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Bergounioux / Le vote normal / LOURS 431
2012, des scrutins pas si normaux, par ALAIN BERGOUNIOUX

à propos de Le vote normal. Les élections présidentielle et législatives d’avril-mai-juin 2012, Sous la direction de Pascal Perrineau, Sciences Po-Les Presses, 2013, 430 p, 30 €)

Article paru dans L'OURS n°431, septembre-octobre 2013, p. 3

Cet ouvrage collectif prend place dans la collection précieuse des études que Sciences Po livre après chaque élection majeure. Celles-ci sont toujours des références par des articles qui explorent toutes les dimensions de l’événement. C’est encore le cas avec ce volume rédigé dans les mois qui ont suivi les élections du printemps 2012. Soulignons d’emblée la richesse des annexes avec la publication de tous les résultats département par département, circonscription par circonscription, une complète cartographie, et un éphéméride depuis 2011 qui permet de suivre la campagne.

La première partie porte justement sur la nature de la campagne. Grâce à l’enquête Présidoscopie (à laquelle a participé la Fondation Jean Jaurès), qui a permis d’interroger à douze reprises un panel de 6000 personnes, Christophe Priar analyse un paradoxe : les tendances depuis 2011 permettaient de prévoir la défaite de Nicolas Sarkozy et la victoire de François Hollande mais cette élection a été faite également de mouvements d’opinion qui ont amené plusieurs reclassements électoraux.

Volatilité
Cela traduit une réalité déjà à l’œuvre dans les élections précédentes (pensons à 2002 !), la volatilité des électorats et l’érosion (non la disparition) des fidélités traditionnelles. La personnalisation de l’élection présidentielle – mais aussi plus partiellement des élections législatives où les candidats UMP connus ont mieux résisté à la concurrence du Front national dans le Sud Est par exemple – est un facteur explicatif. Mais elle ne se fait plus guère sur le modèle d’un leader charismatique. La figure présidentielle – il y a eu un effet du quinquennat – n’a plus un caractère d’exception. Cela rapprochera peut-être la Ve République d’une « démocratie mature » comme le pense Laurence Morel. Mais, cela renforce aussi la volatilité. L’examen des pratiques informationnelles pendant la campagne apporte un constat intéressant. Internet, avec tous ses dérivés (textos, Facebook, Twitter), est désormais complètement intégré aux campagnes. Ces dernières sont désormais impensables sans ces pratiques nouvelles. Mais les fractures culturelles sont réelles. L’usage d’Internet est plutôt le fait d’électeurs cultivés. La télévision a toujours un rôle clef pour une majorité. Et surtout, Internet n’est pas le lieu où la politique est réellement discutée. Cela changera peut-être à l’avenir. Mais tous ces traits montrent que les élections de 2012 sont commandées principalement par une offre politique qui place les électeurs en situation de réaction. Cela relativise évidemment la portée des programmes. Quelques thèmes seulement surnagent, travaillés par les candidats pour répondre à un enjeu de campagne. Un regret toutefois, il manque dans cette partie une étude sur l’action propre des partis. Ces campagnes, en effet, ont particulièrement mis en évidence la fonction de mobilisation des partis, notamment avec les primaires pour le Parti socialiste et les campagnes de porte à porte, qui ne sont pas une nouveauté, mais qui ont été revitalisées, montrant ainsi la nécessité de forces militantes.
Ces éléments doivent rester à l’esprit pour la seconde partie qui constitue le cœur des analyses électorales. Celles-ci, qui relèvent d’une méthodologie fine permise par l’application de modèles mathématiques, permettent de faire un diagnostic d’ensemble. Anne Muxel établit que l’abstention pour l’élection présidentielle se situe dans la moyenne et qu’elle a touché principalement les milieux sociaux éloignés de la politique. En revanche, un net décrochage se produit avec les élections législatives – confirmant ainsi leur caractère second. Et c’est le camp défait à l’élection présidentielle – en l’occurrence la droite – qui a été victime d’une abstention différentielle à son détriment. Les deux études sur la victoire de François Hollande, par Jérôme Jaffré, et la défaite de Nicolas Sarkozy, par Jean Chiche et Élisabeth Dupoisier, sont évidemment essentielles.

