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L'OFFICE UNIVERSITAIRE DE RECHERCHE SOCIALISTE
 
Lafon Boulouque Tréand L'OURS 401
Maurice Tréand ou les logiques d’un système
Par Éric LAFON
Article paru dans L’OURS n°401, septembre-octobre 2010, p. 7


Nombre de nos lecteurs connaissent le rôle joué par le dirigeant communiste Maurice Tréand dans les démarches initiées par la direction du PCF à partir du 26 juin 1940 auprès des autorités nazies afin d’obtenir la reparution légale du journal L’Humanité. En revanche, on ne connaissait pas l’histoire de cet homme et mal son parcours militant. Cette lacune est maintenant comblée grâce au solide travail de Sylvain Boulouque.

Sylvain Boulouque, L’Affaire de L’Humanité, Larousse, 2010, 255 p, 18 €

Une remarque s’impose. Le titre se veut « accrocheur », mais il ne rend pas compte du fond de l’ouvrage qui est de fait une biographie de Maurice Tréand. Et ce n’est d’ailleurs pas sur « l'Affaire » elle même que Sylvain Boulouque apporte du neuf, car il rappelle les travaux de ses prédécesseurs sur la demande de reparution de L’Humanité. Pour en finir avec les remarques les moins agréables, le lecteur ne manquera pas, malheureusement, de buter sur de nombreuses coquilles voire des phrases tronquées que l’éditeur aurait pu éviter.

Sur le fond, Sylvain Boulouque ne cherche ni à réhabiliter ni à honorer la mémoire d’un homme « injustement » rendu seul responsable d’une politique engagée et soutenue par Moscou et la direction du PCF en France mais, plus simplement, de nous proposer une étude biographique. « Plus simplement », certes, mais dans le cas de l’histoire communiste cela relève parfois du défi et peut faire naître de vives polémiques. D’abord, parce que le PCF s’est appliqué, et cela dès la période de la clandestinité puis de la Résistance, à rédiger sa propre histoire. Et ensuite, parce que cette histoire partisane et officielle a marqué plusieurs générations de militants, et perdure parfois encore aujourd’hui – on l’a vu avec certains débats sur la date d’entrée en résistance du PCF et ce fameux « appel du 10 juillet 1940 », document reconstruit comme l’ont démontré les historiens.

L'itinéraire d’un communiste
D’empathie à l’égard du communisme, Sylvain Boulouque n’en a pas, et il ne sombre pas non plus dans l’excès inverse, autre écueil à toute approche de l’histoire du PCF. Ici, le biographe met dans la lumière cet homme, Maurice Tréand, né en 1900, dépeint dans l’intégralité de son parcours, de ses années de jeunesse dans le Doubs aux débuts du XXe siècle et son engagement à l’âge de vingt ans aux JC, jusqu’à son ascension dans le parti qui le conduit en 1933 à la tête de la commission des cadres, pour finir « éliminé » politiquement à la Libération. Il meurt en 1949.

Loin d’une histoire policière ou sensationnaliste, l’historien livre la solide biographie d’un cadre dirigeant du PCF inscrite dans la réalité du communisme français telle qu’il s’est construit à partir du moule imposé par l’Internationale communiste et Moscou à partir de 1919. C’est-à-dire dans sa face « lumineuse » et dans son visage le plus noir, celui de la surveillance continuelle des militants, des éliminations par exclusion, des procès. Une histoire qui s’écrit sur fond d’engagement total et sincère à vouloir « changer les choses », secouer « le vieux monde », donner le jour à des « lendemains qui chantent ». Tréand est d’abord ce jeune de 21 ans, serveur dans un café à Besançon où se réunissent de jeunes communistes du groupe « Clarté » et qui, nous explique Sylvain Boulouque, décide de s’engager politiquement. De ces premières années en communisme, on suit avec intérêt l’activisme acharné de ces jeunes hommes et femmes à dénoncer successivement l’occupation de la Ruhr, la répression du soulèvement d’Abd-el-Krim au Maroc, l’exécution des anarchistes Sacco et Vanzetti, à soutenir ces ouvriers français et étrangers exploités par une bourgeoisie industrielle désignée comme l’ennemi de classe, à participer à la solidarité et à la coopération ouvrière. Maurice Tréand monte dans le « Parti ». L’homme a des qualités d’organisateurs, rapidement repérées, qui lui donnent accès à un cycle de formation – dont l’importance dans la culture communiste est à juste titre soulignée – auquel le futur cadre, du régional à l’international, se plie. Sylvain Boulouque montre l’importance qu’y tient l’activité sportive, vecteur d’initiation, de socialisation, mais aussi d’instrumentalisation de la violence, indispensable dans l’exercice de la lutte des classes telle que la conçoivent les communistes. Autant que les « épreuves », l’arrestation et l’internement, la prison « où l’on forge les meilleurs révolutionnaires ». Cet engagement total pour le parti conduit au voyage à Moscou, étape indispensable à tout cadre promu dans l’appareil.

L’allégeance au parti
Ce parcours, Tréand n’y est pas contraint. Il adhère à ce mode de fonctionnement, à cette culture. Le « Parti » se doit d’être une armée disciplinée et centralisée. Aussi, pas de « vague à l’âme » ou de tergiversations idéologiques, la croyance dans l’infaillibilité du parti est totale, sans faille. En retour, l’autre, celui qui doute, est par conséquent à surveiller, à suspecter. C’est parce que Maurice Tréand donne tous les gages, toutes ces preuves, qu’il est « digne de confiance » et qu’il accède à des responsabilités dans le parti.

L’intérêt de ce parcours est de nous montrer les deux facettes de ce communisme. D’un côté les occupations d’usines durant le Front populaire, la solidarité avec l’Espagne républicaine, l’épopée et l’héroïsme, les fêtes communistes à Arles, les meetings au Vel’d’hiv, et de l’autre côté les purges et procès de Moscou, la chasse hystérique aux trotskystes, la surveillance exercée par l’appareil communiste. Il ne faut jamais oublier qu’à Stalingrad, comme l’a montré Anthony Beevor (Stalingrad, Livre de poche, 2001), les officiers de l’armée rouge qui se battent contre l’armée allemande continuent de subir la suspicion exercée par le NKVD et pour nombre d’entre eux d’en être victimes. C’est parce que Maurice Tréand est considéré par Jacques Duclos comme un bon élément que lui est faite en 1933 la proposition de s’occuper de la commission des cadres. Le lecteur pénètre alors dans les arcanes du parti : Maurice Tréand, entre Paris et Moscou, rédige rapports et enquêtes sur les militants et les responsables du parti. Les fameuses « bios », remplies par les militants et les dirigeants communistes, sont indispensables au contrôle et à la protection de l’appareil. L’enquête permet aussi de rédiger des « listes noires » dans lesquelles les exclus ou ceux suspectés de « trahison » sont dénoncés.

En 1940, cet appareil « policier » se retourne contre le bon militant Maurice Tréand après la décision, prise depuis Moscou, de mettre fin aux négociations à Paris entre le PCF et les autorités nazies afin de faire reparaître légalement L’Humanité. Les dernières pages de l’ouvrage de Sylvain Boulouque sont concises et terribles. Elles participent, comme l’ont fait d’autres études historiques, à montrer la face glaciale et mortifère de l’appareil communiste.

Eric Lafon

(1) Voir les réactions suscitées autour de Guy Môquet dans Jean-Marc Berlière et Franck Liaigre, L’affaire Guy Môquet, Larousse, 2009.
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