ces accusations.
Je répondrai d'abord aux accusations. Je sais bien qu'on a l'habitude d'un certain côté de l'Assemblée (M. le président se tourne vers l'extrême gauche), de mesurer les autres à son aune, et non pas à leur aune (Applaudissements à gauche). Je demande à ceux qui, comme M. Paquet, désapprouvent l'ensemble de ma politique à propos de Suez, de reconnaître que j'ai pris sur ce problème, depuis longtemps — et pendant longtemps avec un large assentiment de l'Assemblée, jusqu'à ce que certains de ses membres deviennent exagérément réalistes — une position connue et publique.
Vraiment en êtes-vous arrivés à supposer que dans ces dernières heures, lorsque j'ai arrêté, avec l'accord unanime du gouvernement, la décision de faire appel à l'ONU, c'était pour des raisons de politique intérieure ?
Supposer cela, c'est admettre l'idée que, placés dans la position où je suis, vous l'auriez fait, messieurs ! Pas moi ! (Applaudissements à gauche).
Je vais répondre à M. Paquet, car son propos est grave et dangereux. Je demande dès maintenant à ceux d'entre vous qui ce soir voteront contre le gouvernement, qui n'approuvent pas sa position sur les plans politique, économique et financier, mais qui pourtant ne sont pas d'accord avec l'analyse faite par M. Paquet — vous devez être nombreux dans ce cas — de ne pas laisser terminer cette séance sans l'avoir dit. Quelle impression cela produirait-il sur l'opinion internationale, si l'on devait croire dans le monde que le gouvernement a été renversé à cause de Suez ? Il y a là un immense danger, non pour le gouvernement, mais pour le pays tout entier. (Applaudissements à gauche, au centre et à droite).
M. Aimé Paquet : Voulez-vous me permettre de vous interrompre, monsieur le président du Conseil ?
M. le président du Conseil : Volontiers.
M. Aimé Paquet : Monsieur le président du Conseil, j'ai bien précisé que je ne parlais sur ce point qu'en mon nom personnel et non pas au nom de mes amis.
J'ai même ajouté : nous étions deux sur cent. Aucune équivoque n'est donc possible.
M. le président du Conseil : Je vous en donne très volontiers acte, monsieur Paquet, mais vous devez comprendre ma préoccupation.
Que ce gouvernement s'en aille ou qu'il ne s'en aille pas, la France continue et il n'est pas possible que l'on croie demain, s'il tombe ce soir, qu'il est tombé pour ces motifs. J'ai besoin que nous nous en expliquions clairement et que soient bien comprises les raisons de l'attitude du gouvernement vis-à-vis de l'offensive de Suez, attitude qui, je l'espère, sera aussi celle du gouvernement de demain.
M. Paquet a employé exactement le même terme que M. Pierre Cot — c'est là leur seul point commun — M. Paquet, comme M. Pierre Cot, a dit : "Ce n'est pas une politique réaliste".
Ah ! monsieur Pierre Cot, monsieur Paquet, pensez-y, c'est avec des préoccupations réalistes qu'en 1934 et en 1935 on a préparé Munich ! C'est parce que l'on se prétendait réaliste à cette époque que l'on s'est refusé à pendre position contre les dictatures, ce sont les mêmes arguments que l'on formule aujourd'hui (Exclamations à l'extrême gauche.- Applaudissements à gauche, au centre et sur de nombreux bancs à droite).
M. Yves Péron : Georges Bonnet vous a applaudi !
M. Henri Pourtalet : Qui donc a voté Munich ?...
M. Waldeck Rochet : Nous seuls avons été contre Munich.
M. Fernand Grenier : Ceux qui ont voté le traité de Munich, qu'ils se lèvent !
M. André Mutter [Député Indépendant de l'Aube] : Voulez-vous me permettre de vous interrompre, monsieur le président du Conseil ?
M. le président du Conseil : Volontiers.
M. André Mutter : Monsieur le président du Conseil, je veux répondre à votre appel. Dans un souci de clarté politique et aussi pour bien fixer dans cette Assemblée la position de l'immense majorité des nationaux qui la composent, je pense pouvoir vous dire, au nom de la presque unanimité de nos amis indépendants paysans, que nous avons approuvé votre politique à l'égard de Suez et que tout autre gouvernement, même de notre tendance, aurait fait ce que vous avez entrepris. Pour nous, en fin de compte, il s'agissait de l'honneur de la France et vous avez bien fait de le défendre. (Applaudissements à droite).
M. le président du Conseil : Quant à l'objet de notre dernière démarche, aux Nations Unies, et à ce que nous en attendons, j'ignore ce que sur le plan "réaliste", nous pourrons obtenir demain, mais un premier résultat est déjà acquis à l'heure même où je parle.
