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L'OFFICE UNIVERSITAIRE DE RECHERCHE SOCIALISTE
 
Le Bot / Piketty…/ Pour une révolution fiscale
Impôts : la veille du 4 août ?
Par Florent Le Bot

A propos de Camille Landais, Thomas Piketty, Emmanuel Saez, Pour une révolution fiscale. Un impôt sur le revenu pour le XXIe siècle, Seuil, 2011, 134 p, 12,50 €

Article paru dans L’OURS, n°406, mars 2011, p. 3

L’ouvrage est dû à trois économistes connus pour leurs travaux sur les inégalités de revenus et les politiques redistributives en France et aux Etats-Unis(1).
Il s’agit ici de proposer une refonte du système fiscal français, à budget constant, afin de le rendre « plus simple, plus équitable, plus lisible ». Selon quels constats ? Avec quelles propositions ? Pour quelles perspectives ?



Les revenus modestes supportent aujourd’hui des taux effectifs d’imposition d’environ 45 à 50 %, lorsque ceux des plus riches sont en moyenne à 30 ou 3 % (hors stratégie « d’évitement » fiscal…). Le graphique ci-dessous vient étayer la démonstration, illustrant la régressivité de l’actuel système fiscal, progressif jusqu’au niveau des classes moyennes, puis franchement régressif pour les 5 % les plus riches (2,5 millions de personnes sur un total de 50,4 millions) et surtout au profit des 1 % les riches (0,5 millions de personnes).
Source : Pour une révolution fiscale, chap. 1, p. 50.

Rapidement, pour quelles raisons ? Les cotisations sociales et autres taxes sur les salaires sont régressives, pesant très peu sur les revenus du capital et les hauts salaires (plafonnement). Les impôts sur la consommation (TVA et autres impôts directs) sont également régressifs, les plus pauvres consomment la quasi-totalité de leur revenu, alors que les plus aisés peuvent en épargner une large part. Les impôts sur le capital (impôt sur les bénéfices des sociétés (IS), taxe foncière (TF), impôt sur la fortune (ISF) et droits de successions (DMTG)), sont progressifs du fait de la très forte concentration des patrimoines : les plus pauvres ne possèdent presque rien, les plus aisés possèdent la quasi-totalité du capital immobilier et financier. Enfin, les impôts sur le revenu (CSG et IRPP), sont faiblement progressifs pour les revenus modestes et moyens, et franchement régressifs pour les hauts revenus.
Source : Pour une révolution fiscale, chap. 1, p. 51.

Notons, pour faire bonne mesure, que l’impôt sur le revenu représente 6 % du total des prélèvements obligatoires, les 94 % « restant » étant payés par tous, et notamment par les revenus modestes. Les auteurs de conclure à « l’échec de notre système d’impôts sur le revenu, qui en principe devrait compenser la régressivité des impôts sur la consommation et des cotisations sociales, et en réalité ne fait que renforcer la régressivité d’ensemble. »

Fondre l’impôt sur le revenu
dans une CSG progressive

Dès lors, ils proposent la création d’un nouvel impôt sur l’ensemble des revenus du travail et du capital, selon une assiette élargie et prélevé à la source, sur le modèle de la cotisation sociale généralisée, avec toutefois un barème progressif, se substituant aux 8 % uniformes de l’actuelle CSG. Cet impôt remplacerait l’impôt sur le revenu mité par les niches fiscales, le prélèvement libératoire, la prime pour l’emploi, ainsi que le « bouclier fiscal ». Une partie des recettes de cet impôt serait affectée à la protection sociale afin de suppléer à la disparition de la CSG ancienne manière.

Il s’agirait dans le même temps de supprimer toutes les niches fiscales, selon le principe de pure équité : « à revenu égal, impôt égal ». L’individualisation des prélèvements accompagnerait la fin du quotient conjugal qui renforce les inégalités hommes-femmes (en encourageant celles-ci à abandonner leur activité lorsque leur revenu est plus faible que celui de leur conjoint) et contribuerait à désamorcer les clivages sociétaux en matière de choix familiaux. Les enfants seraient pris en compte à travers un nouveau système appelé à remplacer l’actuel quotient familial : parmi d’autres scénarios envisageables, il est proposé d’avoir recours au crédit d’impôt à la place de l’ensemble des prestations familiales (allocation familiale, allocation de rentrée scolaire, etc.).

