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L'OFFICE UNIVERSITAIRE DE RECHERCHE SOCIALISTE
 
Bergounioux / R Lefebvre / Primaires
Les primaires, la fin d’une histoire ?, par ALAIN BERGOUNIOUX

A propos du livre de Rémi Lefebvre, Les primaires socialistes. La fin du parti militant, Raisons d’agir 2011 172 p 8 €

Article paru dans L’OURS n°411, septembre-octobre 2011, page 1


Cet essai de Rémi Lefebvre, politologue à l’Université de Lille, auteur en 2006 avec Frédéric Sawicki d’une étude remarquée sur La société des socialistes, paraît à un moment où les élections primaires ouvertes, organisées par le Parti socialiste pour désigner son candidat à l’élection présidentielle, n’ont pas encore eu lieu. La manière dont elles se dérouleront et se conclueront, décidera sans doute de la possibilité qu’elles deviennent ou non une figure régulière de la vie politique. Mais il est intéressant (et légitime) de s’interroger, d’ores et déjà, sur la signification que peut avoir une telle décision dans l’histoire du Parti socialiste et dans son rôle présent.


Le sous-titre du livre est explicite, « la fin du parti militant ». Pour l’auteur, les élections primaires, en faisant juge un électorat large de qui sera le candidat du Parti socialiste, condamnent la conception historique du parti « comme lieu d’élaboration collective et d’éducation ». Elles achèvent de consacrer le ralliement aux institutions de la Ve République et à la présidentialisation de la vie politique. Elles renforcent le « désinvestissement idéologique » au profit de la « procéduralisation » de la vie politique, consacrant également la « professionalisation » du parti. Et, au total, elles participent de « l’acceptation résigné de l’ordre établi », tant politique que social.

Les militants, et l’opinion
Convenons que le réquisitoire est lourd. La démonstration offre plusieurs points convaincants, particulièrement dans les deux premières parties de l’ouvrage. Les élections primaires actuelles, en effet, s’inscrivent dans une évolution assez longue qui, avec la primauté de l’élection présidentielle, a fait des grands partis politiques le lieu d’un affrontement de plus en plus évident pour la désignation qui a échappé progressivement aux seuls militants pour faire entrer un autre acteur, l’opinion, constamment sollicitée par les sondages et interprétée par les médias. De « fermées » ces « élections primaires », qui ne disaient pas encore leur nom, au congrès de Metz en 1979, entre François Mitterrand et Michel Rocard, sont devenues semi-ouvertes, en 2006, avec les « adhérents à 20 euros », pour l’être complètement en 2011. On peut regretter cette évolution – comme le fait sentir Rémi Lefebvre (encore qu’il refuse la nostalgie) – mais il est clair qu’elle correspond à une tendance longue qui a vu le Parti socialiste et les partis de gouvernement en général, se transformer dans leurs fonctions.
Une faiblesse de l’analyse est de n’évoquer qu’en passant les autres démocraties comparables. Elles ne connaissent pas la « présidentialisation » à la française, mais elles connaissent toutes la personnalisation, le jeu des sondages, l’affaiblissement du militantisme traditionnel, la révolution Internet, etc. La mise en œuvre d’élections primaires n’est pas une nécessité – en Europe, seules les gauches italiennes et grecques l’ont fait avant les socialistes français –, elle est encore moins une garantie de succès électoral face aux droites. Mais elles traduisent un besoin. Celui de répondre à des crises des partis historiques qui éprouvent le besoin de refonder leur légitimité en élargissant leurs soutiens et en renouant les canaux de la mobilisation politique.