Quelles que soient les conclusions du débat devant le conseil de sécurité, je sais que dans le monde libre il y a eu un redressement, un resserrement. Vous avez craint que cela nuise à la solidarité de nos alliances. Les alliances ne sont solides que lorsqu'elles sont basées sur l'amitié et la confiance réelle, c'est-à-dire, lorsque nos partenaires savent qu'en cas de nécessité nous gardons notre indépendance de langage et d'action. Nos partenaires savent, nous les avions toujours prévenus, que nous ne saurions pas accepter que certains grands pays laissent à l'Organisation des Nations Unies, dans l'état où elle trouve, je le souligne, le soin de décider seule du règlement des conflits dans le monde.
Nous leur avions dit que cela ne serait concevable que si une option préalable était faite sur ce que serait réellement l'Organisation des Nations Unies ; ne serait-ce qu'une tribune, un grand forum où l'on vient confronter les points de vue pour essayer de prévenir les conflits ou en favoriser l'apaisement, ou serait-ce un tribunal ? Ce n'est pas l'internationaliste que je suis, partisan même des formules supranationales, qui s'opposerait à ce que demain l'Organisation des Nations Unies fût vraiment le tribunal d'arbitrage international.
M. Pierre Cot : Il y en a un, c'est la Haye !
M. le président du Conseil : Je n'y mets qu'une condition, c'est que les pays qui y participent, avant de se transformer en juges, acceptent d'abord d'appliquer eux-mêmes, chez eux, la loi commune que le lendemain ils prétendront fait respecter par d'autres (Applaudissements à gauche, au centre et sur divers bancs à droite).
Je l'ai dit en lançant notre appel, il n'est pas concevable qu'après les événements de novembre où nous nous sommes pliés à sa règle, la même Organisation des Nations Unies se déclare incapable dans l'affaire de Hongrie de faire respecter la loi qu'elle a elle-même dite et qu'elle s'abandonne ensuite à la même incapacité lorsqu'il s'agit de Suez, d'Israël et de la liberté de passage dans le canal (Applaudissements à gauche, au centre et sur certains bancs à droite).
Je veux maintenant satisfaire une curiosité motivée par un propos que j'ai retenu et qui, si je l'avais bien compris, serait utile pour nous tous. J'ai entendu M. Waldeck Rochet nous dire qu'au fond, les dernières décisions de l’Égypte étaient bonnes, puisqu'elles assuraient la liberté de circulation dans le canal.
Ai-je bien compris que le Parti communiste français, par la bouche de M. Waldeck Rochet, était d'accord pour la liberté de circulation des bateaux israéliens dans le canal de Suez ? (Applaudissements et rires à gauche, au centre et à droite).
Sur de nombreux bancs : Répondez ! Répondez !
M. Jean-Louis Tixier-Vignancour : Je demande une suspension pour permettre à M. Waldeck Rochet de téléphoner à l'ambassade de l'URSS.
M. Robert Bichet : Laissez-lui le temps de téléphoner à Moscou !
M. le président du Conseil : Mesdames, messieurs, vous êtes, tout comme moi, sans illusion : c'est encore une de ces curiosités qui resteront insatisfaites. Cela ne faisait pas partie des renseignements que M. Waldeck Rochet était autorisé à nous donner (Rires sur de nombreux bancs).
Monsieur Waldeck Rochet, en vous écoutant, tout à l'heure, j'ai été un instant tenté de vous interrompre. J'ai préféré me réserver pour le moment où je serais à cette tribune. Il m'est revenu à l'esprit un propos récent d'un homme avec qui nous ne serons pas toujours d'accord, avec qui, en tout cas, nous n'avons pas été d'accord dans le passé, mais qui a eu des réactions intéressantes dans les huit derniers jours : je pense à M. Gomulka [président du Conseil polonais].
M. Gomulka, après avoir subi un discours du même ordre que celui que vous prononciez tout à l'heure à cette tribune, a déclaré : "Nous en avons assez de ces discours écrits avec de l'encre importée !" (Applaudissements et rires à gauche, au centre et sur quelques bancs à droite).
Ce n'est pas un propos neuf à cette tribune.
M. Waldeck Rochet : Nous savons que vous êtes habitué aux diversions anticommunistes ! C'est plus facile que de justifier votre politique !
A droite : Trop tard !
M. Charles Lussy : M.Waldeck Rochet n'est plus muet, maintenant !
M. le président du Conseil: Je reprends cependant — et j'en aurai terminé avec M. Waldeck Rochet — le propos qu'il a tenu avant de conclure. Il s'est déclaré blessé parce que dans la nuit de vendredi à samedi, lorsque j'ai tenté d'expliquer la politique économique et financière de mon gouvernement, j'ai dit en parlant de l'extrême gauche : "Je n'ai jamais compté sur les voix de ces messieurs".
