ACTUALITE
L'OURS
PUBLICATIONS
DEBATS DE L'OURS
LIVRES DIFFUSÉS
SEMINAIRE OURS
ARCHIVES BIBLIOTHEQUE
TEXTES, IMAGES, DOCUMENTS
L'OURS Signale (colloque,
LIENS UTILES
NOUS ECRIRE
 
Nous joindre
L'OURS 12 Cité Malesherbes 75009 Paris
Tél. 01 45 55 08 60
Pour être informé de nos activités (réunions, parutions, séminaires…), laissez nous un message électronique :
e-mail : info@lours.org
 
L'OFFICE UNIVERSITAIRE DE RECHERCHE SOCIALISTE
 
Girard/Smith357
Français, trop français
par PASCAL GIRARD

à propos de : Timothy B. Smith, La France injuste. 1975-2006. Pourquoi le modèle social français ne fonctionne plus, Autrement « Frontières » 2006 353 p 22 e

Un pavé lancé dans la mare de nos convictions franchouillardes : la France est loin d’être un pays solidaire et la mondialisation n’y serait pas pour grand-chose.

Dans l’introduction spécialement destinée aux lecteurs français, l’auteur prend bien soin de préciser ses convictions – de gauche –, son admiration pour les réussites du modèle français et ses intentions : le réformer pour le sauver. Il fait bien, car si la parution de l’ouvrage en 2004 a été saluée favorablement dans le monde anglo-saxon, pour le lecteur français en revanche, la charge risque d’être violente.

Un anti modèle ?
S’appuyant sur une pléthore de données que l’on n’a pas forcément l’habitude de considérer sous ce jour, Timothy Smith entreprend de démontrer que notre « fracture sociale » ne peut être résorbée par notre État-Providence, qui tel quel ne ferait que l’entretenir. De création récente (la France ayant longtemps été « en retard »), il assure aujourd’hui une très large gamme de prestations sociales. Parfois dispendieux, il a tout de même abouti, par exemple, à la quasi-éradication de la pauvreté des personnes âgées ou à la mise sur pied d’un système de santé de qualité – ce qui est souligné avec admiration.
Toutefois, notre système de prestations sociales souffrirait désormais de trois défauts mortels que seule l’Italie connaîtrait avec la même acuité. Le premier est que demeure une forte minorité de perdants du système, qui subissent bien plus que les autres chômage, sous-emploi, pauvreté ou précarité, et parmi lesquels les jeunes, les immigrés, les femmes, les handicapés sont fortement surreprésentés. Or, les écarts avec les plus riches ne sont pas en passe de se réduire, car – c’est le deuxième point sur lequel insiste l’ouvrage – notre système de prestations sociales est trop peu redistributif, et néglige ceux qu’il devrait aider. En effet, par rapport à nombre de nos voisins, le fisc épargne relativement les strates supérieures de revenu, tandis que la meilleure part des financements sociaux est consacrée à la santé et au paiement des retraites. De fait, ceux-ci vont majoritairement aux plus âgés, déjà en moyenne – autre anomalie française – plus riches que les actifs. Pour l’auteur, on ne perdrait rien á réorienter une partie de ces fonds pour financer des prestations familiales revues à la hausse, une distribution des allocations chômage plus généreuse, un meilleur encadrement de la précarité, une politique de lutte contre la pauvreté ambitieuse, le développement de la formation professionnelle et l’amélioration du cadre universitaire. Enfin, le fonctionnement de l’ensemble n’est plus viable financièrement, et devrait être refondu, le livre dénonçant à ce titre particulièrement l’iniquité générationnelle et les régimes spéciaux. Tandis que les retraités bénéficient de précoces et souvent confortables retraites assurées par un endettement croissant (en ayant parfois modestement cotisé pendant une période de grande prospérité), les générations nouvelles doivent faire face aux difficultés du marché du travail, avec en point de mire une retraite chiche et sans doute très tardive, autour de la moyenne actuelle de l’espérance de vie… Phénomènes culturels aggravants, le fatalisme ambiant sur la question du chômage, qui est pourtant la cause la plus grave d’inégalité sociale, l’acceptation de certains corporatismes déguisés en manifestation de solidarité et la propension bien française à faire porter les responsabilités sur l’Europe ou la mondialisation.
Il nous semble, néanmoins, que l’auteur est lui aussi souvent bien injuste. Il n’instruit pratiquement jamais à décharge, l’accumulation de chiffres et d’exemples « accablants » n’étant pas sans faire penser à la litanie de déclinologues. Les attaques répétées contre les politiques menées par François Mitterrand et Lionel Jospin sont d’après nous fréquemment excessives, seul Michel Rocard trouvant grâce à ses yeux du côté socialiste. Quand il s’en prend aux « privilèges » du service public, c’est peut-être avec des intentions égalitaires, mais il fait le jeu du nivellement par le bas des droits sociaux, et lorsqu’il dénonce le rôle « néfaste » des partenaires sociaux ou des syndicats, il occulte singulièrement les responsabilités du patronat et de ses illustres représentants. Enfin, quant aux abus – réels – du discours anti-mondialisation, il oublie ce que Jean-Claude Michéa – entre autres – a montré avec clarté : la mondialisation a d’abord été instrumentalisée par les tenants d’un ordre libéral, comme un horizon idéal justifiant cependant toujours plus de régression sociale.

