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L'OFFICE UNIVERSITAIRE DE RECHERCHE SOCIALISTE
 
L'OURS hors série Recherche socialiste 64 65
L’OURS hors série Recherche socialiste 64-65
Juillet-décembre 2013
181 pages 14 €


DE LA MORALE
p. 3 : Alain Bergounioux, Avant-propos (lire ci-dessous)

L’événement : De la morale
p. 5 : Bruno Poucet, D’une morale laïque à l’autre (lire ci-dessous)

p. 9 : Vincent Peillon, « L’objectif c’est de bâtir une école de la confiance », p. Entretien avec Marc Endelweld (Témoignage chrétien)

p. 17 : Émile Poulat, Les sables mouvants de la morale

p. 19 : Alain Bergounioux, Pour un enseignement laïque de la morale

p. 27 : Eirick Prairat, Minimalisme, moralisme et paternalisme : clarifications et enjeux pour l’école

p. 41 : Eirick Prairat, L’argumentaire de Ruwen Ogien contre la morale laïque : présentation critique

p. 45 : Claude Lelièvre, De Jules Ferry à Vincent Peillon : petite histoire de la morale laïque

p. 53 : Jean Baubérot, Morale et laïcité : savoir de quoi on parle pour reprendre l’offensive

p. 65 : Robert Chapuis, Existe-t-il une conception morale de la politique ?


Document
p. 71 : Benoit Malon, La morale sociale 1886 (conclusion de l’ouvrage)

Histoires socialistes
p. 81 : Claire Marynower, Être socialiste dans l’Algérie coloniale. Pratiques, cultures et identités d’un milieu partisan dans le département d’Oran, 1919-1939

p. 91 :Ismail Ferhat, Socialistes et enseignants : le Parti socialiste et la Fédération de l’Éducation nationale de 1971 à 1992

p. 97 : Jérôme Letournel, Socialisme et socialistes dans le Calvados des origines à la fin du XXe siècle (1864-1998)

p. 115 : Aude Marécaille, Jean Poperen et le poperénisme dans le socialisme français

p. 131 : Gilles Morin, Les élus départementaux socialistes dans un parti en déclin : repli et résistance (1958-1970)

Débat
p. 151 : Joseph Pinard, La culpabilisation des sociaux-démocrates. À la source : le dramatique échec de 1914

Varia
p. 161 : Christian Chevandier, Esquisse de bilan du centenaire de la naissance d’Albert Camus
p. 171 : Joseph Pinard, Sur Jean Zay

In memoriam
p. 177 : Arthur Conte, Anthony Lorry, Pierre Prouvost

AVANT-PROPOS
Par ALAIN BERGOUNIOUX

Le dossier de ce numéro est consacré à la morale. Au-delà du débat sur l’enseignement de la morale à l’école, bien des questions se posent aujourd’hui qui méritent qu’on s’y arrête.

Bruno Poucet, professeur d’histoire de l’éducation à l’université de Picardie Jules Verne, a accepté de le piloter pour nous ce dossier, en sollicitant des articles auprès de spécialistes. Je lui laisse présenter les enjeux et le contenu de notre dossier. Un mot cependant, étant l’un des trois auteurs du rapport sur « L’enseignement laïque de la morale », remis au ministre de l’Éducation nationale, en avril 2013. Cette question de la morale concerne, à la fois, l’école, bien sûr, mais tout autant la société. Car, il s’agit, finalement, du sens à donner à la formation des citoyens dans notre République. Cela n’étonnera pas donc le lecteur de voir que les grands problèmes de notre société sont à l’arrière-fond de cette réflexion.
Ce numéro laisse également une grande place à la recherche sur l’histoire du mouvement socialiste, des origines à nos jours. En effet, au cours de ces derniers mois, une série de thèses soutenues brillamment par de jeunes chercheurs sont venues apporter de nouveaux éclairages sur des questions aussi importante que l’implantation du socialisme (dans le Calvados du XIXe siècle à la fin du XXe siècle, ou à Oran en situation coloniale dans l’entre-deux-guerre) ou ses relations avec le monde enseignant de 1971 à la disparition de la Fédération de l’Éducation nationale. Claire Marynower, Ismail Ferhat d’avoir accepté de confier à notre revue l’exposé qu’ils ont présenté devant leur jury lors de leur soutenance très récente, qui présente la construction de leur objet de recherche, leur approche et les pistes de réflexion. Jérôme Letournel a synthétisé pour nous les principales conclusions de sa thèse présentée au printemps dernier. Je les remercie de nous faire profiter de la primeur de leurs recherches.
Les articles d’Aude Marécaille, sur Poperen et le poperénisme (avec cette question : un courant survit-il à la disparition de leader), et de Gilles Morin sur l’évolution du groupe des conseiller généraux socialistes dans le mouvement socialiste des années soixante (les élus ont-ils freinés le déclin de la SFIO ?), présentent des nouveaux éléments pour une meilleure connaissance du PS.
Les parties « débat » et « varia » de ce numéro offrent également l’occasion de revenir sur une actualité récente qui intéresse les socialistes, notamment dans leur relation avec leur histoire. Joseph Pinard explore en cette veille de centenaire de la guerre de 14 la question de la culpabilité des socialistes. Quant à Christian Chevandier, en cette fin d’année 2013, l’année d’un autre centenaire, celui de la naissance d’Albert Camus, il en tire un bilan plein de satisfactions.
Bonne lecture.
Alain Bergounioux
D’une morale laïque à l’autre
par BRUNO POUCET