Que cela corresponde à un moment de crise, les analyses de Rémi Lefebvre sur la conjoncture où la décision de mettre en œuvre ces élections primaires a été prise le montrent suffisamment. Ce sont les impasses de la « rénovation » du parti – et tout particulièrement la manifestation de la faiblesse de ses procédures internes au moment du congrès de Reims en novembre 2008 – qui ont ouvert la voie à cette expérience. Une coalition s’est ainsi formée pour trouver une autre voie démocratique. Elle a réuni des partisans d’une redéfinition du rôle des partis socialistes, fort minoritaires avant 2008, des dirigeants de la « jeune » génération désireux de bousculer les équilibres anciens, des dirigeants sûrs de leur popularité… Le think tank Terra Nova a servi de catalyseur dans cette réflexion, relayée dans la nouvelle direction du parti, mise en place après le congrès de Reims, par le secrétaire national à la rénovation, Arnaud Montebourg, pourtant partisan d’une République parlementaire… Après la décision de Martine Aubry, fin août 2009, d’inclure dans un programme complet de rénovation la tenue d’élections primaires, la question des modalités a occupé toute l’année 2010 et une bonne partie de l’année 2011. L’éventualité d’une candidature de Dominique Strauss-Kahn explique le caractère tardif du calendrier et le nombre actuel des candidatures. Il est clair que ces circonstances particulières auraient pu ne pas se produire. Un leadership fort – comme celui de Lionel Jospin après 1995 – aurait fait faire l’économie de ces élections primaires. Un candidat « évident » les aurait transformées en élections de ratification – comme celles qui avaient porté Romano Prodi à la tête de la coalition de l’Olivier en Italie pendant l’année 2005.

Résistance des partis
Il est bon de rappeler ces contingences pour souligner que nous ne sommes pas dans une évolution inéluctable. Et nous ne devons pas oublier non plus que les candidats qui se présentent devant un large électorat sont des dirigeants de parti (ou de partis avec le Parti radical de gauche), avec une première secrétaire en titre, Martine Aubry, un ancien premier secrétaire, François Hollande et le président du Parti radical de gauche. L’auteur le dit, mais il n’en tire pas toutes les conséquences. Ce n’est pas de la « fin » des partis socialistes dont il s’agit, mais d’une étape nouvelle dans leurs fonctions et leur organisation. Ils ont connu, depuis plusieurs décennies maintenant, une double évolution, qui a attendu pallier le rétrécissement de leur base militante et leur moindre capacité d’encadrement dans la société, d’une part, une démocratisation interne, avec un vote militant direct pour le premier secrétaire et les secrétaires départementaux, et des sollicitations plus fréquentes, pour les votes militants, d’autre part, des tentatives de mettre en œuvre des formes de démocratie participative, dont ces élections primaires ouvertes. Ces adaptations sont hésitantes et auront des effets qu’on ne peut pas encore pleinement juger. Elles se heurtent, en effet, à une autre tendance – que Rémi Lefebvre et Frédéric Sawicki ont bien analysée –, qui est la primauté des élus et la professionnalisation du parti qui en découle. Mais, là encore, il s’agit d’une réalité ancienne, qui a pris plus de corps encore avec la décentralisation. Le Parti socialiste se trouve donc dans une situation quelque peu contradictoire. Mais ce n’est pas en se roulant en boule sur les conceptions anciennes qu’il réussira à se forger un avenir alors que les conditions de l’engagement politique ont profondément changé, pour des raisons sociales, culturelles, technologiques… Cela veut-il dire nécessairement, que le Parti socialiste n’a plus d’idéologie ? L’auteur le croit, arrêtant sa pendule aux années 1970… Ce ne sont certes pas les mêmes. Et les socialistes français n’échappent pas aux interrogations qui sont celles du socialisme européen. Mais, lorsqu’ils avaient un vieux fonds marxiste partagé, cela a-t-il interdit des politiques qui ne trouveraient certainement pas grâce aux yeux de Rémi Lefebvre, en 1956 ou en 1983 ?

Il faut donc prendre les évolutions actuelles pour ce qu’elles sont. Non pas comme la liquidation volontaire (et cynique) d’un héritage. Mais comme la recherche de voies nouvelles qui tiennent compte des réalités sociales et culturelles. Des élections primaires réussies n’amèneraient-elles pas d’autres formes de mobilisation politique ? Les militants, parce qu’ils partagent le choix de leur candidat aux élections présidentielles, et même peut-être demain à d’autres élections, ont toujours la tâche d’organiser les mobilisations. Mais ils peuvent le faire autrement qu’en vivant repliés sur de petites structures politiques, en tissant des liens militants plus diversifiés, peut-être plus intermittents, mais aussi plus nombreux, reconstituant une société politique en réseaux. L’avenir dira ce qu’il en est. Mais, il est d’ores et déjà utile (et passionnant pour des militants) de réfléchir à ce qu’ils font. Et pour cela, le livre de Rémi Lefebvre est d’un grand intérêt.

Alain Bergounioux
 

 
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