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L'OFFICE UNIVERSITAIRE DE RECHERCHE SOCIALISTE
 
Lavergne/Delporte367
La communication fait-elle l’élection ?
par François Lavergne

a/s de Christian Delporte, La France dans les yeux. Une histoire de la communication politique de 1930 à nos jours, Flammarion 2007 490 p 24 €

Historien des images et des médias, Christian Delporte propose une « histoire de la communication politique » en France particulièrement stimulante et vivante. Livre citoyen également, car il invite à regarder les transformations de la vie politique sur la longue durée, à ne pas confondre les pentes et les ruptures, les politiques ayant encore le pouvoir de dire non.


Au début était la « propagande » ; puis vint le temps de « la communication politique ». Simple changement d’expression pour désigner une action de persuasion ? Si les méthodes peuvent parfois se ressembler, une différence de nature distingue cependant les deux activités : l’échange. La communication met en dialogue, quand la propagande assène. Reste que la politique n’est pas une activité comme les autres, son but est aussi de convaincre, de défendre une vision de la marche des choses, une grille de lecture pour conduire et gérer les affaires de la cité. Faire l’histoire de la communication politique suppose de tenir ensemble des fils qui relient l’évolution des outils de communication (presse, radios, télévisions, Internet…), des moyens de mesure des attentes des citoyens-électeurs (sondages, panels, enquêtes…), les transformations du journalisme, l’émergence du métier de « communicant » liée à l’irruption de la télévision, à son pouvoir supposé et donc à la maîtrise professionnelle qu’elle exige. Marcel Bleustein-Blanchet, fondateur de Publicis, de Guy Mollet en 1956 à De Gaulle en 1960, apparaît là en précurseur. Il trouve en Michel Bongrand avec Lecanuet en 1965, en Jacques Ségéla, de Mitterrand à Jospin, ou en Jacques Pilhan, de Mitterrand à Chirac, d’influents successeurs. Mais cette histoire s’inscrit dans des règles institutionnelles et juridiques (statuts des chaînes, monopole puis privatisations), des changements des mœurs politiques (notamment les lois sur le financement de la vie politique). Sans oublier ni l’histoire industrielle, culturelle et politique, ni négliger la mémoire des citoyens… Un ensemble de données que Christian Delporte maîtrise. Son sens du récit, son souci de précision et sa longue pratique des archives sonores et audiovisuelles en font un guide passionné et passionnant. Le lecteur des travaux reconnaîtra certains thèmes, grandes figures ou moments déjà évoqués dans des articles, mais son attention reste en éveil tant les informations dont il disposait sont complétées et enrichies. Son histoire est cependant centrée sur le plan national, explorant peu les « dégâts collatéraux » de la communication politique dans les collectivités territoriales, grandes et petites, et sur les « hommes politiques » de moindre calibre.

