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L'OFFICE UNIVERSITAIRE DE RECHERCHE SOCIALISTE
 
Bordes / Gimel Metaleurop / L'OURS 416
Metaleurop, les enjeux de la mémoire,
par GUY BORDES

à propos du livre de Josué Gimel, Metaleurop. Mémoire ouvrière, mémoires d’ouvriers, L’OURS, 2011, 270 p, 18 €

Article paru dans L’OURS n°416, mars 2012, p. 5

Quand une usine disparaît… que reste-t-il dans la mémoire des ouvriers ?

Désormais la littérature – ici sociologique – sur l’industrie et le prolétariat industriel est, nous l’avons mainte fois constaté ici, celle de la destruction de l’industrie. On en a avec ce livre un exemple de plus. Il ne s’agit pas d’une chronique du conflit sévère qu’a entraîné la fermeture économiquement injustifiée de l’usine Metaleurop, près de Lens, par des patrons voyous. C’est une enquête menée cinq ans après les événements sur la mémoire ouvrière, comme l’indique le sous-titre. Fragments d’interviews et de journal personnel d’enquête de l’auteur, ainsi qu’allusions à la presse locale illustrent une réflexion approfondie sur l’objet de l’enquête où s’entremêlent données sociologiques et anthropologiques. Dernier avatar connu de la sociologie compréhensive de Max Weber, le travail de Gimel va au cœur de ce qui constitue mémoire et action, ou plutôt de ce prolongement diachronique de l’action qu’est la mémoire.

Il est ressort que la mémoire d’un groupe uni qui a mené un combat énergique et désespéré dans lequel il a été solidement soudé réserve bien des surprises. L’association Cœur de fondeurs, issue de l’intersyndicale qui a mené la lutte, est constituée peu de temps après les événements. Elle est destinée à prolonger les liens forgés dans le combat pour la survie afin de défendre les intérêts des licenciés et de conserver la mémoire de l’usine, de sa vie, et celle de sa dramatique fermeture. Véritable « intellectuel collectif » elle produit ce que Gimel appelle une « mémoire officielle », qui lisse les aspérités produites par les frottements, mini-conflits, irrégularités concernant le règlement « face cachée de l’usine », accidents du travail, pour constituer une histoire héroïsante du peuple au travail dans laquelle la technicité des tâches et des modes de production est mise en valeur.

Tout autre est la mémoire individuelle, empreinte d’affectivité où se mêlent colère et nostalgie et à laquelle le choix inconscient du souvenir donne chaleur et vie. Entrecroisées, ces mémoires subjectives s’affrontent pour donner un matériau qui se développe dans le champ social et offre une image complexe et chatoyante du réel vécu dans un passé récent.
L’auteur met en valeur des éléments remarquables et rarement évoqués dans les relations d’événements semblables : conflits de générations, cassure lors de la constitution de l’intersyndicale avec le noyau dur des anciens fondateurs de la section CGT, rôle des femmes dans la lutte, homogénéisation des groupes ouvriers, employés et certains cadres de l’intersyndicale, défection moralement condamnée de ceux qui cherchaient déjà du travail pendant que les autres occupaient l’usine et manifestaient, fierté ouvrière partagée par ceux qui revendiquent leur honneur de travailleur et leur virilité agonistique que la mise hors du circuit du travail va profondément éprouver, absence de racisme dans une région de forte migration historique. Sans oublier l’opposition avec les écologistes plus soucieux d’environnement que d’emploi, et qui ont fourni, en mettant l’accent sur la pollution du site, un argument supplémentaire à la direction pour la fermeture.

Par l’entrecroisement du travail de sociologue analysant des faits et des considérations sur la méthode employée, cet ouvrage se présente à la fois comme une étude de cas instructive, un cas dont il démonte la complexité, de la mentalité ouvrière et un véritable manuel de sociologie. À mettre entre toutes les mains, surtout celles des étudiants.

Guy Bordes

NB : Sur le même sujet, on peut aussi lire le livre de Frédéric H. Fajardie, Metaleurop. Paroles ouvrières (Mille et une nuits, 2003). Son enquête a été menée sur le terrain juste après les événements, à la demande de l’association. Plus concis, plus vivant, consacré aux seuls interviews, plus « grand public », sa finalité est toute autre : journalistique et non sociologique. Les deux se complètent.
 

 
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