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L'OFFICE UNIVERSITAIRE DE RECHERCHE SOCIALISTE
 
Kriedemann Europe 1967
Allocution de Herbert Kriedemann
Député au Bundestag
Député au Parlement européen

En l’absence de Herbert Wehner, qui ne peut malheureusement être des nôtres aujourd’hui, il m’incombe de me faire l’interprète, auprès de vous, des sentiments cordiaux des socialistes allemands. Le parti socialiste allemand souscrit, comme vous tous, à la grande idée de l’unification des peuples au-delà des frontières de leurs pays. Cette idée a animé les socialistes dès le début de leur lutte pour la paix dans le monde. Pour l’avoir défendue, beaucoup de nos maîtres à penser ont connu la misère, l’exil et la prison. Votre compatriote Jean Jaurès, qui fut, en vérité, un meilleur patriote que ceux qui inspirèrent le geste de son meurtrier, en est un exemple que nous non plus nous n’avons jamais oublié.
Notre présence ici aujourd’hui a une autre signification que la simple participation obligatoire à des festivités officielles qui, ces jours-ci, sont organisées un peu partout. Le bilan des dix premières années révèle beaucoup de données négatives ; aussi, nombreux sont ceux dans nos pays qui doutent davantage qu’au début de la réussite de la grande œuvre. Il convient de le dire sans fard. Quiconque a le courage de regarder en face les réalités négatives sait d’où vient le danger, sait quand et comment il doit engager ses propres forces.
Lorsqu’en 1957, nous avons approuvé le traité instituant la Communauté économique européenne et, de ce fait, engagé notre responsabilité – que ce soit en tant que membres du gouvernement ou de l’opposition parlementaire – nous ne doutions pas de la justesse de l’idée. Ne s’agissait-il pas en effet de notre propre idée ? Nous craignions seulement que sa réalisation ne se heurtât à la résistance des forces conservatrices et réactionnaires qui existent aujourd’hui encore dans nos pays et dont l’influence sur la formation de la Communauté ne saurait être sous-estimée. Car c’est un fait que beaucoup de ceux qui se prétendent maintenant des Européens de la première heure et veulent nous apprendre, à nous socialistes, ce qu’est une Communauté libre de peuples libres, ont crié à la haute trahison lorsque nous nous efforcions de réaliser une telle Communauté. Qu’on ne vienne pas nous dire qu’à l’époque les temps n’étaient pas encore mûrs. Le moment était propice, mais les conservateurs n’ont jamais été disposés à reconnaître les impératifs de l’heure. C’est pour cela que Jean Jaurès fut assassiné, que des générations entières ont été sacrifiées au cours de deux guerres mondiales, qu’il y a tant de conflits tragiques dans le monde d’aujourd’hui. Les difficultés internes et externes de la Communauté proviennent toutes sans exception de cette même incapacité à s’adapter aux événements. Je le dis sans prétention, je le dis afin que nous ayons nettement conscience de nos propres responsabilités.
On sait d’ores et déjà qu’avec les moyens traditionnels d’une politique qui se dit nationale on ne peut former les structures d’une communauté des peuples. Une preuve parmi tant d’autres : selon le traité, le Conseil de ministres doit être une institution communautaire, il doit rechercher les solutions qui devront conduire, comme le dit le traité, aux nouveaux objectifs. Mais le Conseil s’est-il jamais élevé au-dessus du niveau des conférences intergouvernementales de jadis ? Il ne faut jamais en rendre responsable un seul pays, un seul gouvernement, un seul système. Chacun, dans des rôles divers et avec des partenaires différents, s’efforce de négocier un avantage pour son pays. Qu’une telle chose puisse se produire de nos jours uniquement au détriment d’un autre partenaire et au préjudice des principes qui aboutirent à la création de la Communauté il y a dix ans, met en cause l’avenir même de la Communauté. Qui s’étonnera de ce que les compromis obtenus sur cette voie ressemblent de plus en plus au résultat de marchandages fort primitifs ? Récemment, un ministre n’a-t-il pas lutté « avec succès » pour que la date limite de la perception des prélèvements sur les volailles soit prolongée de deux mois au-delà du délai normal et ce, au détriment des consommateurs de son pays ? En contrepartie, il avait « sacrifié » son exigence relative au marquage des œufs au niveau national. Ce sont là des procédés qui ne sont pas dignes de la plus haute institution communautaire. Le Conseil des ministres devrait en être arrivé à mener une politique à plus longue vue que celle du congrès de Vienne.
