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L'OFFICE UNIVERSITAIRE DE RECHERCHE SOCIALISTE
 
L'OURS n°310 (Juillet-Août 2001)
L’OURS n° 310
juillet-août 2001
Sommaire


NOTES DE LECTURE
p. 2 Livres en bref
Jorge Semprun, Le Mort qu’il faut, Gallimard, 2001, 197 p, 98 F, 14,94 e par JEAN-LOUIS PANNE
Michel Ragon., Un Rossignol chantait, Albin Michel mars 2001, 206 p, 89 F, 15,57 e par GUY BORDES
La revue du mois :
« le renouveau manqué ? La SFIO en 1945 »a, Cahiers Léon Blum, n° 33, juin 2001, 120 p, 70 F, 10,67 e

Les coups de cœur de PIERRE YSMAL (a/s de Ivan Levaï, La République des mots, Michel Lafon, 2001, 308 p, 125 F, 19,06 e et Pierre Christin et Annie Goetzinger, Agence Hardy. Le parfum disparu, Dargaud, 2001, 50 p, 62 F, 9,45 e)
p.3 A signaler : Richard Lichael Rossi, Dix-sept ans dans le couloir de la mort, Préface de Robert Badinter, Fayard, 2001, 296 p, 125 F, 19,06 e)

p. 3 SOCIÉTÉ
Laicité et liberté de conscience, par JEAN-MICHEL REYNAUD (a/s de Henri Pena-Ruiz, La laïcité pour l’égalité, 1001 nuits, 2001 124 p, 45 F, 6,86 e et Permanence de la Laïcité, en France et dans le monde, sous la direction de Alain Gérard, Editions Privat, 2001, 212 p, 135 F, 20,58 e
Les utopies de Pisani, par VERONIQUE PRADIER (a/s de Edgard Pisani, Une certaine idée du monde. L’utopie comme méthode, Seuil, 2001, 234 p, 120 F, 18, 29 e)
Politique
L’Assemblée nationale au peigne fin, par RAYMOND KRAKOVITCH (a/s de Paul Quilès et Ivan Levaï, Les 577. Des députés pour quoi faire ? Stock, 228 p, 98,39 F, 15 e)

p. 4 GUERRE D’ALGÉRIE
Guy Mollet ou la solitude de Créon, par DANIEL MITRANI ET JEAN-NOËL SORRET (a/s de Denis Lefebvre, Guy Mollet face à la torture en Algérie, Bruno Leprince Editeur, 2001, 124 p, 85 F, 12,95 e)
Jean-Marie Domenach et l’anticolonialisme, par GILLES CANDAR (a/s de Jean-Marie Domenach, Beaucoup de gueule et peu d’or. Journal d’un réfractaire (1944-1977), Seuil, 2001, 352 p, 140 F, 21,34 e)
livres en bref : Jean Faure, Au pays de la soif et de la peur, Carnets d’Algérie 1957-1959, Flammarion, 2001, 172 p, 99 F, 15,09 e) - Collectif, L’Algérie, nous y étions…, avec une préface de Paul Markidès, Graphein, 2001, 231 p, 120 F, 18,29 e) - Paul Marcus, L’Algérie coloniale, Atlantica, 2001, 147 p, 75 F, 11,43 e.

p. 5 FIGURES
Mounier, homme de lettres et d’Esprit, par CLAUDE DUPONT (a/s de Emmanuel Mounier et sa génération, Lettres, Carnets et inédits, Paroles et silence, 2001, 430 p, 165 F, 25,15 e)
André Malraux entre ici dans le réel, par PIERRE YSMAL (a/s de Olivier Todd, André Malraux, Gallimard, 2001, 700 p, 175 F, 26,68 e)

p. 6 SCIENCE POLITIQUE
Les fertilités des cultures politiques, par REMI LEFEBVRE (a/s de Daniel Cefaï, (dir.), Cultures politiques, PUF, 2001, 524 p, 158 F, 24,09 E et Pierre Bréchon , Annie Laurent, Pascal Perrineau (dir.), Les cultures politiques des Français Presses de Sciences Po, 2000, 220 F, 33,54 e)
p. 6 INTELLECTUELS
La politique des intellectuels, par VINCENT DUCLERT (a/s de Tony Judt, La responsabilité des intellectuels. Blum, Camus, Aron, Calmann-Lévy, 2001, 257 p, 120 F, 18,29 e)

