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L'OFFICE UNIVERSITAIRE DE RECHERCHE SOCIALISTE
 
Dupont/Berman/Mai 68
Mai 68, les destins d’une génération
par Claude Dupont

à propos de Paul Berman, Cours vite camarade ! La génération 68 et le pouvoir
Denoël 2006 278 p 22 e

Que sont les soixante-huitards devenus ? Paul Berman, un des représentants éminents de la gauche américaine, et ancien « soixante-huitard », tente de l’expliquer en suivant le parcours de quelques figures emblématiques : Daniel Cohn-Bendit, Bernard Kouchner, Régis Debray, André Glucksmann et surtout Joschka Fischer.


Il ne s’agit pas d’une étude fortement charpentée, mais d’une juxtaposition de tableaux ; on est là plus près d’articles de journaux que d’une thèse. Mais, au terme de l’ouvrage, on comprend que l’évolution des personnages est autre chose que la trajectoire de jeunes, qui, classiquement, jettent leur gourme à vingt ans pour ensuite s’intégrer naturellement dans les appareils de pouvoir ou les organismes de direction. Les itinéraires suivent les évolutions considérables que le monde a connues depuis quarante ans…

Violence et politique
La mise en avant de Joschka Fischer n’est pas arbitraire. Ce militant extrémiste qu’un journaliste photographie frappant violemment un policier au cours d’une manifestation, vingt-cinq ans avant qu’il ne devienne le fort respectable ministre des Affaires étrangères d’Allemagne, donne l’exemple d’un grand écart spectaculaire. Pour Paul Berman, la violence particulière d’un passé « voilé de l’ombre noire » de l’avant-guerre s’explique par la peur de ces jeunes d’avoir été victimes d’une ruse de l’histoire, par la crainte que le nazisme ne se soit perpétué sous la forme d’un capitalisme à visage faussement humain et qu’un système moderne de rationalité industrielle ne se soit appliqué à des buts irrationnels. Face à la possibilité de la renaissance de l’hydre, trois solutions sont possibles : la première, c’est de ressusciter le bon vieux marxisme d’autrefois, celui de Karl Liebknecht ou de Rosa Luxemburg. Mais le marxisme ayant depuis poussé des surgeons en terre exotique, et la guerre du Vietman étant devenue, dans les années 70, emblématique, on penchera plutôt vers un marxisme modernisé, mâtiné de Ho Chi Minh, de Mao, du Che ou de Fidel. L’expérience d’un jeune Régis Debray est éclairante. Le marxisme traditionnel exigeait du temps, il fallait conquérir la classe ouvrière, à tout le moins préparer un parti d’avant-garde bien enraciné dans le peuple. Le guevarisme permit de raccourcir les délais, en offrant une théorie militaro-révolutionnaire qui séduisait les impatients, avec un rôle majeur dévolu aux « focos », ces noyaux de guérilleros, armés jusqu’aux dents, et entretenant avec les populations des relations équivoques de complicité et de terreur.
Mais l’ambiguïté des mouvements soixante-huitards tenait au fait qu’à côté de ces voies marxistes traditionnelles ou adaptées, continuait à s’esquisser la solution d’essence anarchiste, tumultueusement incarnée par Daniel Cohn-Bendit, mais aussi par Socialisme ou Barbarie et les situationnistes. Entre les deux traditions, les divergences devenaient fossé, notamment sur la question soviétique. Pour les uns, le soutien stratégique inconditionnel à l’URSS fut presque jusqu’au bout la pierre de touche de la fidélité à l’idéal révolutionnaire. Il n’en était pas vraiment de même pour les anars.

L’effondrement d’un monde
Or, en quelques années, le mouvement du monde devait précipiter les évolutions et trois éléments jouèrent un rôle crucial.
D’abord, la question indochinoise. La lutte d’indépendance avait été un phare. L’exercice de l’indépendance devint un cauchemar. Sur les boat-people, c’étaient les damnés de la terre qui fuyaient le pays « libéré ». Puis l’horreur des Balkans. Sur les ruines d’un État communiste, Auschwitz renaissait à Srebrenica, au cœur de l’Europe. Enfin, la crise du Moyen-Orient. Si la cause palestinienne – et Arafat – recueillait a priori la sympathie des militants d’extrême gauche, le malaise naissait vite devant ces mouvements d’un « modernisme réactionnaire » qui prétendaient se ressourcer à l’élan musulman du VIIe siècle et dont l’aile progressiste reposait sur cette mythologie baasiste née à Damas en 1943 à partir d’un fatras d’idées germano-romantiques.
Dès lors – et le témoignage de Soljenitsyne fut décisif – pouvait-on accepter – voire soutenir – ce qu’on prétendait conjurer, à savoir toute résurgence potentielle du nazisme ? Pour des internationalistes, la solidarité humaine ne pouvait s’arrêter aux frontières et ce n’était plus la couleur des drapeaux qui déterminait l’engagement mais la souffrance des victimes ; la présence du désastre primait sur la prégnance de l’idéologie et selon la jolie formule de Glucksmann, c’était le temps de « l’humanisme des mauvaises nouvelles ». Il s’agissait de défaire le mal sans essayer d’accomplir le bien. Camus succédait à Sartre.
On assistait, ainsi, au rapprochement du gauchisme révolutionnaire et de l’internationalisme libéral. Quand Carter envoyait la sixième flotte à la rencontre des boat-people, la condamnation de l’impérialisme américain restait-elle une priorité ? Et lorsqu’en 2003, Joschka Fischer proposait la « mondialisation des valeurs fondamentales telles que les droits de l’homme, le respect de la vie, la tolérance culturelle et religieuse, l’égalité de tous les êtres humains », était-il idéologiquement en rupture absolue avec le discours de Bush qui, au même moment, affirmait que sa stratégie devait apporter la liberté et la démocratie au Moyen-Orient – tandis que certains leaders de la gauche antitotalitaire, comme Kouchner, n’étaient pas loin de penser qu’après tout les Irakiens avaient eux aussi « droit à leur débarquement ».
Au fond, dans l’évolution du parcours de certains acteurs de mai 1968, Berman suggère qu’il y eut davantage déport que volte-face. La génération de 68 était née au tout début de l’après-guerre et l’engagement à l’extrême gauche se justifiait pour beaucoup par un refus prioritaire du totalitarisme. Dès l’instant où ils découvrirent que ce fléau pouvait largement se diffuser en dehors du camp de l’impérialisme américain, et bien souvent en opposition avec lui, ils se posèrent en résistants, plus qu’en militants.
Claude Dupont
 

 
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