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L'OFFICE UNIVERSITAIRE DE RECHERCHE SOCIALISTE
 
Guy Mollet, Epinay 1971
Guy Mollet
Dimanche 13 juin 1971 matin


Mes chers camarades,
A ce moment du débat, beaucoup de choses déjà ont été dites, que je ne crois pas utile de répéter. Par ailleurs, un certain nombre de vérités premières ont été dites, que je ne crois pas à mon tour utile de reprendre. Par exemple : la condamnation du régime actuel en France est certainement unanime dans nos rangs. La seule différence qu'il puisse exister, c'est que l'un trouvera pour l'exprimer des accents plus éloquents que l'autre… Encore : la volonté de créer un parti fort, puissant, et à vocation majoritaire… C'est évidemment un bon thème. Mais imaginez, en effet, le sort que vous auriez réservé au malheureux, qui vous eût proposé comme objectif de bâtir un parti faible, impuissant et à vocation minoritaire ?… (rires et applaudissements).
Je vais donc limiter mon propos à ce qui, à mes yeux, est essentiellement le débat d'orientation.
Lorsque les uns et les autres, pas tous ensemble, et pas tous dans le même sens, mais tous, nous avons voulu une novation, qu'est-ce que cela voulait dire, s'il s'agit d'orientation ?
La novation, c'est clair dans d'autres domaines (structures, personnel, etc.), mais en ce qui concerne l'orientation, cela a besoin d'être très précis.
Est-ce directement - comme il apparaît à mon avis à l'audience de nos débats - est-ce directement et uniquement le problème des rapports avec le Parti communiste ?
Au risque d'étonner, au besoin de décevoir, je dois dire que pour un certain nombre d'entre nous, et en tous cas pour moi, ce n'est pas ainsi que cela a commencé. Cela débouche là-dessus, mais ça ne commence pas par cela.
L'essentiel de la question qui s'est posée à l'esprit des socialistes, peu à peu, c'est l'attitude du Parti socialiste, quel qu'il soit, l'attitude du Parti à l'égard du problème gouvernemental en régime capitaliste. C'est ça le problème de fond.
Avant la guerre 39/45, c'était simple et clair. Longtemps même ce fût presqu'une question de principe, avant de devenir une question d'appréciation. Les socialistes ne participaient pas à un gouvernement en régime bourgeois. A la Libération, et pas seulement en France - c'est un problème général - on a assisté à quelque chose d'aussi clair et d'aussi général : la participation gouvernementale était devenue une règle, très simple, l'action gouvernementale était un objectif normal.
Je ne vais pas expliquer, tenter de justifier, a fortiori encore moins condamner, ce qui a été fait à ce moment-là par les uns et par les autres. Je ne chercherai pas davantage à établir où furent les responsabilités. C'est un tout autre débat, c'est valable pour les historiens. Je constate simplement ; c'est un fait. Et j'ajoute que si ce n'est pas un phénomène particulier à la France, ce n'est pas non plus un phénomène particulier au Parti socialiste.
A ma connaissance - je peux me tromper, cela m'arrive souvent - je ne crois pas qu'il ait existé en France une formation politique de gauche ou un homme politique de gauche qui n'ait pas sacrifié à cette attitude. Tous ! Je dirai même pendant un moment, dans les lendemains immédiats de la Libération, ce fût vrai du Parti communiste lui-même. Les explications sont multiples, je n'y reviens pas. Je dis donc bien : tous.
Puis, peu à peu, pourtant, les uns après les autres, des hommes se sont posé la question : est-ce vraiment là l'attitude normale pour des socialistes ?
A l'intérieur de la formation politique à laquelle j'appartenais, la SFIO, c'est pour la première fois, en 1963, en notre 54ème Congrès, qu'il fut décidé de rompre avec cette habitude. Non pas pour des raisons de principe, ce n'est plus du tout la question, mais pour toutes sortes de raisons que je vais à l'instant indiquer.
Puis l'idée fit son chemin, pour aboutir au congrès d'Issy-les-Moulineaux, où la thèse adoptée s'est précisée, avec une rupture à peu près totale, fut-elle majoritaire, avec les habitudes anciennes.
