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L'OFFICE UNIVERSITAIRE DE RECHERCHE SOCIALISTE
 
Bergounioux/Candar/Longuet
Jean Longuet, un socialiste d’équilibre par ALAIN BERGOUNIOUX

à propos du livre de Gilles Candar, Jean Longuet Un internationaliste à l’épreuve de l’histoire
Presses universitaires de Rennes 2007 367 p 22 €

Cette biographie de Jean Longuet est issue de la thèse de doctorat soutenue par Gilles Candar en 1995. L’auteur est connu par son action dans la Société d’études jaurésiennes auprès de Madeleine Rebérioux. Fin connaisseur du socialisme de la IIIe République, il livre un ouvrage nourri par d’abondantes lectures qui offre toute la précision d’un travail de thèse et toute la chaleur d’un historien proche des réalités humaines. L’ensemble se lit bien et le lecteur, même averti, apprendra beaucoup sur la vie socialiste de la fin du XIXe siècle et du début du XXe siècle.

Mais Jean Longuet n’est pas qu’un prétexte. Certes, même s’il était le petit-fils de Karl Marx et appartenait ainsi à « l’aristocratie socialiste », il n’a pas été une personnalité de premier plan, il n’a pas marqué le socialisme français comme Jean Jaurès, Jules Guesde ou Léon Blum. Mais, d’abord, il a joué un rôle clef dans des années particulièrement importantes qui furent celles de la fin de la Première Guerre mondiale. Il a alors tenté de maintenir l’unité socialiste tout en tenant compte des aspirations nouvelles et des colères créées par la guerre. En 1918 et 1919, il était vraiment au cœur de l’événement. Et beaucoup paraissait reposer sur lui. Ensuite, avant 1914 et après 1920, par ses qualités d’intellectuel, de journaliste, par son ouverture d’esprit sur les autres socialismes et sur le monde, par son expérience d’élu local à Châtenay-Malabry, par sa volonté de limiter les conflits et de voir ce qui pouvait unir plutôt que ce qui divisait, il a joué un rôle actif dans nombre d’aventures de presse et de revues, dans des associations de défense des réfugiés, dans la vie politique de la région parisienne, dans les mouvements et organisations internationaux. Enfin, ses choix politiques, tout au long d’une vie politique finalement assez longue, même si un accident l’a prématurément écourtée en 1938, dessinent un jugement assez sûr qu’il s’agisse du communisme, du colonialisme, du nazisme. Tout cela mérite bien les années d’efforts que demande une telle recherche.

Avec justesse, Gilles Candar distingue trois périodes, avant 1914 et les premières années de la SFIO, la guerre évidemment et la crise de 1920, l’entre-deux-guerres avec les difficultés du pouvoir. Dans chacune, il analyse minutieusement ce qu’a été l’action multiforme de Jean Longuet. Mais, chacune est également structurée par un problème majeur.

Socialiste et Républicain
Avant 1914, l’intérêt est de voir comment un jeune militant guesdiste, pénétré de l’importance de la lutte des classes, ne sépare pas finalement son engagement socialiste des valeurs républicaines. L’affaire Dreyfus a joué évidemment un rôle important dans cette évolution. Jean Longuet a toujours refusé les conceptions « caporalistes » du socialisme. Ce qui ne l’a pas empêché de manifester son opposition au ministéralisme et de marquer alors ses distances vis-à-vis de Jaurès. Membre de la commission administrative permanente depuis 1905, député de la Seine en 1914, journaliste politique, Jean Longuet fut représentatif de la complexité du socialisme français, où les mêmes militants étaient personnellement partagés entre plusieurs orientations. Jean Longuet, tout en étant classé à gauche de la jeune SFIO, représentait assez bien la synthèse idéologique en train de se faire sous l’impulsion de Jean Jaurès.

