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L'OFFICE UNIVERSITAIRE DE RECHERCHE SOCIALISTE
 
Les paradoxes de la démocratie
LES PARADOXES DE LA DEMOCRATIE
par Claude Dupont

à propos de Lucian Boia, Le Mythe de la démocratie, Les Belles Lettres 2002 168 p 15 €

Les compétitions électorales de ces derniers mois auront beaucoup remis en honneur le concept de démocratie. L’ouvrage de Lucian Boia vient à point nommé pour poser une question de fond : la démocratie s’incarne-t-elle dans un ensemble institutionnel bien défini, un type clairement discernable d’organisation politique ou sociale, ou relève-t-elle d’une aspiration plus générale, d’un idéal toujours poursuivi de liberté, d’égalité et de justice ?

Sans doute un peu les deux, mais on ne s’étonnera pas que Lucian Boia, professeur à l’université de Bucarest et présenté comme un spécialiste de l’imaginaire (on se souviendra notamment de son excellent livre La Mythologie scientifique du communisme, publié en 2000) voie plutôt la balance pencher vers le second terme et que, pour lui, la démocratie ait une bonne place dans l’imaginaire, avec tout un éventail de mythologies qui s’y trouvent impliquées.

Démocratie : l’idéal et le réel
À vrai dire, à côté de pages développant des analyses plus convenues, l’ouvrage fourmille de remarques et de notations percutantes, qui n’hésitent pas à heurter le côté « politiquement correct » d’idées définitivement reçues. L’auteur a beau jeu de souligner à quel point l’idée démocratique est en constante évolution, en rappelant avec quelle lenteur et quelles hésitations la démocratie diserte a cédé la place à la démocratie représentative, imposant le suffrage universel. On pense d’ailleurs aux analyses de Marcel Gaucher soulignant la perpétuelle extension de l’universalité du suffrage, chaque époque trouvant une nouvelle couche d’exclus à réintégrer.
Pour Boia, toute organisation politique conduit inexorablement à l’instauration d’une oligarchie, mais comme la classe dominante manque généralement d’une cohérence absolue pour dresser un bloc sans fissure, elle ne peut pas gouverner contre le peuple. Que la démocratie soit un idéal plus qu’une réalité, la double aspiration de l’homme à la liberté et à l’égalité le prouve. Et l’on retrouve la tension permanente inhérente à ce couple paradoxal puisque l’individu aspire autant à la liberté qu’il redoute fondamentalement le libéralisme. Faute d’un modèle historiquement incarné, la démocratie reste au niveau d’une utopie, aussi évidente chez Tocqueville que chez Marx.
On retiendra volontiers l’étude historique que Boia nous donne de l’évolution de la notion de démocratie dans ces derniers siècles. Elle s’incarne dans le terreau de l’État-nation qui a servi de lien particulièrement fort pour maintenir une société de plus en plus ouverte, diversifiée et conflictuelle. La nation s’est renforcée par l’État et l’État s’est spiritualisé grâce à la nation. Mais l’État-nation n’a pris son essor qu’à partir d’une érosion constante des minorités, sans cesser de progresser sur la voie de l’homogénéisation ethnique et linguistique de son territoire. Or, par un spectaculaire choc en retour, le processus de globalisation tend à sécréter une nouvelle mythologie privilégiant la « culture des différences », valorisant les petites unités, ressuscitant le sentiment d’anciennes appartenances à l’échelon régional, en mettant en avant la volonté d’harmoniser la tradition et la modernité.
Mais le piège se tend et les messages se brouillent. Quand la diversité n’est plus seulement tolérée, mais expressément prônée, les vérités s’éparpillent, les doctrines se métissent, les électeurs sont en situation de choisir sans avoir véritablement de choix, tout se trouve placé sur le même plan, les valeurs s’égalisent et la classe dirigeante se trouve confortée dans une position inexpugnable d’arbitrage et, en définitive, de décision.
D’où un paradoxe fort : d’un côté, la gauche « a gagné la bataille de l’imaginaire », en incarnant, sans complexe, une démocratie que la droite est soupçonnée d’être capable à tout moment de trahir, sommée en permanence de se tenir à l’écart d’une extrême droite qui ne se proclame pourtant pas plus hostile à la démocratie parlementaire qu’une extrême gauche considérée, elle, comme un partenaire fréquentable.
Mais, d’un autre côté, la démocratie a de moins en moins de prise sur le monde économique et financier qui ignore de plus en plus superbement l’État-Nation. C’est que la globalisation attire les centres décisionnels dans des coulisses où le public, pour le moment, n’accède pas.

La démocratie face aux médias
Ainsi, c’est au moment où la démocratie semble être le moins contestée que son exercice est le plus contestable. La pensée politique a besoin d’un amplificateur, qui fut d’abord le discours sur l’Agora, puis le livre. Mais, désormais, c’est l’image dont la fabrication et la diffusion sont confisquées par un clan fermé. Peut-on s’étonner dès lors que les deux moteurs de la démocratie, l’idéologie et l’engagement, s’effacent ? Le démembrement du système des valeurs et le morcellement du corps social conduisent à la consolidation de la classe dominante.
Pourtant, Boia nous met en garde contre une fuite en avant, qui consisterait à conjurer les menaces d’asphyxie pesant sur la démocratie, en cherchant un refuge dans la fabrication de nouvelles utopies, car le passé récent nous rappelle que la fascination pour l’utopie conduit vite au cauchemar. Mais dans ces « ploutocraties libérales à teinte sociale » où nous vivons, sachons au moins apprécier le fait que la liberté et le bien-être des citoyens augmentent à peu près en même temps que la richesse et le pouvoir des « dominants »…
Claude Dupont
 

 
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