p. 7 COMMUNISME
Communisme, les mots et la chose, par SYLVAIN BOULOUQUE (a/s de Philippe Buton, Communisme, une utopie en sursis ?, Larousse, 2001, 192 p, 129 F, 19,67 e)
TOTALITARISME
Leçons d’un siècle entre deux totalitarismes, par MICHEL TAUBMANN (a/s de Tzvetan Todorov, Mémoire du mal, Tentation du bien, Robert Laffont, 2000, 320 p, 149 F, 22,71 e)
Le totalitarisme dans les textes, par SB (a/s de Enzo Traverso, (textes choisis et présentés par), Le totalitarisme, le XXe siècle en débat, Le Seuil, 2001 928 p, 80 F, 12,20 e)

p. 8 CULTURE
L’esprit de la butte Montmartre, par DENIS LEFEBVRE (a/s de Jean-Jacques Bedu, Francis Carco au cœur de la bohème, Éditions du Rocher, 2001, 436 p, 135 F, 20,58 e)

EXPOSITION
p. 8 Des années Pop aux années prop, par GUY BORDES (a/s de l’exposition Les années Pop, Centre Pompidou, mars-juillet 2001)

CINEMA
p. 8 Cannes sans Amélie, par JEAN-LOUIS COY (a/s de Le fabuleux destin d’Amélie Poulain, de Jean-Pierre Jeunet , France, 2000, 2 h )

 
Le dossier du mois
Les choix et attitudes des gouvernements français pendant les « événements » d’Algérie (1954-1962) continuent à susciter débats et controverses, historiques et politiques. Deux ouvrages récents éclairent le débat au sein de la gauche.

GUY MOLLET OU LA SOLITUDE DE CREON
par DANIEL MITRANI ET JEAN-NOËL SORRET

au sujet du livre de
DENIS LEFEBVRE
Guy Mollet face à la torture en Algérie
Bruno Leprince Editeur 2001 124 p 85 F 12,95 e

Ni réquisitoire ni plaidoyer. Denis Lefebvre, documents à l’appui, a souhaité nous apporter « des éclairages inédits » sur un drame de notre histoire qu’il ne faut pas aborder uniquement à « travers le prisme de nos préjugés ». Le livre répond fort bien cette volonté.

Quand, le 31 janvier 1956, Guy Mollet devient président du Conseil (désigné par une assemblée où le Front républicain, lui-même peu homogène est minoritaire) la politique algérienne est dans l’impasse. L’insurrection a éclaté quinze mois tôt dans une Algérie où le feu couvait de puis longtemps : après les émeutes de Sétif, en 1945, la chasse aux nationalistes s’est installée comme une mission permanente de la police.
De novembre 1954 à décembre 1955, les affrontements sont de plus en plus impitoyables. Exactions et tortures sont les moyens employés par les « rebelles » dans un triple but : se faire connaître et reconnaître, terroriser la population musulmane, élargir le fossé entre les deux communautés. Le FLN domine progressivement l’ensemble de la rébellion en cherchant, par tous les moyens, à éliminer les autres mouvements, et ses actions couvrent pratiquement l’ensemble du territoire.
En toile de fond, les ratonnades et autres réactions violentes des Européens, l’extension des attentats dans les villes, le comportement de certaines unités militaires mal encadrées (on le verra encore par la suite, en décembre 1956 à Médéa par exemple, quand les excès d’un régiment feront basculer du côté du FLN une population jusque là très pacifique).
L’auteur complète ce tableau par un rappel de deux événements internationaux qui, fin 56, tout en affaiblissant à l’ONU la position de la France, pèseront lourdement sur la politique de Guy Mollet. D’abord l’arraisonnement de l’avion de Ben Bella et de ses compagnons, qui fera basculer le Maroc et son roi dans le soutien au FLN. Ensuite, l’échec de l’expédition de Suez : cet échec ne révélera pas seulement que la France (comme la Grande Bretagne) n’est plus qu’une puissance secondaire « soumise aux deux grands », il ne permettra pas seulement à Nasser d’exploiter habilement son formidable retentissement, il obligera aussi le Président du Conseil à être attentif à tout ce qui pourrait aggraver la rancœur des militaires (notamment des parachutistes) qui ont participé à l’expédition.
La marge de manœuvre de Guy Mollet sera donc très limitée, et particulièrement dans le domaine traité ici par Denis Lefebvre : la réaction face à la torture. Il avait, dès sa prise de fonction, affirmé très fort sa volonté d’une solution militaire et politique, et mis en place des responsables acquis à cette démarche, mais, sur le terrain, il en est autrement. Dans leur très grande majorité, les fonctionnaires locaux sont hostiles à toute évolution. Le gouvernement donne progressivement de nouveaux moyens et de nouvelles prérogatives aux militaires, qui, le plus souvent à leur corps défendant, seront chargés des missions les plus diverses.