Il me faut confesser qu'en fait, dans l'après-midi de vendredi, c'est bien grâce à votre abstention que je n'ai pas dû aller porter ma démission à M. le président de la République. Votre abstention, cette fois-là, a donc sauvé le gouvernement et je comprends bien votre préoccupation qu'il tombe ce soir.
S'il en était autrement, vous rendez-vous compte ? Ce gouvernement d'assassins, ce gouvernement que vous traînez tous les jours dans la boue, vous l'avez eu à votre merci et vous avez manqué l'occasion de le chasser !
Je comprends, mesdames, messieurs (L'orateur s'adresse à l'extrême gauche), que vous soyez préoccupés ce soir ! (Applaudissements et rires à gauche. — Protestations à l'extrême gauche).
M. Waldeck Rochet : C'est ainsi que vous pensez obtenir les voix de la droite !
M. André Mutter : Vous encaissez le coup sans même réagir.
M. Fernand Grenier : Quelle misérable polémique ! Tout cela pour obtenir les voix de la réaction, de ces messieurs des conseils d'administration.
M. le président du Conseil : Je veux répondre brièvement à M. Pierre André [Député Indépendant de Meurthe-et-Moselle].
Vous avez prononcé un réquisitoire très sévère contre les insuffisances de l'action du gouvernement en Afrique du Nord. Je n'ai pas l'intention de le reprendre en détail. Vous connaissez notre politique. J'aurai l'occasion dans un instant de vous montrer qu'elle forme en tout, dans ce domaine comme dans les autres, mais il y a un propos que je ne peux pas laisser passer sans le relever.
Vous avez porté une accusation grave sur l'utilisation que nous ferions des fonds que le Parlement a votés pour le Maroc et la Tunisie. A l'heure où je parle, nous avons tenu nos engagements. Hier encore, à cause de son attitude présente, nous avons opposé un refus aux demandes que la Tunisie nous présentait. Mais, dans le même temps — il faut vous informer, monsieur Pierre André, car certaines accusations sont graves — sur les 48 milliards qui sont d'ailleurs réduits maintenant à 45 milliards pour l'ensemble de l'année 1957, il est en cours d'utilisation, il sera utilisé pour les Français du Maroc et de la Tunisie, 14 milliards, à quoi s'ajoutent 2 milliards de prêts et à quoi s'ajouteront 5 à 6 milliards pour les fonctionnaires français de ces pays.
Que vous reprochiez certaines lenteurs administratives, peut-être. Il est probable qu'il en existe. Que certaines catégories souffrent encore, c'est malheureusement possible aussi, malgré nos efforts. Par contre, laisser entendre que le gouvernement français, dans l'exécution des décisions du Parlement, ne fait pas son devoir, c'est un propos inadmissible, et c'est le seul que je voulais relever.
J'ai d'ailleurs été étonné que vous fondiez sur ce seul point votre attitude à l'égard du gouvernement. Je m'attendais à trouver chez vous l'opposition que M. Pierre Cot a manifestée, cette opposition bien connue chez vous à la politique européenne du gouvernement, et spécialement au Marché commun. Je comprends que vous ne soyez pas d'accord avec nous, mais je pensais que vous auriez aussi donné cette autre raison.
Mme Francine Lefebvre : Très bien (Rires sur de nombreux bancs).
M. le président du Conseil : M. Pierre Cot a dit les multiples motifs pour lesquels ses amis et lui voteraient contre le gouvernement. Il en est quelques-uns que je veux relever. J'ai remarqué dans l'intervention de M. Pierre Cot — je ne suis certainement pas le seul — que le mot le plus fréquemment employé était l'adjectif "réaliste".
C'est parce que ce gouvernement n'est pas "réaliste" qu'il est condamnable.
Je comprends qu'on ait le souci du réalisme, monsieur Pierre Cot, mais je ne crois pas qu'on puisse bâtir une politique sur lui seul.
Je reprends vos griefs.
Nous ne sommes pas réalistes en Algérie. La preuve, c'est qu'en un délai de seize mois, la durée de ce gouvernement, nous n'avons pas encore obtenu satisfaction, nous n'avons pas réussi. Dans ces conditions, nous dites-vous, il faut changer.
Je m'adresse à vous, mesdames, messieurs. Doit-on vraiment juger d'une politique à ce qu'elle a réussi ou non dans un délai donné ? Doit-on vraiment renoncer à des préoccupations essentielles parce que, dans l'action, se rencontrent des difficultés plus lourdes encore que celles que l'on pouvait au début s'attendre à affronter ?
Doit-on vraiment accepter ce jeu trop facile qui consiste à dire : dès lors que vous aurez été empêchés pendant assez longtemps de réaliser ce que vous vouliez, c'est que vous n'aurez pas été "réalistes", et il vous faudra donc renoncer.
