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L'OFFICE UNIVERSITAIRE DE RECHERCHE SOCIALISTE
 
C Phéline / R Ducoulombier 405
Dépasser Tours, le temps d’un rêve…
par Christian Phéline

à propos de Romain Ducoulombier, Camarades ! La naissance du parti communiste en Francen préface de Marc Lazar, Perrin, 2010, 429 p, 23 €


Article paru dans L’OURS n°405, février 2011, p. 4

Parue 90 ans, presque jour pour jour, après l’éclatement, en décembre 1920, de l’ancien parti socialiste unifié de 1905, et près d’un demi-siècle après le travail désormais canonique d’Annie Kriegel (Aux origines du communisme français, 1914-1920, Mouton, 1964), l’étude de Romain Ducoulombier porte sur la naissance du PCF le regard d’une génération ayant accédé à la vie politique après la chute du Mur de Berlin.

Le déroulement du congrès de Tours n’était certes plus à raconter ; on savait déjà quelle alliance de circonstance s’y noue entre une jeune minorité groupée dans le « Comité de la IIIe Internationale » et des dirigeants comme Frossard et Cachin, ralliés tardivement à l’adhésion après avoir soutenu « l’Union sacrée » ; on savait aussi comment le « télégramme Zinoviev » y précipite la scission en exigeant l’exclusion de Longuet, le principal dirigeant français de l’opposition pacifiste. En revanche, il restait à faire le point sur les fameuses « conditions » posées par la nouvelle Internationale, qui, passées de 9 à 21 et même 22 (réactivée en 1922-23, cette dernière condition prévoyait l’exclusion des francs-maçons), donnèrent alors lieu à plus d’un malentendu politique. De nouveaux documents éclairent aussi le rôle que Clara Zetkine, représentante de l’Internationale, joue à la tribune comme en coulisses.
L’essentiel est cependant dans l’interprétation en partie renouvelée ici proposée du ralliement majoritaire au bolchevisme comme de la façon dont la plupart de ses promoteurs seront, en quelques années, mis à l’écart.

Trahison, régénération, élimination
Plutôt que de voir dans Tours une sorte d’ « accident », provoqué à distance par le choc de la révolution russe, l’auteur fait remonter la rupture native à août 1914, où l’adhésion à la « défense nationale » marque l’effondrement de la synthèse tentée par Jaurès entre combat socialiste, conquêtes démocratiques et ouvrières au sein de la République et solidarité internationaliste contre la guerre. Si la thèse rejoint celle de Lénine sur la « faillite de la IIe Internationale », elle vise moins à fustiger le fléchissement des dirigeants qu’à comprendre les graves différenciations née à l’épreuve du conflit mondial(1).

Exploitant à cette fin nombre de témoignages et correspondances inédits issus notamment des archives de l’OURS ou cette précieuse enquête faite, en 1916, par Louis de Brouckère dans les rangs socialistes français, Ducoulombier y insiste : avant même que la victoire du bolchevisme russe paraisse y apporter réponse, le refus d’une guerre qui s’éternise conduit des couches entières de militants à chercher une « régénération révolutionnaire des principes et des pratiques d’un idéal socialiste trahi ». Dans sa quête « ascétique et sacrificielle » d’un « parti de type nouveau », cette « génération de l’armistice » accepte, et parfois devance, des ruptures majeures avec la tradition organisationnelle socialiste : interdiction des tendances par le congrès de Tours, puis suppression de l’indépendance de la commission des conflits, création d’un bureau politique adoubé directement par l’Internationale, mise au pas du groupe parlementaire, essor d’un appareil soumis aux subsides de Moscou, pratique inquisitoriale de « l’autocritique » et des « exclusions administratives »...

Cette même jeune gauche n’hésite pas davantage à précipiter le départ de Frossard, le plus réticent à de telles innovations ; en 1925 cependant, avec Souvarine, Monatte, Rosmer, puis Loriot, ses principaux inspirateurs auront tous, sous couvert de « bolchevisation », été contraints au départ, tandis que la « Section française de l’Internationale communiste » a déjà subi une cruelle hémorragie de ses effectifs de départ. Le processus n’est pas sans parenté avec celui qui, à Moscou, commence, dès l’effacement de Lénine, à éliminer, au bénéfice du seul Staline, tous les dirigeants d’Octobre. En France, parmi les figures d’avant 14, bientôt ne restera que Cachin pour apporter sa caution à ce nouveau prototype de l’ouvrier d’appareil qu’incarne désormais Thorez.

Réinventer l’avant Tours ?
Évoquant pour finir « Tours, 90 ans plus tard », l’auteur reste discret sur l’enjeu actuel de cette rupture décisive, actualité qui pourrait pourtant faire l’objet de bien des débats. Car, contrairement à d’hâtives prédictions, 1989 n’a marqué la fin, ni de l’Histoire, ni d’un nécessaire combat politique. Un pays comme le nôtre peut subir aujourd’hui et une dégradation bouffonne de l’action publique, et une offensive concertée contre tous les acquis de la solidarité sociale. Alors que se profile de nouveau la menace du pire populisme, l’ordre en place tire cependant sa plus grande force de la perpétuation, à vide, de cette médiocre caricature du clivage de 1920 : le dialogue de sourds d’une gauche dite « de gouvernement » et d’un pôle réputé « anticapitaliste », dont chacun épuise l’essentiel de son énergie dans la rivalité de ses candidats au plébiscite présidentiel.

Le temps ne serait-il pas plutôt pour toutes les forces ne se résignant pas à la destruction des conquêtes d’un siècle et demi de combat ouvrier à oser rejouer à l’envers le drame de Tours ? Attendre d’elles, que, renouvelant l’immense pari d’un Jaurès, elles sachent enfin, inventer le mode de représentation et d’organisation (parti, mouvement, pacte…) qui, loyalement, garantisse entre elles toutes, et la pleine expression des opinions, et une unité indiscutée dans le combat, serait-ce encore rêver ?

Christian Phéline

(1) L’auteur a codirigé avec Vincent Chambarlhac, Les socialistes français et la Grande Guerre. Ministres, militants, combattants de la majorité (1914-1918), Éditions universitaires de Dijon, 2008, cf., L’OURS, 382.
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