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L'OFFICE UNIVERSITAIRE DE RECHERCHE SOCIALISTE
 
Dupont Cl./ Vuillaume Cahiers Rouges/L'OURS 410
Vuillaume, le témoin rouge
par CLAUDE DUPONT

à propos de Maxime Vuillaume, Mes cahiers rouges [souvenirs de la Commune], Édition intégrale inédite, texte présenté, établi et annoté par Maxime Jourdan, La Découverte 2011 720 p 27,50 €

article paru dans L’OURS n°410, juillet-août 2011, p. 8

Marcel Cerf, historien de la Commune, disait : « On ne peut tenter une
approche sérieuse de l’histoire de la Commune, dans son vécu quotidien, sans avoir lu et relu Mes cahiers rouges de Maxime Vuillaume » . Saluons donc comme il convient la première édition intégrale des dix cahiers rouges que l’on parcourt avec un intérêt passionné et avec beaucoup d’émotion.


Vuillaume fut, à 26 ans, un acteur important de la Commune et les Versaillais ne s’y sont pas trompés, en le condamnant à mort par contumace en novembre 1871. Ce brillant ingénieur, sorti de l’École des mines, relança Le Père Duchêne, créé par Hebert, et en fit, avec ses amis Vermersch et Humbert, le journal le plus populaire de la Commune. Réussissant à échapper par miracle à l’arrestation – le récit de sa fuite en Suisse entretient un suspense haletant – Vuillaume ne rentrera à Paris qu’en 1887, et c’est Charles Péguy qui assurera avec enthousiasme la publication de ces Cahiers rouges – le titre vient de lui – que deux éditeurs en vue avaient refusés.

Un témoignage impressionnant
Vuillaume a longtemps songé à écrire une « histoire de la Commune ». Il y a finalement renoncé, mais nous nous en consolerons. Les Cahiers sont en effet le plus impressionnant témoignage qui nous ait été laissé sur la période. L’écriture en est superbe, la phrase, nerveuse, va à l’essentiel, le trait est vif et la langue s’adapte merveilleusement à la scène évoquée. On peut dire que Vuillaume a écouté son ami Vermersch qui se plaignait que les historiens n’aient pas compris que « la vraie Révolution n’a pas été le fait de quelques personnages plus ou moins célèbres, mais bien la manifestation du peuple insurgé ». Et c’est ce peuple qui défile sous nos yeux, ces obscurs, ces sans-grades que l’auteur veut arracher à l’anonymat et à l’obscurité, ces hommes simples qui « préparèrent et réussirent l’un des plus audacieux coups de main que l’Histoire ait enregistrés » et qui, après la défaite, vécurent – du moins pour ceux qui survécurent – humbles et pauvres comme ils l’avaient toujours été. Certes, les plus connus, comme Delescluze, Lissagaray ou Rossel, traversent notre champ de vision, mais sur le même plan et à la même hauteur sont campés tous ces prolétaires, ces artisans, qui connurent la tragédie, tel le cordonnier Jacques Duval, fusillé « dans une cour à demi obscure où la pleine lumière n’arrivait jamais » ou le brave Paget, nommé directeur de l’Hôtel Dieu, qui avait trouvé un compromis avec les religieuses infirmières de l’établissement, vêtues en « sœurs de la Commune » en passant une ceinture rouge sur leur robe noire et qui acceptaient de dissimuler les crucifix sous des bouquets de lilas, ou le bon Besson, si heureux d’avoir obtenu le poste de concierge au ministère de la Justice, et de pouvoir répéter béatement « Et puis, c’est pour la vie, une place sûre… » Il devait y rester huit jours. Que d’affection et de tendresse dans ces esquisses de portraits si complaisamment croqués.
Inutile, bien sûr de chercher à dégager, dans la Commune, un contenu idéologique, un axe de projet social. Elle s’inscrivit dans « la grande tradition du patriotisme révolutionnaire ». Elle fut une réaction contre l’humiliation de la défaite nationale. Mais elle offrit aussi un écho aux Saturnales romaines, puisque les pauvres furent quelques semaines « chez eux » y compris sous les lambris et les ors des palais majestueux. Épisode étonnant : Vuillaume peint une fête populaire éclatant en trépignements, acclamations, danses et chants populaires dans la prestigieuse salle des Maréchaux du palais des Tuileries, et il termine le chapitre en évoquant en contre point les incendies de cette sinistre nuit du 24 mai – date de l’entrée des Versaillais – quand, du balcon d’un cinquième étage, un témoin regarde la coupole de la salle des Maréchaux s’abîmer dans les flammes.
Nous sommes prévenus : l’auteur ne veut pas faire « œuvre de parti », mais « œuvre de vérité ». Il n’hésite pas à confronter tous les témoignages, à détruire les légendes, à rétablir les faits – tous les faits, même ces exécutions d’otages par les Communards, exécutions que Vuillaume condamne avec force, celle par exemple des 50 otages de la rue Haxo, ou celle de Monseigneur Darboy, archevêque de Paris, qui était pourtant intervenu auprès de Thiers pour faire libérer Blanqui. Aucune excuse pour ces exactions. Cependant, il refuse de renvoyer dos à dos les deux camps. Certes, il revoit avec horreur le tas des otages fusillés, les uniformes et les soutanes. Mais « il me semble aussi que d’autres morts se levaient – les nôtres – ceux des infâmes Cours martiales, qui marchaient en longues files, venant par centaines, par milliers, se coucher au pied du mur, emplir le jardin, former une terrifiante montagne dont j’avais peine à voir le faîte et sous laquelle disparaissaient les cinquante victimes du 26 mai 1871 ».

Un des aspects les plus poignants des Cahiers, c’est l’évocation, très précise elle aussi de la condition des exilés, de ceux qui eurent certes la chance d’échapper à la mort ou au bagne, mais qui, en Suisse, en Angleterre ou en Belgique, traînèrent des années grises. « La misère aidant, l’exil, les premiers enthousiasmes éteints, devient un enfer. » On voit se former les clans, s’aigrir les rancoeurs, fleurir les soupçons, se lever des haines. C’est qu’on étouffe vite « faute d’air de France ». Et il faut pouvoir vivre en pays étranger, au prix de compromis parfois lourds, comme en témoigne le cas de Gustave Puissant, talentueux journaliste de La Rue de Jules Vallès, et qui termine indic de police. Heureusement Vuillaume sait aussi traduire l’émotion de certaines retrouvailles, la chaleur des rencontres d’amis et, par-dessus tout, la fierté de ces déshérités à qui nul ne pourra, jamais, arracher l’honneur « d’en avoir été », d’avoir, en ce beau printemps 1871, fait trembler les nantis, d’avoir porté haut et ferme le drapeau rouge et la dignité du peuple.

Claude Dupont
 

 
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