Il serait grave de ne baser une politique que sur une prétendue "efficacité" de cet ordre. C'est, je crois, parce que vous l'avez senti que votre deuxième propos portait sur des préoccupations plus nobles. Il nous faudra savoir proposer au pays, avez-vous dit, une politique qui assure enfin la liberté et l'indépendance pour tous les peuples. Je tiens à m'expliquer sur ce point à cette tribune, car c'est probablement l'un des domaines où je me sens le plus profondément en désaccord avec M. Pierre Cot et ses amis.
C'est un slogan facile et dangereux que celui de la liberté pour les peuples lorsqu'on la limite au "droit des peuples à disposer d'eux-mêmes". Sur ce faux slogan a été bâtie toute une théorie fausse.
Le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, dites-vous ? Je voudrais d'abord vous poser une question. Qu'est-ce que c'est qu'un peuple, si ce n'est la somme des individus ? Comment un peuple peut-il exercer un droit si, à l'intérieur de ce peuple, ne sont pas, au préalable, préservés les droits de chacun des individus ? Qui, d'ailleurs, a le droit de parler au nom de ce peuple, si ce n'est pas une majorité qui se sera dégagée d'élections régulièrement tenues ? Cette majorité elle-même a-t-elle le droit de disposer librement de tous les droits des individus ? Vous savez bien que non : toutes les nations civilisées ont garanti le respect des droits des minorités. (Exclamations à l'extrême droite).
M. Raymond Lainé : Qu'avez-vous fait ? (Rires sur de nombreux bancs).
M. Marcel Bouyer : Que faites-vous du paragraphe 4 de l'article 3 de la Constitution ?
M. le président du Conseil : Ce que nous avons fait ? Nous avons essayé de faire comprendre à l'ensemble de la masse musulmane — qui n'a rien de commun avec ceux qui prétendent parler en son nom — que le vrai problème pour les Kabyles et les Arabes de là-bas, c'est de se voir assurer leur propre indépendance individuelle.
Nous avons essayé de faire comprendre aux Kabyles et aux Arabes que remettre à un certain nombre de féodaux le droit de parler en leur nom pour être ensuite exploités par eux, c'était une fausse conception de l'indépendance.
Il était difficile — car nous arrivions tard en Afrique du Nord — de faire comprendre aux Arabes et aux Kabyles, que l'on confond généralement à cause de leur commune religion musulmane, ce qu'ont si bien compris les peuples de l'Afrique noire.
En Afrique noire, la France — je ne dis pas le gouvernement, car je suis sûr qu'un successeur, quel qu'il soit, sera condamné à poursuivre la politique qui y est engagée maintenant, a fait accepter à ces peuples amis une politique d'association et de collaboration qui leur permet d'accéder dès maintenant non pas à une fausse indépendance politique mais à l'indépendance économique, à l'indépendance sociale, à l'indépendance administrative. Ils vont ainsi vers l'indépendance réelle, et ils y parviendront peut-être dans un délai plus rapide que ceux qui reçoivent l'indépendance politique sans avoir eu la possibilité de l'asseoir sur un fondement économique et social solide (Applaudissements à gauche et au centre).
Telle est notre politique en Afrique du Nord comme en Afrique Noire.
J'ai répondu à M. Pierre Cot en ce qui concerne Suez. Ce n'est plus à moi qu'il s'adressait quand il déclarait qu'il fallait choisir...
M. Pierre Cot : Mais si !
M. le président du Conseil... ou bien renoncer à la politique actuelle en Algérie, et alors il n'y aurait plus de problème financier ; ou bien poursuivre cette politique, et il faudrait bien alors accepter que le problème financier se pose comme il est posé par le gouvernement. Pour une fois, M. Pierre Cot est venu à mon secours, sans doute ne l'a-t-il pas fait exprès ! (Sourires).
M. Pierre Cot : Je l'ai fait exprès.
M. le président du Conseil : Je ne reprendrai pas le dernier propos de M. Pierre Cot sur l'union de toutes les gauches. Je comprends très bien, mon cher collègue, que vous ne teniez plus aujourd'hui le langage exact que vous teniez en 1938. Moi je n'ai pas changé d'avis. La gauche, je l'ai déjà dit, je ne l'ai jamais placée là (L'orateur désigne l'extrême gauche).
Plusieurs voix à l'extrême gauche.
: Vous la situez à droite ! (Rires à l'extrême gauche).
M. le président du Conseil : Nos collègues communistes sont beaucoup plus bavards maintenant que lorsque je leur demande si les bateaux israéliens passeront par Suez. (Applaudissements à gauche, au centre et sur quelques bancs à droite.- Exclamations à l'extrême gauche.)
