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L'OFFICE UNIVERSITAIRE DE RECHERCHE SOCIALISTE
 
POULAT/PEILLON/LOURS 396
LE TRINITE LAIQUE DE VINCENT PEILLON
Par Émile POULAT

A propos de :
Vincent Peillon, Une religion pour la République . La foi laïque de Ferdinand Buisson, Seuil, 2010, 293 p, 19 €

La République a-t-elle besoin d'une religion : Vincent Peillon, philosophe, et homme politique, ouvre un débat à partir des travaux de Ferdinand Buisson… Quel est son actualité ? Et avec qui le mener ?

Article paru dans L’OURS, mensuel de critique littéraire, culturelle, artistique, n°396, mars 2010, p. 5


Qu’on me permette d’en faire confidence à voix basse : ce que j’aime en Vincent Peillon, c’est que, bénéficiant d’une formation philosophique, il ne se soit pas cantonné dans la philosophie et qu’en en sortant, il ne se soit pas arrêté de penser. C’est aussi que ses publications témoignent d’une pensée ferme, claire et libre, de surcroît courageuse (sur l’argent noir). C’est enfin que nous partageons la même admiration pour Jean Jaurès, à la suite de Madeleine Rebérioux, et pour Pierre Leroux, ce grand oublié de notre culture, malgré les décennies d’efforts que lui a vouées Jacques Viard.

De Leroux et Jaurès à Buisson
Aux grands hommes le socialisme reconnaissant : avec ce dernier livre, Ferdinand Buisson s’ajoute désormais à Jaurès et à Leroux pour former une trinité laïque dont la caractéristique commune est un certain rapport au religieux, positif, alors qu’eux-mêmes sont détachés de toute religion positive. Vincent Peillon ouvre ainsi un débat longtemps esquivé, malgré toutes les tentatives, notamment d’Henri Desroche autour de 1950.

Jaurès a-t-il eu « la religion du socialisme », celui-ci relayant le christianisme comme la République avait succédé à l’ancienne monarchie ? Je ne le pense pas. Il s’en est expliqué en 1891 dans une lettre célèbre à son ami Engelran(1) : le socialisme ne ferme pas la question religieuse et n’est pas nécessairement irréligieux. Il y reviendra en 1905 dans une brillante improvisation au Parlement : si j’étais l’Église, voilà ce que je dirais aux savants, puis aux prolétaires. Il s’inscrit par là dans la grande tradition d’un socialisme français dont le spiritualisme s’oppose à tout matérialisme : du Nouveau christianisme de Saint-Simon au Spiridion de George Sand, écho de Pierre Leroux.

Quelque peu oublié, Ferdinand Buisson (1841-1932) retient à nouveau l’attention depuis une dizaine d’années. Directeur de l’enseignement primaire pendant dix-sept ans, député pendant vingt-deux ans, il n’a jamais été ministre. Mais, s’il n’a rien gouverné, il a tout présidé : en particulier la commission préparatoire à la séparation des Églises et de l’État (1905), la Ligue de l’enseignement, la Ligue des droits de l’homme, la Libre Pensée. Professeur à la Sorbonne (pédagogie), fondateur du Musée pédagogique, concepteur et directeur de ce monument indépassé que constitue son Dictionnaire de pédagogie et d’instruction primaire (2e édition : 1911, 2087 pages), il recevra le Nobel de la paix en 1927 après Briand et Bourgeois.

Sans jamais occuper le devant de la scène – ni s’en soucier –, Ferdinand Buisson a été un des penseurs et des artisans les plus actifs de l’œuvre laïcisatrice de la IIIe République avant 1914, en première ligne dans le domaine scolaire. Mais tous les acteurs de cette laïcisation ne partageaient pas la même idée de la laïcité, et ce n’est pas celle que défendait Buisson qui s’est imposée à nous.
Mais alors quelle idée se faisait-il de la laïcité (ce néologisme, écrivait-il en 1911) ? La réponse n’est pas facile parce que sa pensée est doublement radicale. Nous comprenons très bien la critique que Buisson faisait des Églises comme systèmes de connaissance (le dogme) et de pouvoir (le clergé), auxquelles il opposait l’autorité de la raison et l’autorité de la conscience, c’est-à-dire un pur individualisme religieux. Mais plus encore que Jaurès, il affichait un spiritualisme théiste, hostile à tout matérialisme et à tout scientisme : ce qu’il appelait un « idéalisme moral » et une « foi laïque ».

La foi laïque de Buisson
Qu’entendait-il par là ? C’est ce qui ne nous est plus ni évident ni immédiat parce que la culture dans laquelle il baignait est aujourd’hui perdue, engloutie corps et biens. Il conciliait en lui protestantisme libéral et libre pensée sans les confondre, et c’est ce que nous saisissons mal, faute de savoir ce que représentait alors un protestantisme libéral riche en personnalités originales(2).

Le texte capital est ici l’article « Religion » de son Nouveau Dictionnaire (1911), où il reprend et confirme son article « Prière » de la 1er édition : « On a dit : Il faut laïciser la religion. Peut-être serait-il plus juste de dire : Il faut garder du divin tout ce qui est humain, garder de la religion non les mots qui passent, mais les choses qui durent », à commencer par la prière, « élan de l’âme » que symbolise le Notre Père, permettant de « sentir le frisson du mystère qui nous enveloppe ». Hors de l’école publique, bien entendu, et bien que, sans user du mot Dieu, « notre éducation purement morale sera un jour reconnue comme l’éducation religieuse par excellence ».

Il est difficile d’inclure cette piété dans la famille des religions historiques et, moins encore, des « religions séculières » chères à Jules Monnerot. Subsiste donc le problème pointé par Vincent Peillon : le potentiel religieux, la religiosité collective tombée en jachère du fait de son détachement des religions instituées, vacante et disponible pour une grande cause nationale, la République, ou internationale. À suivre, sans tabous, dans l’esprit partagé du libre examen dont se réclamait Buisson, voisinant avec Kandinski, « Du spirituel dans la République ».
Émile Poulat

(1) Jean Jaurès, La question religieuse et le socialisme, Paris, Ed. de Minuit, 1959, 62 p. (publié par H. Desroche).

(2) En France, en Angleterre comme en Allemagne, où Harnack ouvre le débat sur L’essence du christianisme (1901), déclencheur de la « crise moderniste » dans l’Église catholique.
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