Les socialistes, a-t-on dit, ne peuvent plus envisager de prendre part à une action gouvernementale si ce n'est pour y appliquer des réformes de caractère révolutionnaire, c'est-à-dire touchant à la structure même du régime capitaliste.
Comment en est-on venu à cette décision ? Oh ! Les voies étaient différentes !
Pour les uns, qui avaient été mêlés à l'action antérieure, c'est essentiellement parce qu'ils tiraient les leçons de leur propre expérience et qu'ils avaient conscience que malgré les efforts consentis et les sacrifices faits ils n'avaient pas réussi à entamer les structures du système capitaliste.
Dans ce domaine encore, je m'interdis de juger, je ne m'associe pas non plus, bien sûr, aux tentatives de jugement qui sont proposées ça et là, je constate, simplement.
Pour les autres, plutôt, pour les uns et pour les autres, c'était parce qu'ils s'efforçaient de faire, jour après jour, une analyse sérieuse du capitalisme d'aujourd'hui. Mais, camarades, ce n'est pas de la théorie, c'est tout à fait du concret que d'essayer d'analyser le capitalisme d'aujourd'hui. Chacun sait combien il s'est profondément transformé, combien il est loin et plus puissant que celui que nous dénoncions dans notre jeunesse. Ayant mis à son profit les avantages du progrès technique, devenu, lui, supranational, monopolistique, bancaire, ah !, il n'est plus le capitalisme que Marx appelait "celui des entrepreneurs", c'est tout autre chose. Beaucoup mieux informé qu'hier, ayant à sa disposition maintenant l'usage de multiples clignotants - car lui aussi, il est moderne - il sait maintenant éviter ces grandes crises graves, mais cycliques, dont on parlait autrefois, que même beaucoup d'entre nous pensions effectivement inévitables et cycliques.
Tout en prétendant être attaché théoriquement aux principes du libéralisme classique, il s'en est éloigné énormément. Il se sert merveilleusement bien aujourd'hui des pouvoirs politiques et la propension est grande, l'habitude même est prise dans le capitalisme moderne d'étatiser les déficits, de collectiviser les charges d'investissement privé, tout en privatisant les profits, bien sûr.
L'évolution, dis-je, est nette. Mais, malheureusement pour le capitalisme, c'est-à-dire heureusement pour nous si nous savons le comprendre, il arrive à une phase où il ne peut empêcher la dégradation de la société qu'il contrôle. J'en ai quelques exemples et je serai bref là-dessus.
L'inflation, par exemple. Longtemps, il a affirmé la combattre. Puis il y a eu une période où, ne pouvant plus l'empêcher, il s'est efforcé de l'utiliser à son profit. Et voilà qu'il ne peut plus la contrôler. Et pas seulement le capitalisme français ! On a connu les phases de l'inflation galopante ; grâce aux clignotants, il l'évite. On a trouvé des formules correspondant à ce que, dans le langage anglais ou américain, on appelle la tactique du "stop and go". Je l'explique d'un mot. Pendant une période, on laisse aller l'inflation et, grâce à elle, on donne un bon coup d'accélération ; la production s'aménage, va mieux, la demande grandit, le chômage tombe. Puis, "stop". Alors, on arrête. Un bon coup d'arrêt et c'est la récession, on stoppe la production, on stoppe la consommation, l'inflation est jugulée un instant. Mais le chômage reparaît, et ainsi de suite.
C'était vrai, ce ne l'est plus. Voilà qu'aujourd'hui on connaît à la fois, à cause de ce que les techniciens appellent l'inflation rampante, inflation et chômage réunis. En France, la cadence avec laquelle notre ministre du l'Économie et des Finances est obligé de passer du "stop" au "go" devient de plus en plus rapide.
Le capitalisme, dans d'autres domaines, avait jusqu'ici trouvé des remèdes à ses difficultés. Il reprenait sur l'homme en tant que consommateur ce qu'il avait dû abandonner à l'homme producteur grâce à ses luttes, au même d'ailleurs. Il exploite - et il continue à le faire - aux moindres frais, pour les tâches les plus pénibles, un sous-prolétariat souvent composé d'immigrés. Il concentre ses moyens de production à des fins économiques, sans les moindres préoccupations sociales. On assiste tous les jours au décalage accentué dans le pouvoir d'achat, au détriment des catégories qui ne sont pas ou ne sont plus immédiatement productives. On sacrifie les équipements collectifs.