M. Waldeck Rochet : Nous ne surbordonnons pas toute la politique française à Israël !
M. le président du Conseil : C'est exact ! vous préférez la subordonner sans cesse à la Russie. C'est la raison pour laquelle je ne vous ai jamais situés à gauche, mais à l'Est, où vous êtes et où vous resterez (Vifs applaudissements à gauche, au centre et à droite).
Il me faut maintenant, répondre à d'autres questions posées par M. Paquet.
Monsieur Paquet, vous nous avez fait le reproche d'avoir, au cours des dix-huit derniers mois, procédé sans cesse, selon votre expression, à des accroissements de charges. Il faut que nous nous expliquions sur ce point.
Au cours de cette période, il convient de considérer deux types de charges nouvelles. Il en est certains dont mon gouvernement revendique la responsabilité et l'honneur, ce sont essentiellement celles qui se rapportent au fonds national de solidarité. Elles, c'est vrai, constituent des charges réellement nouvelles.
Elles constituent, avec celles qui résultent de l'octroi de la troisième semaine de congés payés et de la réduction d'un tiers de l'abattement de zone sur les salaires, des charges que nous estimons devoir être imputées à notre gouvernement à bénéfice, et non à crime.
Mais les autres charges nouvelles qui ont transformé le budget en dix-huit mois, ce sont celles dont je disais, dans la nuit de vendredi à samedi, qu'elles étaient accidentelles et temporaires, et ce sont aussi celles que le Parlement a voulues.
C'est un problème qui nous sera posé à tous, en permanence, aussi longtemps que nous maintiendrons un budget annuel en face de plans bâtis sur trois, quatre ou cinq ans.
Tout gouvernement doit constater, s'il franchit la date du 1er janvier, qu'un budget dit "de reconduction" est en réalité un budget en augmentation de 200, 300 ou 400 milliards de francs, parce qu'il doit tenir compte des engagements pris en cours d'année — ce n'est pas de la polémique — par le Parlement en accord avec les gouvernements précédents : il y a une nécessaire continuité dans l'action gouvernementale.
C'est là un problème qui est posé en permanence à l'Assemblée, vous n'avez pas le droit d'en faire grief au gouvernement de l'heure.
Vous avez voulu, monsieur Paquet, me poser des questions. Généralement, d'ailleurs, vous fournissiez la réponse (Sourires.). Si l'on explique par exemple à un maire, me disiez-vous, que les difficultés qu'il va rencontrer pour ses adductions d'eau sont dues à telle détaxation faite par le gouvernement, ce maire — vous avez fourni la réponse — et aussi les autres particuliers, et les autres catégories sociales que vous avez citées, s'ils sont pris individuellement, seront hostiles à la politique du gouvernement.
Mais il ne faut les oublier pour autant que — je m'en tiens à votre exemple — si nous n'avions pas appliqué cette politique de détaxation, si nous avions laissé jouer la hausse de l'indice sans la freiner par ces détaxations dont vous niez la valeur — pour vous, les taxations n'auraient-elles de signification que lorsqu'on les supprime ? — si l'indice avait, l'année dernière, dépassé la limite connue, les maires dont vous parlez, les ouvriers, les autres ne se seraient-ils pas trouvés dans une situation autrement grave que celle où les placent actuellement nos propositions ? (Applaudissements à gauche).
Vous avez indiqué que ces propositions se traduiraient par un retard de 10 à 12 % pour certaines catégories d'investissements, celles qui seraient les plus touchées. Vous avez parlé des adductions d'eau, d'autres ont insisté sur le fonds routier. Mais 10 à 12 % sur une année, c'est-à-dire environ un mois de retard, est-ce un délai vraiment inacceptable quand il s'agit d'assurer la réalisation des grandes tâches que la nation s'est assignées ? Je vous dis : non, et je suis sûr que le pays le comprend.
M. Paquet a employé un mot que j'ai regretté. Je veux souligner ici, monsieur Paquet, la courtoisie avec laquelle vous vous opposez toujours au gouvernement, mais vous avez employé un mot bien dangereux quand vous avez mis en doute notre volonté de nous opposer à la dévaluation.
Que vous doutiez du résultat, que vous estimiez insuffisantes les dispositions que nous vous soumettons, que, convaincu d'avoir raison, vous soyez prêt à prendre la charge du pouvoir pour faire mieux, cela, c'est la démocratie, c'est le fonctionnement normal de nos institutions.
Mais vous n'avez pas le droit de mettre en doute notre volonté ; vous pouvez mettre en doute la valeur des moyens que nous mettons en oeuvre, mais non la volonté qui nous anime.