Le livre se termine par un ensemble de propositions complémentaires qui, pour être moins centrales dans la démonstration, n’en offrent pas moins des pistes nombreuses à explorer : revenu d’autonomie pour les 18-25 ans, simplification du système de transferts sociaux, transformation de l’allocation logement en allocation forfaitaire (ayant, pour effet escompté, une baisse des loyers), réforme de la protection sociale distinguant clairement ce qui relève du contributif et de l’universel et renvoyant ce dernier à l’impôt (la TVA sociale apparait selon eux, et à juste titre, une « fausse » bonne idée reportant l’effort des entreprises sur les plus démunis – voir supra), le maintien d’un impôt sur la fortune (comme élément correctif des très fortes inégalités de patrimoine), et pourquoi pas la prise en compte dans les revenus du capital, des loyers « fictifs » économisés par les propriétaires (15 milliards de recettes supplémentaires), mais aussi de l’ensemble des revenus du capital mobilier dont la moitié sont défiscalisés.

Ces réformes, ou cette réforme d’ensemble, peut se faire en conformité avec le droit européen. Il n’en reste pas moins que la perspective demeure la coordination fiscale à l’échelle de l’Union européenne (harmonisation de l’impôt sur les sociétés, règles en matière de fiscalité des travailleurs immigrés à hauts revenus, lutte contre la fraude fiscale et les paradis fiscaux).

Est-ce à la hauteur des enjeux ?
Clarification, simplification, transparence, retour à une justice fiscale, il y a, derrière ces objectifs, l’idée d’une refondation du pacte républicain. « Sans impôts, il ne peut exister de destin commun et de capacité collective d’agir. » L’on perçoit ce qu’une réforme de ce type, largement appropriée, consentie et même soutenue, pourrait entraîner d’effets vertueux, de consentement aux « efforts partagés », alors que le moral civique est à l’étiage. On peut toutefois s’interroger sur la portée globale d’une telle réforme. Est-elle à la hauteur des enjeux d’une fiscalité du XXIe siècle, telle qu’annoncée par les auteurs ? Faut-il procéder étape après étape et se dire qu’après tout mieux vaut une réforme juste plutôt que pas de réforme du tout – ce que l’immobilisme électoraliste peut laisser craindre. Pourtant, les enjeux du jour et du lendemain ne sont plus ceux du XIXe siècle et de ce début de XXe siècle qui a vu se mettre en place l’impôt sur le revenu (loi du 15 juillet 1914). Désormais, il ne s’agit plus de mobiliser les ressources de la Nation dans la perspective d’une course aux impérialismes, mais « d’inventer » un nouveau modèle d’usages et de répartitions des ressources, alors que celui qui a cours s’avère prédateur et destructeur (la question récemment mise en lumière, de l’exploitation des gaz de schistes en témoigne ad absurdum). De manière générale, les auteurs s’abstraient de tout débat économique d’ensemble, se convainquant de la « neutralité » de leurs propositions fiscales. Doit-on s’en contenter et remettre à plus tard des questions qui engagent également la place des entreprises dans notre société – entreprises qui sont absentes de l’horizon de réflexion de nos auteurs (même si l’objet de leur proposition est notamment d’alléger les prélèvements pesant sur le travail) ? « Notre maison brûle et nous regardons ailleurs » (Jacques Chirac, 2002).

Le mérite de l’ouvrage est de porter dans le débat public une question très technique de manière simple (mais non simpliste), et accessible à tous. Il clarifie des notions comme revenu (flux) et patrimoine (stock) et permet de visualiser, dans leur masse, les revenus et les prélèvements. Il faut incontestablement en être reconnaissant aux auteurs et s’engager dans la discussion qu’ils appellent de leurs vœux, notamment à l’aide du simulateur fiscal, tout à fait novateur, proposé sur l’espace web : www.revolution-fiscale.fr

Florent Le Bot
(1) On se souvient en particulier du livre de Thomas Piketty sur les Hauts revenus en France au XXe siècle (Grasset, 2001).
 

 
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