Tout cela va bien pour le capitalisme. Mais voilà que ça change ! Ce qu'il n'avait pas prévu se produit. Il est encore capable de satisfaire les besoins matériels de ceux dont il exploite le travail, au besoin même de susciter des besoins nouveaux, mais il ne peut plus répondre au double mécontentement qui monte.
D'une part, celui de ceux qui, même si l'on satisfait leurs besoins matériels, formulent chaque jour plus clairement et plus volontiers des exigences de dignité, d'autonomie, de volonté de responsabilité collective, ce que nous, d'un mot encore insuffisamment précisé, nous appelons l'autogestion.
D'autre part, les victimes les plus exploitées protestent. Ceux qu'on écrase se révoltent et parfois sous des formes condamnables. Et le capitalisme n'y peut plus rien. Il ne peut pas répondre aux questions qui lui sont posées.
Alors il s'organise, il s'organise purement et simplement pour assurer sa survie par la répression, et c'est la marche au fascisme qui s'annonce, pas seulement en France.
La vérité - et cela me ramène à notre sujet - c'est qu'il n'y a plus de solution dans le cadre du capitalisme, même avec ses ordinateurs, ses technocrates, ses bureaucrates et ses policiers. Il ne peut donc plus s'agir pour des socialistes d'envisager la limitation de leur action à essayer d'atténuer les effets du capitalisme. Il faut vouloir mettre un terme au système lui-même, vouloir le remplacer. Oh, non pas un beau matin ou un grand soir, mais grâce à un certain nombre de bonds spectaculaires, de bonds révolutionnaires, c'est-à-dire de réformes révolutionnaires, démocratiquement décidées, démocratiquement appliquées et dont il faudra chaque fois rendre compte au peuple démocratiquement consulté.
C'est là que se pose, et seulement là, le problème de nos alliances.
Si l'on accepte les prémisses de ma tentative de démonstration, il y a des conclusions immédiates :
1°) Refus d'envisager quelque action gouvernementale que ce soit avec des formations qui n'acceptent pas cette voie, cette marche au socialisme ;
2°) Étude des rapports possibles avec le Parti communiste. Là, il faut s'expliquer.
Qui, en effet, peut penser qu'un gouvernement à direction ou à participation socialiste aurait les moindres chances de réussir à promouvoir les réformes du caractère que j'ai dit, c'est-à-dire des réformes de structure mettant le système en cause s'il lui fallait le faire sans la participation, le soutien et, pire, éventuellement avec l'opposition ou la surenchère d'une partie importante de la classe ouvrière ? Or, que cela plaise ou que cela ne plaise pas, il est encore une partie importante de la classe ouvrière sur laquelle le Parti communiste a gardé son influence. Voilà comment, à nos yeux, le problème se pose.
Il est donc nécessaire, pour connaître la réponse à cette question, d'engager le dialogue avec le Parti communiste. Dès 1963, dans la SFIO, nous l'avions commencé et à Issy-les-Moulineaux, avec le Parti socialiste, ce fut mieux qu'une confirmation, l'accentuation de cette démarche sur laquelle, bien sûr, lors de ce congrès d'Issy, il ne faut pas tricher et prétendre que c'était unanime. Non ! Nous savons bien que le problème était posé, que ce fut une position majoritaire, mais très largement majoritaire.
Ma conviction et celle de nos amis est que cette ouverture même est ce qui a constitué aux yeux de l'opinion, des jeunes en particulier, l'option essentielle du congrès d'Issy-les-Moulineaux.
Le problème de ce congrès quant à l'orientation, je le ramène à quelque chose de très simple. Il s'agit aujourd'hui de savoir si ce dialogue sera poursuivi ou non ; et si oui, pour aboutir à quoi ; et si oui encore, comment ?
Quelles sont les réponses proposées ? Beaucoup de textes soumis au vote des sections parlent bien d'union de la gauche et il y a dans ce domaine un progrès certain qui, j'en suis sûr, est souvent sincère. Beaucoup d'amis ont là-dessus évolué, personnellement d'abord, et sous la pression des militants de nos sections ensuite, qui peu à peu prennent confiance, ne sont pas encore convaincus d'aboutir - aucun de nous ne l'est - mais perçoivent mieux que jamais la nécessité de ce dialogue.
