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L'OFFICE UNIVERSITAIRE DE RECHERCHE SOCIALISTE
 
Chili, Cépède Denis, L'OURS, 1973
Le mot du secrétaire général, Denis Cepède
L’OURS, août septembre 1973)


La réflexion des socialistes français sur leur propre démarche ne peut évacuer l’assassinat de la démocratie chilienne en invoquant distance et différence de situation : quant le combat est le même, il y a quelque chance que les adversaires soient semblables et lorsque les systèmes institutionnels, qui définissent les règles du jeu, sont comparables, les occasions, les moyens et la façon de les enfreindre peuvent avoir quelque similitude. Finalement, ce que César Pinochet a interrompu, un processus de transformation sociale entamant la liquidation du capitalisme, c’est ce que Pompidou, avant les élections législatives, ne voulait pas laisser commencer, lorsqu’il faisait savoir qu’il refuserait le gouvernement aux partis qui défendaient le programme commun.

Allende était entravé par le respect des lois et pourtant l’union populaire en fit assez aux yeux des réactionnaires chiliens et du capitalisme international pour que Pinochet devienne un Gallifet. De même les propos rassurants de Marchais et de Mitterrand, sur un programme commun prudent, n’ont pourtant pas évité les menaces de la droite. Certains resteront convaincus que notre victoire aurait découragé l’adversaire de mobiliser la force contre la loi du suffrage universel. Mais sont-ils assurés que la patience de l’adversaire n’aurait pas été payée du sacrifice par nous de nos modestes ambitions ?

Pour affirmer son refus de l’alternance, la classe dirigeante n’attend pas chez nous son éventualité. Pour le prouver, en Grèce, elle n’attend pas les élections. Au Chili, alors que rien ne compromet la possibilité d’une revanche, au moment où la coalition habituelle du centre et de la droite la rend possible, sinon, probable, à terme proche, l’impatience est la plus forte. Et les règles implicites de la paix mondiale aboutissent à la coalition des gouvernements contre les peuples. Les assassins sont tranquilles. On saura censurer la connaissance de leurs crimes, au nom sans doute de l’indépendance des États, ce qui laisse le loisir d’asservir les citoyens.

Aujourd’hui, nous savons qu’une stratégie de transformation sociale qui fonde son développement sur la croyance que la bourgeoisie y consentirait aussi longtemps qu’on respecterait ses règles est d’une naïveté dangereuse. Elle risque de finir dans le sang ; il ne reste après qu’à mesurer l’espérance que cette politique nouvelle, à peine ébauchée, avait suscitée au nombre de meurtres que les forces du capitalisme doivent perpétrer pour rétablir leur autorité.

Dans ces conditions, est-il seulement habile de tenter de faire croire que nous serons légalistes pour deux ? les silences et les réactions chez nous des lieutenants du pouvoir devant les événements du Chili devraient pourtant nous aider à comprendre qu’aujourd’hui, il vaut mieux pour eux montrer sa détermination, voire en annonçant les crimes qu’on prémédite, que son respect des règles et des lois. Si les tenants du pouvoir n’ont pas hésité à perdre l’atout de « démocrates » en annonçant le refus de laisser la gauche gouverner en cas de victoire et nous expliquent aujourd’hui qu’il était légitime de violer les lois au Chili, c’est qu’ils pensent que nos concitoyens sont moins attachés au droit qu’à leur tranquillité, et qu’on peut compter alors sur la peur pour contrebattre les effets de notre appel à la volonté. Même s’ils se trompent, ce fait qu’ils le croient lèverait leur hésitation devant un coup de force ; ils s’imagineraient qu’ils sont à Athènes et non à Santiago. Et même Santiago les ferait-il reculer ceux à qui l’ORTF a fait croire qu’il n’y avait pas eu cent morts !

Ne pas être légaliste pour deux, cela ne veut pas dire en prendre à son aise avec la liberté et les droits des personnes. Cela signifie qu’on tire les conséquences du refus, par nos adversaires, d’un choix démocratique dans l’exacte mesure où ils ont la certitude que l’épreuve de force leur sera favorable. C’est, en effet, refuser le choix que de n’accepter que le relais d’une équipe par une autre au service du même système. Si l’alternance entre les semblables est la seule possible, un socialiste n’a le choix qu’entre la trahison et la défaite. S’il n’inscrit pas dans sa stratégie les moyens, soit de convaincre l’adversaire de classe de se tenir tranquille, soit de l’abattre s’il n’a pas été convaincu et qu’il prend l’initiative de la violence, il n’est plus, depuis le putsch chilien, innocent des crimes que la réaction pourrait commettre puisqu’il est maintenant prévenu. Et un succès démocratique de la gauche n’est possible que si cette démonstration est faite au peuple car il est prévenu aussi.

Décidément, après le Chili, nous ne pouvons pas faire semblant de croire que nous pouvons obtenir la neutralité de l’adversaire pour s’être engagé à sauvegarder l’occasion de sa revanche. C’est insérer dans le projet socialiste, et comme condition de sa mise en œuvre, que la démocratie garde un sens, et elle n’a quelque chance d’exister que si nous voulons bien ne pas nous tromper vainement sur les capacités criminelles de l’adversaire.

Denis Cépède
 

 
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