militaires et politiques
En janvier 1957, Massu et sa 10e division parachutiste se voient confier le maintien de l’ordre à Alger, avec la totalité des pouvoirs de police. Quatre mois plus tard, l’ordre est rétabli, les dirigeants du FLN sont arrêtés ou ont été éliminés. Mais peu de gens ignorent les moyens employés par les officiers de renseignement et les détachements spécialisés dont le général Aussaresses évoquera assez cyniquement les méthodes.
Le gouvernement avait-il les moyens d’imposer l’abandon de ces pratiques ? L’auteur rappelle qu’en 1973 Guy Mollet affirmait : « cela a été non seulement contre la volonté du gouvernement, mais malgré tout ce que nous avons essayé de faire ». En tout état de cause, Denis Lefebvre le montre bien, Guy Mollet a toujours essayé de faire jouer la transparence, de permettre le travail de plusieurs missions de contrôlé créées à sa demande. Et il fait appel à un organisme qui a un statut consultatif à l’ONU, la Commission internationale contre le régime concentrationnaire, présidée par David Rousset (à laquelle participe Germaine Tillion).
En juillet 1957, on peut lire, dans le rapport de la commission, que ses membres ont la conviction que, dans plusieurs cas, les personnes arrêtées ont subi « de mauvais traitements et souvent de véritables tortures (par l’électricité, par le tuyau d’eau, par la baignoire, par la pendaison) en vue d’extorquer des aveux ou des déclarations ».
C’est la première fois qu’un organisme officiel fait publiquement de telles déclarations.
Guy Mollet, à cette date, n’est plus au pouvoir, mais c’est à son initiative que la commission a pu travailler et publier ses conclusions.
Pour ceux des lecteurs qui étaient activement engagés pendant ces années, ces pages rendent plus vives les questions qui n’ont cessé de les poursuivre et les poursuivent encore.
Car, pour un peuple, il est difficile à atteindre, l’objectif fixé par Juan-Carlos d’Espagne, qui sait de quoi il parle : « maîtriser son passé, en le pacifiant par la réflexion critique. »
Nous n’y sommes pas, mais Denis Lefebvre nous apporte une solide contribution pour nous aider à avancer dans cette voie. (DM et JN S)

JEAN-MARIE DOMENACH ET LE REFUS DU COLONIALISME
par GILLES CANDAR

au sujet du livre de
JEAN-MARIE DOMENACH
Beaucoup de gueule et peu d’or. Journal d’un réfractaire (1944-1977)
Seuil 2001 352 p 140 F 21,34 e

Catholique, résistant, anticolonialiste, analyste de la société française et héraut de sa culture, Jean-Marie Domenach fut surtout l’homme d’une revue : Esprit. Il a voulu incarner une gauche péguyste, fondée sur des principes éthiques et des refus.