Alors, on parle partout d'union de la gauche, mais il faut bien dire - et j'en viens à une partie désagréable et difficile de mon exposé - que les textes qui ont été publiés dans nos sections sont souvent moins précis et moins chaleureux que ne l'ont été les déclarations. Il convient donc d'essayer d'y voir clair. Il n'est pas besoin pour cela de polémiquer ; il faut essayer seulement, en s'interdisant de tricher, de voir ce à quoi l'application de chacun des textes en présence nous conduirait.
Je suis sûr que ce n'est pas trahir la pensée des auteurs du texte R, c'est-à-dire le Nord et les Bouches-du-Rhône, que de constater - je me suis tenu au texte le plus près possible - qu'il propose des conditions, je prends à mon compte le mot "préalables" à toute forme de dialogue et qu'il renvoie la décision de reprise éventuelle de ce dialogue à un conseil national spécialement convoqué.
A mes yeux, c'est bien là remettre en cause les décisions d'Issy-les-Moulineaux.
Si l'on prend le texte L, qui a pour premier signataire Louis Mermaz, l'appréciation est plus difficile. Si l'on se réfère à l'explication qu'en ont donnée Mermaz lui-même, puis Claude Estier, puis, dans une partie de son intervention, François Mitterrand - mais il est vrai que, si j'ai bien compris, il a un texte différent de celui qui a été distribué dans les sections - si l'on se réfère à ces interventions dont nous avons applaudi des passages, il semblerait que l'espoir soit très grand de pouvoir faire ensemble et dire ensemble les mêmes choses.
Alors pourquoi faut-il - et est-ce que cela va être conservé - que l'on trouve dans le texte soumis au vote dans les sections, tel que nous l'avons eu dans nos sections et dans notre congrès du Pas-de-Calais, pourquoi, dis-je, faut-il que l'on trouve cette formule : "Le congrès autorisera les instances nationales qu'il doit élire à examiner les voies et moyens des futures discussions."
Notre conception est autre, je le dis sans polémiquer. A nos yeux, c'est au congrès souverain, aujourd'hui même, qu'il appartient de dire l'orientation à suivre.
(Vifs applaudissements).
Ce sera d'ailleurs pour la suite une obligation, c'est vrai, mais aussi une arme dans les mains des militants élus dans nos organisations nationaux.
Le texte M, soutenu par Poperen, attire de ma part, à titre personnel, fort peu de remarques. Le problème qui nous sépare m'est apparu être surtout celui du parallélisme que propose ce texte entre deux négociations : d'une part, celle sur l'accord politique, d'autre part celle sur le programme du gouvernement.
Je voudrais là m'arrêter d'un mot pour dire que j'ai eu l'impression, il y a un instant, à la fois dans l'intervention de François Mitterrand et dans celle de Sarre, curieusement, qu'il y avait un malentendu et il faut qu'on le lève, tous ensemble, sur ce que, l'un et l'autre, vous avez appelé, François Mitterrand, le dialogue idéologique et Sarre, je crois, le dialogue théorique. Jamais il n'a été question de cela dans notre esprit. Si vraiment il y avait quelqu'un dans cette salle qui pense qu'il faut attendre, selon une formule que Mauroy a utilisée, que les communistes soient devenus socialistes et que les socialistes soient devenus communistes, pour pouvoir faire quelque chose ensemble, alors il se passera encore de long mois et de longues années. Il n'est pas question de cela.
Il s'agit d'un dialogue sur les problèmes politiques. Tout à l'heure, je donnerai des précisions, mais il ne s'agit pas d'essayer d'être d'accord sur le tout, il s'agit de faire que, tout en gardant nos différences, tout en sachant que, pour un temps encore, l'unité ouvrière n'est pas mûre, tout en voulant qu'elle se fasse, nous avons parfaitement conscience qu'elle n'est pas pour un demain immédiat. Nous voulons pourtant savoir si, dans le respect mutuel, nous pouvons faire quelque chose ensemble qui ne mette pas en cause ce à quoi chacun tient le plus. C'est donc un dialogue non pas théorique ni idéologique, mais un dialogue sur un ou deux principes essentiels, sur lesquels nous ne pouvons pas transiger.