Je ne voudrais pas que me soient opposés des hommes — ce n'est pas votre cas — qui, animés de préoccupations purement politiques, s'efforcent de démontrer que la dévaluation est inévitable, pour mieux pouvoir nous en imputer ensuite le crime. Il s'agit là de problèmes qui dépassent la politique partisane et touchent à l'intérêt national même. C'est ensemble qu'il faut se battre contre l'inflation, contre la dévaluation. Critiquez les moyens, proposez-en d'autres, mais ne mettez pas en doute notre détermination qui est au moins égale à la vôtre.
M. Paquet a enfin repris une question qu'il avait déjà soulevée vendredi dernier dans sa motion préjudicielle. Il n'est pas possible, nous a-t-il dit, au moment où vous demandez au pays un effort qui se traduit par 250 milliards d'économies et 150 milliards d'impôts nouveaux — en fait, après les modifications apportées au projet, ils ne se chiffrent plus qu'à 132 milliards — que vous continuiez à présenter des projets qui entraînent des dépenses nouvelles.
Je veux revenir sur ce que j'ai déjà expliqué vendredi après-midi. Deux projet sont visés, celui sur les honoraires médicaux et celui portant réforme de l'enseignement. Au moment où l'Assemblée va décider de l'avenir de ce gouvernement il faut parler clair.
Les projets dont il s'agit sont d'origine gouvernementale, mais le Parlement doit en connaître, et, comme je l'ai dit vendredi, il se prononcera sur eux en pleine, en totale souveraineté.
Si j'entends aussi, au cas où la confiance me serait accordée, que les débats sur ces projets commencent — je m'y suis engagé et je le répète — avant les vacances parlementaires, il est bien certain qu'il seront lents et longs. Nous n'avons, les uns et les autres, ni à espérer qu'ils produisent effet cette année, ni à le craindre. Aucun parlementaire ne peut avoir à cet égard la moindre illusion ou le moindre doute.
S'agissant du projet sur les honoraires médicaux, les chiffres que j'ai entendu avancer de 80 ou de 100 milliards prouvent — je veux qu'on le sache — que le projet n'a pas été étudié sérieusement par ceux qui tiennent de tels propos.
Puisque vous vous placez au seul point de vue des dépenses, et si vous vous en tenez au point tel que le gouvernement l'a déposé, vous devez reconnaître que ce projet ne prévoit aucune dépense budgétaire nouvelle (Mouvements divers à droite).
Je vous invite à le lire. Vous pouvez y être opposés, mais ne laissez pas entendre qu'il se traduit par 80 ou 100 milliards de charges budgétaires. Il est décidé qu'il entrera en vigueur au fur et à mesure que seront réalisées des économies dans le cadre même de la sécurité sociale (Interruptions prolongées à droite et à l'extrême droite).
J'en viens à un deuxième aspect du projet sur les honoraires médicaux. Pour que l'autorité gouvernementale reste entière, il faut qu'un gouvernement ne renie pas, sauf motif sérieux, les engagements pris par tous ses prédécesseurs. Or, si le Parlement ne met pas le projet en cause à l'étude, ou s'il ne se prononce pas sur son ensemble, il lui faudra au moins accepter une solution partielle, puisque les gouvernements précédents — ils avaient raison et je ne les en blâme pas — ont constamment pris l'engagement d'assurer le remboursement effectif des honoraires médicaux, dans les proportions fixées par la loi.
Quant à la réforme de l'enseignement, est-il vraiment un projet plus nécessaire aujourd'hui à la vie de la nation ? Ne savons-nous pas que les rentrées prochaines vont poser à l'Université des problèmes dramatiques ?
Je parle toujours de son aspect financier.
M. Pierre Montel : Et l'autre ?
M. le président du Conseil : Le Parlement restera souverain. Chacun prendra ses responsabilités (Applaudissements à gauche).
M. Pierre Montel [Député Indépendant du Rhône] : Me permettez-vous de vous interrompre ?
M. le président du Conseil : Bien volontiers.
M. Pierre Montel : Aucune équivoque ne doit subsister. Les problèmes revêtent, en effet, un aspect politique et un aspect financier. Où les choses ne vont pas tout à fait bien, c'est quand vous vous adressez à une majorité comprenant les communistes lorsqu'il s'agit de l'aspect politique et que vous vous retournez vers nous pour nous demander de régler l'aspect financier (Très bien ! très bien ! à droite-Rires à l'extrême gauche).
M. le président du Conseil : J'ai déjà eu l'occasion, vendredi après-midi, d'indiquer que je ne pouvais pas accepter cet argument.
Vous ne pouvez pas prétendre que telle disposition de tel projet sera votée grâce au voix communistes et qu'il faut donc défalquer ces voix, alors que dans quelques heures vous ne les défalquerez pas (Rires à l'extrême gauche.- Mouvements divers).