De quoi parle-t-on vraiment quand évoque la morale, la morale laïque ou l’enseignement de la morale à l’école ? Les articles de notre dossier interrogent d’hier à aujourd’hui l’évolution de la place particulière de la morale dans notre République.

L’occasion était trop belle pour ne pas se saisir de la question. Les lecteurs de cette revue le savent : un rapport sur l’enseignement de la morale laïque à l’école vient de paraître. Il est le résultat des travaux de deux inspecteurs généraux et d’un enseignant chercheur. L’un d’entre eux, Alain Bergounioux, est bien connu des lecteurs habituels de cette revue. Le rapport a produit ses premiers effets : une charte de la laïcité, bien reçue, semble-t-il par les principaux acteurs du monde de l’éducation, est désormais affichée dans les classes. Un programme d’enseignement de la morale laïque est attendu pour la rentrée 2015. Retour en arrière sur un passé pas si ancien où la morale faisait partie des contenus enseignés ? Innovation pour essayer d’organiser le vivre ensemble à l’école et au-delà ? À ces questions les auteurs des différents articles s’efforcent d’apporter réponse.

Refonder l’école de la République
Il fallait laisser d’abord la parole à l’initiateur de cet enseignement, le ministre-philosophe, Vincent Peillon lui-même. Ce nouveau dispositif est un jalon dans un ensemble plus vaste : la refondation de l’école de la République. Il ne faut donc pas le prendre de façon isolée, mais l’intégrer à cet ensemble. Il s’agit bien d’une morale laïque. Le terme est tellement malmené que l’on ne sait plus toujours ce qu’il signifie. En quelques mots, les choses sont ramenées à leur essence : morale de la raison, universalisme, humanisme, égalité de traitement de tous les élèves, indépendance par rapport à la religion. On retrouve ainsi des éléments fondamentaux de la morale laïque, mais pas seulement. Car, depuis Jules Ferry et sa Lettre aux instituteurs, les choses ont bien changé : la sécularisation est passée par-là, le pluralisme religieux s’est installé. La morale de nos pères, ce n’est plus seulement la morale à base de références religieuses chrétiennes, c’est la morale de tout être rationnel. En ce sens, on est bien entré dans un nouvel univers. Le rapport en prend acte. Et le ministre de souligner qu’il ne faut pas tomber dans un dogmatisme qui imposerait ses règles à chacun, fusse-t-il laïque : c’est une morale du « vivre ensemble », une morale adogmatique. L’article d’Émile Poulat vient confirmer ce point de vue : on est bien passé d’un univers à un autre, un univers de la tolérance partagée. Encore faut-il s’y exercer et l’intérioriser. C’est tout le défi de l’affaire.