À la déclaration de guerre, Jean Longuet – comme presque tous les socialistes – n’a pas mis en cause la nécessité de défendre le pays qui était attaqué. Mais relativement tôt, il a eu le souci, lui, le militant internationaliste, de faire entendre une parole de paix pour sauver les valeurs socialistes. Il n’a pas été présent aux conférences de Zimnerwald et de Kienthal. Cela n’était pas la révolution qu’il recherchait, élevé qu’il avait été dans le marxisme de la Seconde Internationale, mais une paix juste et réaliste. Il fût, avec Paul Faure et Adrien Pressemane, la figure dominante de la « minorité » identifiée depuis 1915, qui a lutté pour une paix de compromis, ce qui l’a amené à combattre les « majoritaires de guerre », parmi lesquels il avait pourtant des amis chers, comme Pierre Renaudel. Mais, il s’est toujours distingué de l’autre « minorité » révolutionnaire. En juillet 1918, personnalité forte désormais de la nouvelle majorité, il voulut s’attacher à « reconstruire » une internationale socialiste, la SFIO et l’Europe. La défense de la révolution bolchevique lui parut naturelle – pénétré qu’il était des souvenirs de la Révolution française comme tous les socialistes – mais il demeurait fidèle à la voie parlementaire. Sa vision, somme toute, évolutionniste, était grosse d’ambiguïtés. Son refus de se rallier purement et simplement aux positions de Moscou le fit considérer comme le principal obstacle à la nouvelle donne politique voulue pas Lénine. Les lignes de la scission passèrent en fait au milieu des « reconstructeurs ». Le souci de l’unité qui était celui de Longuet, pour revenir aux pratiques et aux valeurs de l’avant guerre, était condamné, à la fois, par les bolcheviques et tous ceux qui partageaient leur volonté révolutionnaire, et par les socialistes, sociaux-démocrates et travaillistes qui condamnaient les principes mêmes du bolchevisme. S’il fut au centre des enjeux politiques du congrès de Tours, il ne joua pas le premier rôle. Cela tenait à sa personnalité qui n’était pas celle d’un dirigeant à l’aise dans les conflits – et celui-ci était décisif – mais aussi aux difficultés de sa position qui exprimait finalement ce mixte de culture socialiste et républicaine qui a forgé l’identité du parti français mais se trouvait alors contesté.

Plus effacé après 1920, il perdit sa position d’influence au sein de la presse du parti, même s’il continua d’y contribuer grandement, n’exerça guère de rôle dans les congrès, et fût tenu en dehors des responsabilités gouvernementales au moment du Front Populaire. Ses échecs aux élections législatives – hormis l’élection de 1932 – le tint trop longtemps à l’écart du groupe parlementaire qui jouait un rôle important dans la vie politique. Sa mairie de Châtenay-Malabry, alors petite ville de quelques milliers d’habitants, et sa responsabilité de conseiller général ne lui donnèrent pas une base suffisante pour peser même dans la vie de la fédération de la Seine. Plus encore qu‘avant-guerre, il n’a pas voulu être l’homme d’une tendance. En fait, il s’est progressivement éloigné de Paul Faure, secrétaire général jusqu’en 1940, pour occuper une position au centre du parti, sans pour autant entrer dans la familiarité de Léon Blum.

L’internationalisme de Longuet
Ce qui est le plus intéressant dans ces deux décennies, c’est finalement l’intérêt – et souvent la clairvoyance – qu’il a manifestée pour les questions internationales. Il a tenu informé ses camarades avec constance de la politique travailliste en Grande-Bretagne. Il a été un des rares socialistes à rendre compte des premières préfigurations du modèle scandinave. Il a été d’une fermeté sans faille devant le fascisme et le nazisme. Il a pris ses distances vis-à-vis du principe de la « non-intervention » décidée par Léon Blum dans la guerre d’Espagne. Lui, qui avait porté le désir de paix dans la grande guerre, a défendu clairement la nécessité de s’opposer au nazisme au prix de la force – ce qui l’a rapproché de Jean Zyromski. Décédé dans les premiers jours de septembre 1938, nous ne pouvons pas savoir quelles auraient été son attitude et son influence avant et après Munich. Les analyses de ses positions dans l’entre-deux-guerres ne peuvent que nous le faire regretter !

Jean Longuet n’a donc pas été un « démiurge » pour reprendre l’expression de Gilles Candar. Il a en revanche représenté de manière éclairante les caractères du socialisme français en tachant de maintenir un équilibre entre ses différentes composantes. Faute sans doute d’un caractère tranchant – tous les hommages à l’annonce de son décès ont insisté sur sa « bonté » – il n’a pas entraîné derrière lui des majorités. Mais, il a su aussi dans des moments clefs privilégier ses convictions, prenant le risque de l’isolement. Ce n’est pas un paradoxe qu’à la fin d’un livre si savant, et si instructif sur le socialisme français, le lecteur finalement prend le plus d’intérêt à revenir sur ce qu’est l’action et le rôle d’un homme dans les épreuves de l’histoire.

Alain Bergounioux
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