M. Pierre Montel : Zéro !
M. le président du Conseil : J'en viens maintenant à ce qui va être ma conclusion.
J'ai essayé, vendredi dernier, de définir la politique économique et financière du gouvernement. Je me suis attaché à vous montrer comment nos différentes propositions s'enchaînaient et se complétaient, comment elles constituaient finalement un ensemble. Parmi les collègues présents dans la nuit de vendredi à samedi, avec lesquels l'ambiance d'une séance de nuit avait permis d'engager la discussion, plusieurs ont pu dire qu'ils continuaient à se sentir en désaccord avec la politique ainsi définie, mais aucun n'a essayé de nier que cette politique formait un tout.
C'est de cet ensemble que je voudrais maintenant essayer de dégager, sinon la philosophie, du moins la signification générale.
Ce gouvernement est animé dans son action par deux mobiles. Il estime qu'il faut, dans certains domaines, se battre pour maintenir, pour préserver, je vais me servir du mot qu'on m'opposera dans quelques temps, je l'emploie sciemment, pour conserver. Oui, il est une partie de notre politique où nous avons eu à coeur de conserver. C'est ainsi que nous avons eu à coeur de conserver la patrie et sa grandeur.
Je sais que cela nous est parfois opposé, je sais que les uns en rient...
M. Jean Rieu : Speidel !
M. le président du Conseil : ... que d'autres nous le reprochent, ou bien, au contraire, prétendent que c'est une nouveauté. Oui, on ose parfois prétendre, en croyant faire de l'ironie, qu'en agissant ainsi, nous ne conformons pas nos actes à nos programmes.
Cela prouve seulement, pour les uns, qu'ils ne nous ont jamais connus, pour les autres qu'ils sont vraiment mal informés de ce qu'est le Parti socialiste. Aussi ai-je à coeur, je m'en excuse, d'apporter ici un petit document : c'est celui qui est remis à tout nouvel adhérent au parti socialiste. Il comprend non seulement son règlement, mais une déclaration de principe (Vives exclamations à droite et à l'extrême droite).
M. Roland de Moustier : Assez de propagande !
M. le président du Conseil : Il n'y a rien là qui puisse vous heurter. Je voulais que vous m'entendiez dire... (Interruptions à droite et à l'extrême droite).
M. Roland de Moustier : Tous les dimanches, vos ministres, au lieu de s'occuper des affaires de l’État qui sont extrêmement compliquées, perdent leur temps à faire de la propagande en faveur du Parti socialiste dans les départements. Pas plus tard qu'avant-hier, M. Pineau a passé sa journée de dimanche à la foire de Mâcon. Est-ce sérieux ? (Applaudissements à droite).
M. le président du Conseil : Tout à l'heure, c'est à cause de mon appartenance politique qu'un certain nombre d'entre vous vont voter contre moi (Exclamations à droite et à l'extrême droite).
M. Henri Berrang : On pourrait vous donner des leçons.
M. le président du Conseil : Pas vous ! (Applaudissements à gauche.- Réclamations à l'extrême droite).
M. Marcel Bouyer [Député poujadiste de la Charente-Maritime]: Je demande la parole.
M. le président : Je ne puis vous la donner.
M. Marcel Bouyer : M. le président du Conseil a traité de l'affaire de Suez.
M. le président : Non, vous n'avez pas la parole.
M. le président du Conseil : Il y a un malentendu que je veux lever.
M. Marcel Bouyer : Monsieur le président, je demande la parole.
M. le président du Conseil : Je permets à M. Bouyer de m'interrompre.
M. le président : La parole est à M. Bouyer, avec l'autorisation de l'orateur.
M. Marcel Bouyer : Je vous remercie, monsieur le président du Conseil.
Lors de l'exposé de votre programme de politique algérienne, vous avez parlé de la sauvegarde des intérêts des minorités, de la suppression des féodalités. Ce propos nous a paru bizarre, car vous excluez automatiquement de vos entretiens ceux qui sont pourtant majeurs et peuvent se défendre d'eux-mêmes ; notre petit groupe, ne l'oubliez pas, représente 2.6000.000 électeurs.
Vous avez participé à l'élaboration de la Constitution, mais vous n'êtes même pas capable de la respecter (Mouvements divers et bruit).
M. le président du Conseil : Je veux répondre d'un mot à cet argument.
J'ai parlé, en effet, du respect des minorités. J'entends par là, que, dans un régime démocratique, une minorité ne doit pas être brimée en tant que telle.
Permettez-moi d'être surpris que vous considériez comme une brimade le fait que j'aie des entretiens politiques et que je ne désire les avoir qu'avec les partis nationaux et républicains !