Une morale de l’échange
Alain Bergounioux le souligne avec vigueur : il ne s’agit pas d’une morale absolue – c’est la rançon du pluralisme existant dans la société. C’est une morale qui installe des passerelles entre les êtres, apprenant à chacun le respect, n’imposant pas de renoncement aux croyances, mais interdisant toute affirmation unilatérale. C’est une morale de la discussion, de l’échange : c’est ainsi d’abord une pratique, avant que d’être un contenu à enseigner. Eirick Prairat le rappelle avec force : le corollaire de cette morale, c’est la déontologie de l’enseignant puisqu’enseigner s’apprend : c’est même la fonction principale des Écoles supérieures du professorat et de l'éducation (ESPE). Ce sont, au fond, les règles que nous nous donnons à respecter, afin de pouvoir vivre ensemble dans un état de paix et non de guerre civile larvée. C’est ainsi d’autant plus exigeant. Mais ce sont aussi les règles propres à l’école, car celle-ci est une institution qui vise à l’autonomie des élèves. Il n’y a pas une morale pour l’école, mais une morale à l’école pour des élèves qui, un jour, la quitteront irrémédiablement.

La morale à l’école : toute une histoire
L’article de Claude Lelièvre remet très clairement les choses en perspective, d’un point de vue historique. La morale, en effet, c’est traditionnellement le combat des laïques contre les cléricaux, c’est substituer au catéchisme envoyé en dehors de l’école, une morale qui s’affirme dans une indépendance revendiquée par rapport aux croyances religieuses. Ce n’est pas une morale qui nie le fait religieux, c’est une morale qui le met à distance, le renvoie à la sphère domestique ou à celle des églises, sans pour autant la privatiser : la pratique religieuse n’est pas clandestine, elle a une expression publique, mais elle n’appartient plus à un service public. La morale des institutions publiques ne peut être que laïque. C’est la prérogative de l’école, institution publique par excellence. Or, cette morale de l’école se sclérose progressivement : elle devient une série de recettes, se transforme en sentences que l’on recopie « religieusement » ou « laïquement » dans son cahier du jour. Mais que l’on se garde bien d’appliquer, car l’école de la République, on le sait, n’est pas une, mais double : le vivre ensemble se fait… à distance. Le fils du peuple n’est pas, sauf rare exception, mélangé au fils de famille. On s’ignore : si l’un apprend par cœur des sentences qui ressemblent fort à un catéchisme républicain, l’autre apprend à philosopher et à réfléchir. C’est que le premier est là pour être soumis au second. La morale doit le lui apprendre.

Lorsque ce double ordre de l’école disparaît progressivement à la fin des années 1950, la morale républicaine perd définitivement tout sens et toute saveur. Elle est devenue routine de l’homme en blouse grise ou de la femme au chignon serré, comme le montrent les cahiers d’élèves qu’a analysés Jean Baubérot. C’était devenu un résidu ou, mieux, un lieu de mémoire d’un temps disparu. 1969 la rend facultative : on sait dans ce cas ce que cela signifie. 1985 verra s’installer l’éducation civique, signe que vivre ensemble commençait à ne plus aller nécessairement de soi. On ne peut donc revenir à la morale de Ferry, c’est ce que montre Claude Lelièvre. Et c’est préférable : sinon, c’est le dogmatisme routinier. Car, souligne Jean Baubérot, la morale de la République avait une vertu – elle s’interdisait tout regard critique vis-à-vis de la République. Elle aidait à entrer en République elle s’interdisait toute innovation, toute interrogation sur la société, sur l’ordre social cautionné par la République : elle portait ainsi haut les vertus du colonialisme. On sait ce que cela a donné lorsqu’il a fallu, après Bandoeng, accepter l’émancipation des peuples. La morale de l’époque ne fut pas d’un grand secours ! La morale doit accepter sa propre critique : ce n’est pas une parole sacrée qui serait délivrée dans le sanctuaire de l’école. C’est une morale qui aide les élèves à structurer leur pensée dans une société déterminée.

C’est ce que nous rappellent, dans des contextes différents, Robert Chapuis et Benoît Malon : la morale est aussi une question politique. En ce sens, la vertu de la morale à l’école, c’est d’être une pédagogie du vivre ensemble : elle doit aider ensuite les adultes à remettre les choses à leur juste place, à mettre, par exemple, l’argent où il doit être : au service de la vie collective et non pour l’asservir. Il y a encore quelques progrès à faire !

C’est à une pratique réfléchie d’une morale transformée que nous sommes invités. L’enseignement qui doit se mettre en place à l’école le rappelle : ne serait-ce que pour cela, il est indispensable, s’il n’est pas le double mimétique de solutions dépassées.

Bruno Poucet
 

 
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