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L'OFFICE UNIVERSITAIRE DE RECHERCHE SOCIALISTE
 
Bergounioux/Sirinelli/La France qui vient -CNRS éd
Is there something wrong in France ,

par ALAIN BERGOUNIOUX

A propos du livre de La France qui vient. Regards américains sur les mutations hexagonales, Jean-François Sirinelli (dir), CNRS éditions, 2014, 204 p, 20 €

Article paru dans L’OURS 437, avril 2014, page 1


Il est toujours intéressant de voir comment des chercheurs étrangers comprennent notre pays. Et, ici, il s’agit d’éminents spécialistes de l’histoire de notre pays, qui y ont déjà consacré des ouvrages et des essais importants : Suzanne Berger du MIT, Philip Nord de Princeton, Alec G. Hargreaves de l’Université de Floride, Tyler Stovall de Berkeley et John M. Merriman de Yale. Ils livrent, ici, leur vision de la France contemporaine, réunis par Jean-François Sirinelli qui offre sinon une synthèse, du moins un essai de compréhension globale à la suite de leurs articles.

Cet ouvrage fait écho à celui de 1963, A la recherche de la France, qui a fait date dans l’analyse d’une France au bord d’une mutation majeure, le lendemain de la renonciation à l’Algérie, celle des années de la croissance économique et de la société de consommation. L’essai de Stanley Hoffmann, particulièrement, en décrivant la « synthèse républicaine » ancienne, qui dessinait une « société bloquée » et les chemins de la modernisation, a marqué les études sur la France.

Une France désillusionnée
Qu’est-ce qui marque aujourd’hui celles et ceux qui décrivent la France ? Disons, d’emblée, qu’ils partagent le même diagnostic que la plupart des Français, celle d’une France qui vit mal la mondialisation et qui paraît désillusionnée. La contribution de Suzanne Berger est peut-être la plus attendue, car elle porte sur le cœur des problèmes actuels, la difficulté pour l’État de restaurer l’économie – ce qui était au cœur de l’optimisme des années 1960. Bien sûr, les causes principales tiennent aux changements fondamentaux qu’a connus le capitalisme. Mais – ce qui est troublant – l’auteur pointe également les responsabilités proprement françaises – qui sont celles qu’un autre historien de l’économie de 1963, Charles P. Kindleberger, notait déjà : la mauvaise articulation entre l’éducation, la production ; un écosystème industriel qui ne fait pas suffisamment sa place aux entreprises de taille intermédiaire ; une prédominance de la défiance vis-à-vis d’une économie ouverte sur le monde. Les responsables politiques, depuis une trentaine d’années, n’ont pas voulu expliquer clairement à l’opinion les contraintes de l’intervention de l’État dans une économie globalisée. Ils ont voulu pallier les difficultés par l’approfondissement de la construction européenne, mais en lui faisant souvent porter la responsabilité des adaptations nécessaires pour l’économie française. Il n’est donc pas étonnant que Suzanne Berger ne voit pas de chances de réussite sans un compromis entre la culture dirigiste – toujours prégnante dans notre pays – et les entreprises privées. Cela tombe bien, c’est ce qui est tenté aujourd’hui…

La France a mal à sa jeunesse
Un deuxième grand enseignement de ces essais est la convergence de trois auteurs, Tyler Stovall, John M. Merriman et Alec G. Hargreaves, sur le « gouffre » qui risque de se créer entre une partie de la jeunesse d’origine immigrée et la société française. « Le déclin de la classe ouvrière, écrit Tyler Stovall, et la montée d’une société pluriculturelle ont trouvé un site d’expression privilégiée dans les banlieues. » 20 % des Français environ habitent aujourd’hui les banlieues. Les difficultés économiques, le chômage qui touche de plein fouet les jeunes, les discriminations quotidiennes, tout cela dessine une crise qui pourrait être le problème majeur de la société française – et dont les manifestations d’extrémisme religieux sont un effet et non une cause. Pour Alec G. Hargreaves, sous les incantations du discours républicain et la dénonciation du communautarisme ethnique religieux se cachent souvent des réflexes d’exclusion qui alimentent des affirmations extrêmes. On voit l’ampleur des questions que soulève ce constat largement partagé aux États-Unis concernant la France. Les problèmes économiques, aussi importants soient-ils (car ils dessinent le cadre actuel non pas d’une société en crise, mais d’une société de crise), ne doivent pas occulter nos problèmes de société.

Dans sa conclusion, Jean-François Sirinelli ne cache pas que notre « civilisation républicaine » est ébranlée, à la fois, pour des raisons conjoncturelles et structurelles. Au processus inclusif qui était l’un des fondements de cette « civilisation » a succédé le temps des différences sur fond de crise. Remettre en marche la France, comme l’a fait la génération de l’après-guerre suppose de renouveler en profondeur le discours politique (notre discours politique) pour ne pas nier les réalités. Le regard décalé mais attentif de ces observateurs privilégiés aidera à mener un débat approfondi.

Alain Bergounioux
 

 
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