Nous, socialistes, nous devons nous opposer de toutes nos forces à un retour à des méthodes surannées, à des méthodes dont les événements tragiques de l’Histoire ont prouvé l’inefficacité. Nous ne devons pas succomber à la tentation de rivaliser d’ardeur avec les éléments conservateurs de la société et de l’économie pour savoir qui est le meilleur défenseur des intérêts particuliers. L’épanouissement de l’Europe n’est pas une affaire des cabinets et des cartels. Nous devons en faire l’affaire de nos peuples. L’Europe doit être une Communauté ouverte, ouverte à tous ceux qui souscrivent non seulement à la lettre du traité, mais aussi à son esprit. Elle ne trouve pas sa justification dans le fait qu’elle est utile à ses membres. Libérée du fardeau des aspirations ancestrales au pouvoir, sa mission bien plus noble consiste à mettre son potentiel humain et économique au service de l’accomplissement des grandes tâches de notre temps. C’est ainsi que la Communauté pourra assurer à notre continent et à ses habitants une place dans le monde de demain et contribuer à ce que tous les peuples puissent vivre en paix et à l’abri du besoin. La Communauté ne pourra toutefois évoluer en ce sens – et elle ne sera à même de surmonter la crise latente qui la travaille – que dans la mesure où les socialistes, avec leur responsabilité particulière, s’avéreront plus perspicaces et plus courageux que ne le furent les représentants d’hier. Il se pourrait que ce soit aujourd’hui que nous tenions la dernière chance de nous montrer à la hauteur des événements et dignes de notre héritage spirituel.
Permettez-moi d’ajouter un mot au sujet d’un problème qui préoccupe beaucoup de personnes dans le monde et beaucoup de nos amis, un problème qui a un aspect spécifiquement allemand. Ces derniers temps précisément, les journaux parlent de « luttes pour le pouvoir » parmi des éléments extrémistes en République fédérale, qui se qualifient eux-mêmes de « camp national » et que les autres qualifient, de manière tout aussi inexacte, de « parti néo-nazi ».
Ces informations rappellent certains discours ministériels et certains accents des campagnes électorales, dont notre système fédéral veut qu’il y en ait au moins de six à huit au cours d’une législature. Tout cela ne fait qu’amener certains à poser la question de savoir si l’on peut se fier aux Allemands en matière de démocratie et si leur volonté de paix est réelle.
Je suis conscient de ma responsabilité lorsque je déclare devant vous, mes amis, mais aussi devant l’opinion publique, qu’il n’y a aucune raison sérieuse de craindre le retour, en Allemagne, à la terreur et aux crimes du Troisième Reich sous quelque forme que ce soit. Naturellement, en République fédérale aussi, on fait à l’heure actuelle avantage appel à la fibre nationale que par le passé, mais où n’en est-il pas ainsi ? On est atteint par ce virus comme on l’est par la mode ou la grippe, et il disparaîtra partout comme elles. Notre temps exige que l’on repense les problèmes, car les structures de la société se modifient sous l’influence de nouvelles découvertes scientifiques, de nouveaux progrès techniques et de nouvelles nécessités économiques. D’aucuns prennent peur et voudraient que tout demeure en l’état. Ces personnes constituent l’auditoire préféré de certains hommes politiques qui profitent volontiers de ce climat d’anxiété, incapables qu’ils sont d’idées plus originales. Pour eux l’appel aux instincts nationalistes est la seule issue, car le discernement et le courage leur font défaut pour se faire les champions d’une conception nouvelle de l’avenir. C’est fâcheux, sans aucun doute, mais dépourvu de toute importance. C’est moins qu’une caricature de ce qui arriva à l’époque où, porte-parole de certains milieux économiques puissants qui rejetaient formellement la démocratie, un Hugenberg et un Papen permirent aux organisations criminelles nazies de se déchaîner d’abord contre la partie démocratique et pacifique du peuple allemand, puis contre d’autres peuples. Ces messieurs se sont trompés lorsqu’ils crurent qu’une fois le travail accompli on pouvait ramener le « Führer » et ses hordes au fond du « bercail » politique, sous le contrôle d’un système conservateur autoritaire. En commettant cette erreur, ils ont détruit à tout jamais les conditions qui permettraient une nouvelle fois de perpétrer un tel crime. Voilà la raison de ma certitude, indépendamment de la volonté indubitable de la très grande majorité des Allemands de coopérer pacifiquement avec tous leurs voisins. Ces voisins, les jeunes générations les connaissent aujourd’hui bien mieux que leurs pères et découvrent en eux une telle identité de vues que se ferait fort mal entendre celui qui essaierait de les décrire comme « l’ennemi héréditaire ». En Allemagne, les conditions politiques ne sont plus réunies qui pourraient donner naissance aux méfaits que nous avons connus. La fin de la guerre – et quelle fin – les a détruites à tout jamais.
Si vous entendez parler aujourd’hui de nouveaux « Führer », de von Thielen et von Tadden, de la victoire de l’aile radicale du camp nationaliste ou de quoi que ce soit d’analogue, je vous en prie, ne vous référez pas à des précédents historiques. Les forces démocratiques en Allemagne – en premier lieu, les socialistes et les syndicats libres – veillent au grain et le monde entier volerait littéralement à leur secours si le besoin s’en faisait sentir.
 

 
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