Alors nous croyons l'idée dangereuse de mener à la fois ces deux dialogues parallèlement, pour la raison simple qui nous apparaît tout de suite que le second, celui que l'on dit concret, aura très vite étouffé le premier. Je parle très clair, c'est parce que j'estime qu'il est relativement facile de faire un programme commun sur des problèmes immédiats sur le plan économique ou social - je dis "relativement facile" car il y quand même des problèmes de fond - mais que si l'on veut obtenir des engagements précis sur certains problèmes non pas théoriques, mais de principe, pour les garanties, c'est beaucoup plus difficile.
Et je le dis, le Parti communiste ne demanderait pas mieux que de vouloir limiter le débat à ce qui serait strictement programmatique. Or nous croyons dangereux de vouloir mener les deux ensemble, mais cependant nous sommes convaincus qu'il y a à ces divergences entre ces deux textes des solutions possibles.
C'est la raison pour laquelle, dans le Pas-de-Calais, nous avons estimé qu'avec un peu d'efforts, l'accord serait facile, à tel point que l'immense majorité des camarades qui ont voté les textes M et O, qui est le nôtre, ont en même temps affirmé par leur vote leur volonté de synthèse au moins entre ces deux textes. (Applaudissements).
Curieusement peut-être, parce que nous n'avions pas de représentants, ni d'Objectif 72, ni des amis qui devaient s'associer au texte de Objectif 72, curieusement peut-être ce texte a cependant été débattu dans notre congrès. Et ce texte calme. Et nous avons tous dit notre espoir, à la connaissance de ce texte, de voir les signataires de ce texte rejoindre la synthèse nécessaire à gauche.
En ce qui concerne les camarades qui défendent le texte P, celui du CERES, généralement désigné comme tel, je voudrais attirer leur attention sur un point essentiel :
Nous avons entendu plusieurs - je ne dis pas tous, mais plusieurs - de leurs porte-parole, protester contre l'affirmation selon laquelle ils auraient proposé de négocier un accord de gouvernement avec le Parti communiste, sans aucune garantie.
Pour avoir lu attentivement leur texte, je leur donne personnellement volontiers acte que l'accusation était parfaitement injustifiée.
(Quelques applaudissements).
Mais, dès qu'ils précisent de quelle garantie il s'agit, nous constatons qu'ils évoquent exactement la même que nous : le fonctionnement régulier de la démocratie. Ils disent en effet, et en clair, que si un accord sur ce point se révélait impossible, il ne pourrait y avoir de gouvernement commun.
Mais qu'est-ce que nous disons donc d'autre ? Qu'est-ce que nous disons donc qui aboutisse à une conclusion différente, puisque nous proposons, nous, la recherche, d'abord, d'un accord politique sur ce point même, qui permettent immédiatement la recherche d'un gouvernement de toute la gauche ?
La conclusion est la même.
J'en viens ainsi à ce texte O que je suis chargé de défendre au nom de la Fédération du Pas-de-Calais, ou plutôt de sa grande majorité.
Notre proposition tend à dire qu'il faut immédiatement, immédiatement, reprendre le dialogue engagé, poser, et dans les tout premiers jours, ce problème essentiel du fonctionnement régulier de la démocratie, pour passer ensuite, dès qu'un accord est intervenu, et à condition que cet accord soit intervenu, à la discussion d'un programme de gouvernement de toute la gauche.
Un contrat de gouvernement, en effet, ce n'est pas un accord isolé. C'est la conséquence d'un accord politique sur l'essentiel.
Je reviens un instant sur cette idée du fonctionnement régulier de la démocratie. C'est volontairement que j'ai utilisé cette formule, car j'estime que c'est plus qu'une erreur de vocabulaire que de parler d'alternance. Mes camarades, je ne crois pas qu'il puisse être un socialiste, quel que soit le courant de pensée dont on se réclame aujourd'hui, qui estime qu'il doit y avoir alternance, c'est-à-dire qu'obligatoirement cela va être le va-et-vient. Ce n'est dans l'esprit de personne, j'en suis sûr. N'utilisons donc pas des mots qui permettraient de le faire croire, ou de le laisser croire.