Une victoire construite
L’analyse des résultats et des dynamiques politiques montre que le succès de François Hollande a été l’œuvre principalement d’une « construction » politique. Car la gauche en tant que telle ne regroupe que 43,8 % des voix au premier tour. Il a fallu assurer les reports à gauche – principalement de l’électorat de Jean-Luc Mélenchon – mais attirer également des parts importantes des électorats de François Bayrou et de Marine Le Pen. Cela a été rendu possible par la force de l’antisarkozysme et l’habileté tactique du candidat socialiste. Le vote a reposé faiblement sur l’adhésion. L’équation de Nicolas Sarkozy était difficile. Ayant peu de réserves à droite au soir du premier tour, déstabilisé par sa deuxième place, il a conduit l’essentiel de sa stratégie pour capter une large majorité de l’électorat de Marine Le Pen. La forte « droitisation » de sa campagne a eu un effet paradoxal, elle a été, d’un côté, efficace puisqu’il a doublé son score du premier tour, mais, de l’autre, elle lui a aliéné une part de l’électorat centriste dont il avait aussi besoin. Les analyses sociologiques menées dans ces études sont également riches d’enseignements. La rétraction de l’électorat de droite, autour des couches supérieures et des personnes âgées, est claire. La fragilité de la reconquête des catégories populaires apparaît aussi pour le président élu. La comparaison des deux cartes électorales, celle de 1981 et celle de 2012, avec un total de voix à peu près semblable, est significative : la France de gauche est maintenant principalement urbaine – le fait des grandes métropoles surtout – et largement une France de l’Ouest et du Sud Ouest, plus faible (hormis les départements du Nord et du Pas-de-Calais) dans la France de l’Est.
L’étude de l’électorat du Front national, menée par Pascal Perrineau, rend compte de l’effet perturbateur qu’a désormais le parti de Marine Le Pen sur la vie politique. Il dépasse désormais les frontières de ses anciens bastions pour établir une influence réelle dans les couches populaires fragilisées par la crise économique. Jean-Luc Mélenchon, largement héritier des structures électorales du Parti communiste, n’a que très peu étendu son influence dans les territoires ouvriers. Il a progressé, comme le montre Bruno Cautres, surtout dans un électorat de petites classes moyennes du secteur public.
Deux articles analysent enfin, les contre-performances des écologistes dont la candidate a consacré beaucoup d’énergie à gâcher le capital électoral acquis en 2009, comme le dit Daniel Boy, et de François Bayrou qui a payé essentiellement son isolement et son incapacité à montrer comment il pourrait nouer une coalition politique.

Une présidence normale ?
La troisième partie tente de dessiner ce que pourra être la présidence Hollande et de donner un contenu à ce qui s’annonçait comme « une présidence normale ». L’article de Gérard Grunberg, centré sur la carrière de François Hollande et son action, et celui de Pierre Avril, sur la pratique des institutions, apportent autant d’éléments de réponse que d’interrogations. L’expression de « présidence normale » a été un bon argument de campagne. Mais cela engage-t-il une autre pratique des institutions ? En période de crise, la difficulté est évidente. Il y a une logique des institutions et le poids des inquiétudes. Quelques mois après la rédaction de ce livre, il apparaît que le président ne peut éviter d’être celui qui, comme l’écrit Gérard Grunberg, « montre la voie et entraîne le pays ». En fait, ce vote de 2012 n’a rien de très « normal ». Il traduit des mouvements profonds en cours dans la société française. L’intérêt de ce livre est de donner des éléments pour le comprendre.
Alain Bergounioux
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