En position seconde, derrière Mounier (1945-1950), puis aux côtés d’Albert Béguin (1950-1957), Domenach devint le seul directeur (1957-1976) d’Esprit avant d’accepter - rare courage ! - de se retirer à 54 ans (quand les amis disent « déjà » et non « enfin », pour reprendre une formule malicieuse de Daniel Mayer). Sa carrière fut donc atypique et il n’enseigna que sur le tard, à Polytechnique et dans les universités américaines notamment. Restera-t-il par ses livres ? Ceux-ci animèrent souvent le débat politique, médiatique et intellectuel. L’un d’entre eux est d’ores et déjà devenu un classique : Barrès par lui-même (1954), au Seuil, la maison d’éditions qu’il contribua à développer.
Jean-Marie Domenach fut avant tout un intellectuel militant, dans le meilleur de la tradition dreyfusarde. Il s’engagea sans détours dans les combats du siècle, et il le fit avec panache et résolution. Antimunichois, résistant dès 1940, maquisard dans le Vercors et le Sidobre (il participa à la libération de Castres), ami de Gibert Dru (« celui qui croyait au Ciel » ) il garda plusieurs années, comme Esprit, l’espoir et la conviction que la volonté réelle de changer le monde passait, malgré tout, par le Parti communiste français et qu’il ne fallait donc pas rompre avec celui-ci. Son Journal, tenu de manière discontinue, riche en relations de rencontres et d’amitiés, mais aussi de colères et de ruptures (avec Beigbeder par exemple, puis avec Jeanson...) note ainsi en mars 1948 « qu’il n’y a plus de socialistes, mais des technocrates, au mieux des techniciens... ». Les années 1950 furent vraiment tragiques : Domenach et Esprit avaient perdu toutes illusions sur le mensonge stalinien, mais leur refus du colonialisme (Madagascar, Maroc...) trouvait peu d’échos à gauche. Quelques socialistes (avec Depreux...), de rares gaullistes (Michelet, Léo Hamon...), les « vieux barbus » de la Ligue des droits de l’Homme..., Mendès France, mais pas tout de suite... Domenach fulminait contre les prudences de ses amis parlementaires, ou catholiques (même Mauriac...), face à la politique menée en Algérie et à l’emploi régulier de la torture et des exécutions sommaires.
Alors, De Gaulle ? Évidemment, Domenach n’avait aucune sympathie pour les paras d’Algérie, mais, fondamentalement, il avait confiance dans l’homme du 18 juin. D’ailleurs, il soutint ensuite sa politique extérieure, et accentua même son « gaullisme » après la mort du Général. Dans son Journal, il retrace ses rencontres avec lui (jusqu’au début de 1968) de façon bienveillante et amicale, et indique qu’il vote pour de Gaulle au second tour de l’élection de 1965 (au premier tour, il avait voté nul : « pour la gauche, contre Mollet »). Domenach voulait incarner une gauche péguyste, fondée sur des principes éthiques et des refus. Il s’enthousiasma parfois, pour les projets autogestionnaires et écologistes d’Ivan Illich par exemple, pour certains aspects de Mai 68 : pas trop la libération sexuelle, mais, avec Michel Foucault et Pierre Vidal-Naquet, il fut un des fondateurs des GIP (groupes d’information sur les prisons). Bref, il voulut surtout être Antigone face à Créon. Un peu trop peut-être ? L’accumulation des refus finit par brouiller le message et c’est ce qui arriva à Domenach vieillissant, pourfendeur hors saison et excessif de l’union de la gauche. Son attitude, ses combats, même estimables et justifiés, ne définissaient pas pour autant une politique. Si ses passions ne furent pas médiocres, son élitisme exigeant l’éloigna souvent des réalités sociales et l’empêcha d’apprécier la valeur de l’action politique menée par les hommes et les partis de gouvernement, de De Gaulle à Mitterrand et de Pompidou ou Debré à Defferre.

Antigone face à Créon
Il ne prétendait certes pas au pouvoir, et on ne peut pas vraiment le regretter, mais il aimait batailler, sincère et irritant, nécessaire en tout cas. Car, à une certaine hauteur, c’est bien Antigone qui a raison contre Créon, tout utile, nécessaire aussi, indispensable, que puisse être celui-ci... C’est ce que comprenait fort bien, semble-t-il, le général de Gaulle (cf. p. 264-267), d’autres aussi (chacun citera les noms qu’il veut...) mais pas tous, et, hélas, certainement pas Guy Mollet. Ce fut le mérite historique des socialistes des années 1970, même si Domenach lui-même ne sut pas le comprendre, de parvenir, au moins en partie, à tenir les deux bouts de la chaîne, « comprendre le réel » et, sinon « aller à l’idéal », du moins ne pas l’oublier complètement, lui réserver sa part. Et, pendant plusieurs décennies, sans avoir forcément toujours raison, Domenach avait su se placer du côté de l’idéal et de ses droits, ce qui n’est pas si simple.
Outre ce Journal inédit, mais partiel (il manque le premier cahier, les derniers, et quelques coupes, signalées aux lecteurs), la famille de Jean-Marie Domenach a fait publier un livre-souvenirs avec les articles de presse, comptes rendus des cérémonies religieuses et extraits des lettres de condoléances accompagnés de quelques feuillets sur la Résistance que conclut cette belle maxime : « Ne pas me déterminer par rapport à la mort, mais par rapport à la vie ».
GC
 

 
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