L’avenir nous appartient
Mais reconnaissons à Timothy Smith l’art de poser les questions gênantes, une vraie préoccupation pour le sort des plus démunis, et des vues originales qui nous forcent à porter notre regard hors de nos frontières, le caractère déstabilisant de ce livre provenant sans doute d’ailleurs du fossé avec notre sensibilité nationale. Le « modèle scandinave » dont il se fait ainsi le chantre, et qui est depuis des années cité à titre d’exemple en Allemagne comme dans le reste de l’Europe, n’occupe pas la même place dans le débat politique français. Or, comme il le montre, même si les systèmes sociaux de la Suède, du Danemark (ou encore des Pays-Bas, il est vrai un peu remis en question à l’heure actuelle) ne sont pas sans défauts, ces pays arrivent à combiner de forts taux de prélèvements avec un chômage relativement faible, un marché du travail plus flexible avec un système social plus redistributif. De plus, bien qu’ils s’appuient sur des économies encore plus ouvertes que la notre, moins puissantes ou diversifiées, ils ont malgré tout réussi à promouvoir la solidarité sous de nouvelles formes, en dépit ou de façon indépendante de la mondialisation. Il serait finalement surprenant que la France, riche et centralisée, ne puisse pas être elle aussi maîtresse de son destin. S’il faut prendre du recul par rapport au tableau un peu léonin de l’auteur, il nous rappelle au total qu’en matière sociale, beaucoup est affaire de choix de politique intérieure, même l’évasion fiscale peut-être réglementée et punie. Il répudie les excuses derrière lesquelles s’abriter pour justifier l’immobilisme et l’endettement, et, point crucial, démonte du même coup l’idée que la seule alternative résiderait seulement dans plus de libéralisme et l’instauration de systèmes à l’anglo-saxonne qu’il est le premier à critiquer (Angleterre) voire redouter (États-Unis).
Les remèdes avancés sont d’ordre divers, et ne constituent pas une reprise pure et simple des recettes appliquées ailleurs. D’abord prendre ses responsabilités et rompre avec un discours anti-mondialisation incantatoire et irrationnel, qui ne conjure aucun problème mais fait le jeu néfaste des extrêmes. Pour les mesures concrètes, les premières seraient destinées à libéraliser le monde du travail afin, selon lui, de faire baisser le taux de chômage à un niveau plus acceptable, en particulier pour les jeunes. Cela paraît bien hasardeux dans le climat actuel mais, au contraire d’un gouvernement qui a provoqué une révolte de grande ampleur, il ne propose pas d’offrir une précarité sans contrepartie comme seule perspective d’avenir. La solidarité qui est due aux fractions les plus pauvres et fragiles de notre société se traduirait, dans les faits, par des prestations sociales revues à la hausse pour ceux qui en ont le plus besoin. À la clé, des coupes budgétaires pour les dépenses non redistributives et une réforme du système fiscal : impôts sur le revenu plus progressifs, suppression de niches fiscales, plafonnement des déductions.
S’il fournit des perspectives de poids pour la gauche, sans doute seule à pouvoir assumer certaines réformes, ce type de projet a néanmoins deux défauts fondamentaux – en dehors de tout jugement de valeur. D’une part, en décalage avec nos cultures politiques, certaines propositions nous semblent difficiles à intégrer dans le discours électoral. D’autre part, dans la mesure où ceux qui bénéficient du système sont les plus nombreux et les plus puissants, il s’agirait de les convaincre de mettre en berne leurs propres prétentions pour prendre le mot solidarité au pied de la lettre, ce qui n’est pas nécessairement une mince affaire.
Pascal Girard
retour au sommaire de l'OURS 357
 

 
© L'OURS - 12 cité Malesherbes 75009 Paris