Tardieu, l’homme au micro entre les dents
Tout commence, on l’a oublié, avec André Tardieu, brillant homme politique de droite, détesté à gauche, « l’homme au micro entre les dents » dénoncé par la presse socialiste. L’inspiration lui est venue d’outre-atlantique : faire de la radio un outil pour s’adresser aux électeurs dans le cadre de la campagne des législatives de 1932 risquées pour son camp. Cependant, c’est avant F. D. Roosevelt qu’il invente les « causeries au coin du feu » lesquelles, de Mendès France à Fabius notamment, sont autant de balises dans les évolutions et les permanences, les références et les mémoires activées dans l’art de dialoguer avec le peuple, pour expliquer sa politique. L’initiative de 1932 ouvre la voie : en 1936, pour la campagne, les partis politiques peuvent s’exprimer à la radio. Maurice Thorez, tribun à l’ancienne, a plus de mal à maîtriser sa fougue à l’antenne que Léon Blum, dont la voix module les effets. Le média impose une nouvelle forme de discours. Mais comme un peu plus tard avec la télévision, les hommes politiques rechignent à avouer qu’ils s’entrainent, prennent des cours avec des professionnels, pour parler et se présenter naturellement. Comme si tout devait être toujours naturel en politique ! Et dans les salles de cinémas, après les actualités cinématographiques, les premiers « films » de campagnes divisent les spectateurs.
En 1940, à Londres, de Gaulle apprivoise le micro, homme de conviction, habité par sa mission : faire vivre la France trahie. Guerre des ondes, le temps de la guerre est celui de la propagande. Pétain est partout. Le régime de Vichy en fuite, la République veut submerger le pays d’images positives. Paul Colin réveille Marianne, les trois couleurs s’affichent, la France se redécouvre. Et les hommes politiques se sont à peine habitués à la radio, que déjà la télévision s’annonce. L’État contrôle, tente d’assurer la pluralité de la presse. Les premier conseillers arrivent. Les magazines s’intéressent à la famille des hommes politiques. Le couple Auriol, à l’Élysée, inaugure une nouvelle forme de présence. Les exploits de leur belle fille, l’aviatrice Jacqueline Auriol, font la une. Paris Match dévoile une part de leur intimité : en 1954, Madame Coty, épouse comme les autres, sert la soupe à son président de mari. En 1956, les filles de Guy Mollet sont photographiées en vacances ; leur père, président du Conseil, se met en scène à la télévision avec Pierre Sabbagh. Bien des évolutions sont déjà en cours quand en 1962 l’adoption du principe de l’élection du président de la République au suffrage universel bouleverse la donne. Ce rendez-vous se définit comme la rencontre d’un homme et du peuple. La personnalisation du pouvoir s’accélère.

Le triomphe de la com’ ?
À partir du cas Lecanuet, en 1965, Christian Delporte décrit l’essentiel des pouvoirs attribués à la télévision, et aux nouvelles techniques de « persuasion ». Il relativise leur impact puisqu’au final, le score de ce candidat au sourire si « commercial » est voisin de celui habituellement réalisé par sa famille politique, la démocratie chrétienne, en France. Les cultures politiques ont la vie dure. Chaque étape – à part bizarrement mai 1968 – est analysée avec son lot de surprises, de permanences, de croyances dans des formules et rituels magiques. Il interroge l’impact surestimé des débats d’entre-deux-tours des présidentielles (« le monopole cœur », en 1974, « l’homme du passif », en 1981), avec les astuces des conseillers pour mettre en valeur leur candidat, jusqu’à neutraliser les échanges. Il observe comment Marchais ou Le Pen déstabilisent les professionnels, suit l’évolution des discours avec la logique des petites phrases, la traque de la « langue de bois » par les journalistes, la mise en scène de la vie privée, et la « pipolisation » accélérée, avec bien souvent la complicité des politiques eux-mêmes, avides de nouer le contact avec les « vrais gens »… À travers l’aventure policico-médiatique au début des années 1970 de JJSS, notre « Kenedyllon » moqué par Mauriac, qui grisé par son succès à Nancy croit pouvoir conquérir Bordeaux face à Chaban-Delmas, étape avant l’Élysée, et se fait rappeler à l’ordre par les électeurs, ou celle vite avortée des « Rénovateurs » (Léotard, Noir, Carignon…) dans les années 1980, poussés par quelques journalistes, l’historien pointe l’illusion du tout communication. Avec les dépenses imposées pour cette surenchère, des affaires de financement frauduleux se mutiplient. Les citoyens-téléspectateurs sanctionnent dans les urnes. Ils observent, pas dupes, le spectacle qui leur est offert, et les sondages sensés traduire leurs choix : les résultats des derniers scrutins sont là pour rappeler que les « surprises » sont plus la règle que l’exception. La nomination à Matignon, en 2002, de Jean-Pierre Raffarin, un communicant expert en formules chocs, marque d’une certaine façon l’apogée d’une corporation qui sait si bien se vendre. Succès paradoxal puisque, comme le note Christian Delporte, malgré tous les moyens mis en œuvre, l’image des hommes politiques a rarement été aussi mauvaise. Mais de là à en faire une faute professionnelle !
Ses sources, sa bibliographie et son index font de cet ouvrage grand public un outil précieux pour de nombreuses recherches.
François Lavergne
La communication fait-elle l’élection ?
par François Lavergne
 

 
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