M. Marcel Bouyer : Et la Constitution ?
M. René Tamarelle : Nous sommes des Français !
M. Jean Berthommier : Expliquez-nous pourquoi nous ne sommes pas un parti national ni républicain ?
M. le président du Conseil : Je veux maintenant revenir à ce que je disais tout à l'heure et lever un malentendu.
Il y a un instant, je montrais que l'un des aspects de la politique de ce gouvernement était son caractère national. Je disais pourquoi j'avais toujours été heurté que l'on considère cela comme étonnant de la part d'un socialiste. Pour vous montrer que ce ne l'était pas, je voulais vous informer sur ce que nous enseignons à nos jeunes. Cela tient en une phrase : "Les travailleurs de ce pays, par un siècle et demi d'efforts et de sacrifices, ont appris d'eux-mêmes que la patrie est aujourd'hui leur bien et, en grande partie, leur oeuvre, et ils sont déterminés à la défendre" (Applaudissements à gauche).
A gauche. : Ils l'ont défendue.
M. le président du Conseil : Je ne vois pas pourquoi cela m'a valu tout à l'heure d'être si brutalement interrompu (Exclamations à l'extrême droite).
Vous pouvez voter contre un gouvernement et quand même l'entendre s'expliquer.
Vous ne semblez pas savoir que ce sont les règles démocratiques normales !
A l'extrême droite : C'est la dictature !
M. le président du Conseil : J'ai voulu dire — je n'ai rien dit d'autre — que cet élément de notre action n'était en contradiction, pour aucun des membres de mon gouvernement, avec son attitude permanente.
Préserver, maintenir et défendre d'abord sur le plan international l'indépendance nationale, oui. Il y a un deuxième aspect, qui se retrouve dans chacun des domaines de notre action.
Pour mieux défendre, il faut nécessairement transformer et réformer. C'est pourquoi ce gouvernement — je sais que cela correspond à la pensée d'une grande majorité de l'Assemblée — a tenté de passer au delà de la simple défense nationale, d'élargir notre patriotisme, de conserver la valeur nationale française, en défendant en même temps les positions internationales et les positions européennes.
Sur le plan de l'Union française, ...
A l'extrême gauche : Vous pouvez en être fier !
M. le président du Conseil : ...ce sera une des fiertés de notre gouvernement — peut-être l'une de ses plus grandes réussites — que d'avoir assuré l'amitié entre les peuples de France et d'Afrique.
Peut-être est-ce la dernière fois que je parle en qualité de président du Conseil. Je veux en profiter pour rendre hommage à mon ami M. Houphouet-Boigny, grâce à qui (Applaudissements à gauche, au centre et sur plusieurs bancs à droite) il a été possible de maintenir l'Union française mais, en même temps, pour la mieux maintenir, de la transformer.
Cela a été vrai dans tous les domaines.
Je m'adresse à vous, mes collègues modérés (Exclamations et rires à l'extrême gauche et à l'extrême droite).
A l'extrême droite
: Pas à nous !
M. le président du Conseil : Vous avez eu l'occasion à plusieurs reprises de dire que ce gouvernement avait fait son devoir pour assurer le maintien d'une présence française en Algérie.
Cet aspect purement défensif n'est qu'un des côtés de la question. Pour garantir la présence française en Algérie, il faudra, dans le même temps, accepter aussi les réformes, les transformations nécessaires. Il ne pourra pas simplement s'agir d'un retour au statu quo ante, de la consolidation des avantages antérieurs. La présence française ne sera maintenue que par une transformation économique, sociale, politique, par une transformation dans tous les domaines (Applaudissements à gauche, au centre et sur quelques bancs à droite).
Enfin, en ce qui concerne la politique intérieure — financière, économique et sociale — là encore vous vous retrouverez d'accord avec nous sur les points qu'il s'agit de défendre, de protéger, de conserver. Vous serez donc d'accord avec nous pour dire qu'il s'agit de maintenir le franc.
Nous vous répondons que, pour qu'il en soit ainsi, il ne suffit pas qu'ensemble nous nous bâtions pour cette politique préservatrice. Ce ne sera possible que dans la mesure où la classe ouvrière saura que, dans le même temps, des transformations sont introduites à son profit (Applaudissements à gauche, au centre et sur quelques bancs à droite.- Interruptions à l'extrême droite).
Oui, il nous faut à la fois être des conservateurs et des transformateurs.
Si bien, mes chers collègues, que demain comme hier ce gouvernement est prêt à poursuivre cette même politique, mais — je le dis clairement — il n'y est prêt que si on accepte cette politique dans son ensemble. Aujourd'hui, vous ne jugez pas seulement un gouvernement, une équipe, à tous les membres de laquelle je veux rendre hommage comme je l'ai fait tout à l'heure pour l'un d'eux. Vous vous prononcez également sur une politique qui forme un tout, pour mes amis comme pour moi-même. C'est pourquoi, conscient de la portée de votre vote, j'attends avec sérénité votre jugement (Applaudissements à gauche et sur plusieurs bancs au centre).
 

 
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