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L'OFFICE UNIVERSITAIRE DE RECHERCHE SOCIALISTE
 
Phéline / Lavergne 419
Algérie, an 01, par François Lavergne
A propos de Christian Phéline, L’Aube d’une révolution. Margueritte, Algérie, 26 avril 1901 , préface de Benjamin Stora, Toulouse, Éditions Privat, 2012, 245 p, 21 €

Article paru dans L’OURS 419, juin 2012, page 6
Plongée au cœur de l’Algérie coloniale du début du XXe siècle.

Côté édition, le 50e anniversaire de l’indépendance de l’Algérie a surtout focalisé l’attention sur la guerre d’Algérie de Sétif à Évian, et sur les relations entre Algériens et Français depuis 1962, avec une large place aux témoignages et questions entre « histoire » et « mémoire(s) ». La colonisation elle-même, les rapports entre colons et indigènes en Algérie semblent avoir moins retenu l’attention. C’est un des grands intérêts du livre de Christian Phéline que de nous replonger 110 ans en arrière, à Margueritte, village de colonisation au cœur du vignoble algérien, à une centaine de kilomètres d’Alger, théâtre d’une explosion de violence révélatrice des tensions qui travaillent les deux communautés en Algérie, et les ambivalences d’une opinion publique française qui condamne les abus de la colonisation mais croit dans la mission civilisatrice.

Le 26 avril 1901, une centaine d’indigènes, entraînés par Yacoub, un jeune journalier mystique, investit Margueritte pendant 8 heures, tuant cinq Européens et en laissant autant pour morts (qui survivront à leurs blessures) parce qu’ils ont refusé de déclarer leur adhésion à l’islam – ceux qui le firent furent épargnés et emmenés. Vite bloqués par la troupe, les insurgés sont arrêtés et emprisonnés. La rumeur court et amplifie un bilan humain déjà lourd, et c’est bientôt au nom des 30 ou 50 morts que des colons exigent des représailles expéditives. La presse locale annonçant des soulèvements d’indigènes dans d’autres endroits joue avec les peurs, la presse nationale donnant un large écho à cette panique orchestrée. Même si les meneurs ont été arrêtés, un « immense coup de filet » visant sans distinction tous les indigènes de la région âgés de 18 à 60 ans s’organise : 400 arrestations, sans ménagement.
Magistrat à la cour des comptes, Christian Phéline, dont on connaît l’édition érudite des Cahiers noirs de Marcel Sembat (Viviane Hamy), suit avec finesse et précision les traces laissées dans les archives (celles du gouvernement général en Algérie, de l’armée de terre, de la Chancellerie, de la Cour de Cassation, des assises de l’Hérault, du bagne de Cayenne) et dans la presse par ce « micro-événement ». Il ne cache pas que le rôle joué dans cette affaire par son arrière-grand-père juge d’instruction en Algérie a aussi aiguillonné sa curiosité, son intérêt pour la vie politique et sociale algérienne s’étant aussi manifesté comme coopérant dans l’Algérie indépendante.

Les sens d’un événement
« Assaut », « Représailles », « Accusation », « Débats », « Détention », « Procès », « Verdict », « Acquittement ? », « Bagne », « Mémoire(s) », les titres des chapitres donnent un clair résumé de l’approche méthodique et chronologique de l’auteur. Mais d’abord, comment nommer ce qui s’est passé ce jour-là ? Ils relèvent l’embarras des autorités locales comme de la presse devant cette « jacquerie algérienne » qualifiée selon les uns, alarmistes, de révolution ou d’insurrection, selon d’autres d’émeute, et par les plus « neutres » d’échauffourée, de troubles ou d’« affaire ». Les mots donnent sens à l’événement, soit en en faisant un accès de folie, soit en lui cherchant des causes politiques, sociales, économiques dans la colonisation de l’Algérie. La richesse de l’étude de Christian Phéline est de tenir tous les bouts d’un événement qui annonce d’une certaine façon les aspirations souterraines des Algériens à se libérer de leurs colonisateurs.

Une centaine d’inculpés (certains parlent déjà de « condamnés ») seront finalement jugés à Montpellier début 1903 où le procès a été délocalisé pour échapper aux pressions. Pas de peine capitale, un verdict assez clément. Mais ils auront vécu dans des conditions de détention épouvantables, une vingtaine décédant entre la prison de Blida et les transferts à celle d’Alger puis à Montpellier. En effet, comme le dit le député Marchal à la Chambre des députés en 1901 aux lendemains des événements, « trouvant en prison “des soupes variées tous les jours et de la soupe grasse le dimanche”, les détenus indigènes ne demandent qu’à y retourner périodiquement », et le Dr Aubry, député républicain de Constantine, lors des débats de 1903, que « “le suprême bonheur étant pour [eux] de vivre dans l’oisiveté”, la détention leur serait, plutôt qu’une peine, “une récompense” ! » Alors, pourquoi se soucier d’un sort qui leur est si doux ! Ces discours en disent long sur les préjugés, le racisme des coloniaux et sur le fossé creusé. Mais quand bien même l’opinion publique en métropole s’insurge des conditions faites à ces inculpés, comme au sort des indigènes constamment spoliés par des lois iniques, ou par le laisser-faire des autorités locales, elle ne remet pas en cause la colonisation en elle-même . Ainsi de l’attitude de la quarantaine de députés socialistes qui dans les débats à la Chambre en mai-juin 1901 (certes, Jaurès et Guesde n’y siègent pas à cette époque) se distingue peu en demandant de « faire respecter les droits des indigènes algériens et d’empêcher la spoliation dont ils sont victime ». Ils mettent leurs espoirs dans une « politique coloniale plus humaine et plus généreuse ». Quant aux moyens !

Christian Phéline dénoue les fils de cet événement à hauteur d’homme, s’attachant aux destins des acteurs. Il est attentif aux inculpés dont la parole n’est pas directe car toujours passée par le filtre des institutions qui les interrogent. De fait, on ne les écoute pas et l’historien s’interroge sur l’existence d’une mémoire plus enfouie de l’événement, côté algérien. Si l’essentiel de cette recherche s’inscrit dans une chronologie qui part de 26 avril 1901 au départ au bagne en décembre 1903 des 9 condamnés à des peines de travaux forcés, elle constitue, par les questions qu’elle laisse ouvertes sur les perspectives qu’auraient pu ouvrir un vrai débat en 1901 sur les réformes à mener dans le système colonial, une passionnante contribution à l’histoire de la colonisation française en Algérie.

François Lavergne
 

 
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