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L'OFFICE UNIVERSITAIRE DE RECHERCHE SOCIALISTE
 
Bergounioux/Jeudy Pingaud 321
Les éléments d’une défaite évitable
par ALAIN BERGOUNIOUX

Un événement politique comme le 21 avril a déjà suscité plusieurs ouvrages. Ils relèvent d’une histoire immédiate précieuse. Car ils donnent une masse de faits recueillis au fil des jours. Or, il est nécessaire de partir des faits avant d’énoncer des interprétations. Ces deux livres, Les Coulisses d’une victoire et L’Impossible Défaite, sont de ce point de vue utilement complémentaires.

Bruno Jeudy, Sylvie Maligorne, Jean-Luc Bardet
Les Coulisses d’une victoire
L’Archipel 2002 310 p 17,95 e

Denis Pingaud
L’Impossible Défaite
Seuil 2002 198 p 15 e

Le premier, rédigé sur le vif par des journalistes de l’AFP, pour le lendemain même du second tour de l’élection présidentielle, délivre un récit détaillé de la campagne à partir de ce qui a été vu et entendu dans les quartiers généraux des candidats, les meetings, les réunions (plus ou moins) discrètes. Nous avons là un cadre utile pour avoir une vision d’ensemble. Le second livre a un autre caractère. Denis Pingaud a eu l’autorisation d’être le témoin du travail quotidien de " l’atelier de campagne " de Lionel Jospin. C’est donc d’abord un récit de l’intérieur qui est proposé. Essayiste politique, bon connaisseur de l’histoire de la gauche, l’auteur avance une réflexion sur les causes de la défaite.

Conjoncture et stratégie
La difficulté dans un événement est toujours de faire la part entre ce qui relève de la conjoncture et des causes plus structurelles. La lecture de ces deux ouvrages – influencée également par mon expérience dans le déroulement de la campagne qui m’a amené à être, à la fois, un acteur et un témoin à un niveau moyen – montre que beaucoup a dépendu des choix stratégiques déterminés dans les mois qui ont précédé la campagne officielle. L’inversion du calendrier électoral, d’abord, en refaisant de l’élection présidentielle le pivot de la séquence électorale, impliquait le primat donné au face-à-face entre le président et le Premier ministre. Mais elle ouvrait en même temps la concurrence pour chacun des deux grands candidats avec les autres candidats des partis de leurs coalitions respectives. La droite avait mieux préparé cette épreuve que la gauche, le rassemblement avait commencé presque deux années auparavant avec une Alternance 2000, devenue l’Union pour la majorité alors que la " gauche plurielle " donnait des signes d’épuisement, et ne comptait déjà plus Jean-Pierre Chevènement dans ses rangs.
Cela ne veut pas dire que le maintien de la chronologie politique avec les élections législatives en premier aurait apporté une victoire. Toutes les études préalables montraient un résultat incertain. Mais, du moins, dans ce type d’élections, le " bilan " aurait tenu une plus grande place. La confrontation présidentielle concerne davantage les projets et a une dimension plus symbolique. Or, après avoir hésité – Denis Pingaud le souligne – Lionel Jospin a finalement choisi de demeurer Premier ministre jusqu’au bout, prenant le risque de concentrer tous les mécontentements que provoque inévitablement une action gouvernementale. D’autant que – et, là, la conjoncture fait sentir son poids – les derniers mois de la législature ont été marqués par la montée des inquiétudes devant la dangerosité du monde après le 11 septembre et avec les retombées du conflit israélo-palestinien, devant le ralentissement de la croissance et les restructurations industrielles de nature diverse, devant la poussée de la délinquance qu’amplifie l’effet médiatique, etc. Les années " heureuses " du début de la législature en ont dès lors été colorées différemment.
De ces deux choix résulte ce qui apparaît aujourd’hui comme une erreur de " posture " : un début de campagne centré principalement sur la décrédibilisation de Jacques Chirac. C’est le sens du choix du slogan, " présider autrement ". Or, le travail avait été déjà fait dans l’opinion. La popularité de Jacques Chirac était faible pour un président sortant. La dureté des propos tenus par Lionel Jospin au début de sa campagne a pu paraître excessive. Elle a fait passer au second plan les propositions du candidat. Le projet a été rendu public un peu tard et n’a pas structuré la campagne comme cela aurait dû être. Celui-ci – et cela a été relevé par tous les commentateurs – a placé sa campagne d’emblée dans la perspective du second tour. Cela explique une volonté de rassemblement – traduit dans une première intervention par le " mon projet n’est pas socialiste " qui a choqué, mais qui est d’une grande banalité dans un second tour. Plus profondément, cela explique en partie les incertitudes sur la manière de traiter une question clé de la campagne, celle de la sécurité : être déjà dans le second tour conduisait à dépolitiser l’enjeu de la sécurité pour en faire un " problème technique " en refusant de mettre l’accent sur ce qui opposait la droite et la gauche.
Les deux livres fourmillent d’anecdotes qui font notamment apparaître les maladresses diverses qui ont émaillé la campagne de Lionel Jospin – mais Les Coulisses du pouvoir nous rappellent qu’elles n’ont pas manqué non plus au " Tapis rouge ", tout particulièrement le cafouillage contradictoire sur le coût du projet de Jacques Chirac. Cela dit, derrière la masse des " petits faits vrais ", c’est bien les effets des choix stratégiques qui rendent compte de l’essentiel.

La lecture du bilan
Cela n’épuise pas pour autant la réflexion. Demeure, en effet, la plus difficile question. Comment comprendre qu’un bilan gouvernemental très honorable – par comparaison avec ce qui a pu être fait partout en Europe dans les mêmes années – n’ait pas été plus estimé ? La campagne a révélé en fait un écart entre les mesures générales, et donc le discours politique qui les exprime, et les perceptions individuelles de la politique. Un discours " macro politique " a peu de prise dans une société de plus en plus fragmentée. Cet état de la société a en partie échappé aux socialistes. La formule de la " nouvelle alliance " entre " les exclus, les classes populaires et les classes moyennes " était trop abstraite. La réalité de la précarité de l’emploi n’a pas été ignorée, le projet contenait des mesures précises pour la limiter. Mais il a été difficile de relier les situations particulières aux mouvements d’ensemble. L’épisode du " dialogue impossible " entre une délégation de syndicalistes de Lu et Lionel Jospin a fait toucher du doigt cette difficulté. Cela éclaire les limites du projet. Denis Pingaud montre bien que ce texte – même si sans doute il a été préparé trop tardivement – était en fait cohérent. Il reprenait les traits essentiels du Projet socialiste, préparé sous la responsabilité de Martine Aubry et comportait des mesures fortes, comme " la formation tout au long de la vie " ou " la couverture logement universelle ". Il a souffert cependant du même déficit que le bilan, il n’a pas su relier le " local " au " mondial ". Ce ne sont pas les mesures prises une par une qui sont en cause, mais c’est le cadre d’ensemble, autrement dit le " récit de la France " qui a manqué.
Les lecteurs trouveront bien d’autres éléments dans ces deux livres et formuleront leurs propres réflexions. Il reste que tous les faits et toutes les raisons n’épuiseront pas tout l’événement qui gardera une part d’énigme. Car si la défaite n’est jamais impossible, celle-là était évitable…
Alain Bergounioux
 

 
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