Ce qu'il faut dire - et la formulation, alors, quand on est d'accord sur l'idée, on la trouve toujours -, ce qui doit exister, ce à quoi nous tenons, ce à quoi nous subordonnons notre accord définitif, c'est qu'il doit y avoir toujours possibilité de désaveu par les citoyens démocratiquement consultés, si le gouvernement avait cessé de mériter le soutien populaire parce qu'il ne lui aurait pas été fidèle.
(Applaudissements)
Il convient donc, mes camarades, que les partenaires communistes sachent, et au-delà d'eux l'opinion publique, que nous ne voulons pas aller au pouvoir pour le pouvoir, que nous ne voulons pas aller au pouvoir pour le garder ensuite par tous les moyens, mais pour y faire triompher des réformes telles que les Français se reconnaissent dans cette politique et ce gouvernement, et que démocratiquement consultés ils aient envie de lui maintenir leur confiance.
(Applaudissements).
Il convient aussi - et j'en viens là, j'en ai conscience, à ce qui est le plus difficile - que nos partenaires et les travailleurs sachent que si l'on ne trouve pas d'accord sur ce qui est pour nous essentiel, ce qu'un camarade définissait heureusement comme "la garantie des garanties", alors nous ne saurions aller ensemble au gouvernement, et qu'en conséquence nous nous refuserions à toute action gouvernementale.
Est-ce à dire qu'alors tout s'arrêterait ? Ce serait une déception, certes, mais nous proposons que dans cette hypothèse, et je souhaite de toutes mes forces qu'elle soit erronée, nous poursuivions la stratégie des ripostes communes. Alors nous poursuivrions de manière permanente le même dialogue. Il n'aurait pas à être pour cela ni arrêté, ni suspendu, le rendant chaque jour plus public, jusqu'à ce que les travailleurs en général, et les militants du Parti communiste en particulier, finissent par être convaincus de la justesse de nos points de vue.
(Applaudissements).
Troisièmement, dans ce dialogue ainsi poursuivi, nous essaierions de définir des initiatives communes, législatives et autres. Là je voudrais dissiper un malentendu, et j'espère que ce n'est qu'un malentendu.
Quand on parle d'initiatives législatives, il ne faut pas ramener cela à des initiatives strictement et uniquement parlementaires. L'initiative législative, si nous voulons la faire ensemble, nous pouvons lui donner dans le pays un support populaire, un soutien populaire impressionnant.
Je dis que si nous agissons ainsi, eh bien nous créerons un climat qui, pour des lendemains à venir, fera prendre corps à l'idée même de l'union de la gauche, même avec la réserve et la condition unique que nous y mettons.
Tel est, camarades, le sens de notre proposition.
Je vous demande à tous de penser à l'espoir qui est né de la naissance de cette option d'Issy-les-Moulineaux.
Je ne vais pas à mon tour lancer un appel aux chrétiens, à ces chrétiens qui…, à ces chrétiens que…, etc.
Je veux seulement constater - je me suis efforcé de me limiter à des constats - que chaque jour ils sont plus nombreux à prendre leur place dans les combats de la gauche, et qu'il s'agit là d'un événement d'une portée considérable en France. (Applaudissements).
Je suis sensible aux applaudissements, camarades, mais il faut bien dire que c'est une novation pour un certain nombre d'entre nous. Alors ceux-là, et ceux qui sont susceptibles de venir encore, ne les décevons pas.
Donc, dans l'immédiat, soyons le plus nombreux possible à la commission des résolutions à chercher à faire un accord sur un texte d'orientation commun, autant que possible, à tous ceux qui sont partisans en clair de poursuivre le dialogue. Faisons cet effort ensemble, cet après-midi ; c'est à mes yeux possible. Seule condition : qu'il n'y ait pas de confusion, et qu'il ne s'agisse pas d'un texte qui permettrait de remettre en cause, directement ou indirectement, immédiatement ou à terme, l'orientation qu'aujourd'hui vous devez préciser et confirmer.
Mes camarades, sans grandes phrases, je voudrais essayer de vous faire partager ma conviction. Ce serait trop grave pour l'essor du socialisme en France.
(Applaudissements).
 

 
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