ACTUALITE
L'OURS
PUBLICATIONS
DEBATS DE L'OURS
LIVRES DIFFUSÉS
SEMINAIRE OURS
ARCHIVES BIBLIOTHEQUE
TEXTES, IMAGES, DOCUMENTS
L'OURS Signale (colloque,
LIENS UTILES
NOUS ECRIRE
 
Nous joindre
L'OURS 12 Cité Malesherbes 75009 Paris
Tél. 01 45 55 08 60
Pour être informé de nos activités (réunions, parutions, séminaires…), laissez nous un message électronique :
e-mail : info@lours.org
 
L'OFFICE UNIVERSITAIRE DE RECHERCHE SOCIALISTE
 
Christian Pineau
CHRISTIAN PINEAU
1904-1995


Né le 14 octobre 1904 à Chaumont-en-Bassigny dans le département de la Haute-Marne, Christian Pineau est décédé à Paris le 5 avril 1995.

Fils d'un officier, licencié en droit et diplômé de l'École libre des sciences politiques, il n'a pas eu, avant la seconde guerre mondiale, d'activité politique. Cadre bancaire -à la Banque de France puis à la Banque de Paris et des Pays-Bas-, il consacre l'essentiel de ses activités militantes au syndicalisme, au point d'avoir été licencié en 1936, selon un article paru dans Le Monde du 25 novembre 1947. Mais nous n'avons trouvé dans nos dossiers aucune référence à ce licenciement.
Il devient en tout cas permanent syndical, en tant que secrétaire de la section fédérale de banque et bourse CGT (1), et reste à ce poste entre 1936 et 1939. Il est aussi, entre 1938 et 1939, secrétaire du conseil économique de la CGT. C'est en 1937 qu'il fonde la Revue Banque et Bourse, d'inspiration syndicale, qui vivra jusqu'à la Deuxième Guerre Mondiale, et reparaîtra ensuite (2). A la même époque, il collabore aux publications de la CGT : Messidor et Le Peuple.
En juillet 1939, il devient chef de cabinet de son beau-père, l'écrivain Jean Giraudoux, commissaire général à l'information dans le gouvernement d'Édouard Daladier. Haut fonctionnaire au ministère du Ravitaillement jusqu'en septembre 1942, il s'engage très vite dans la Résistance. Comme il l'a déclaré à Olivier Wieviorka dans un livre paru en 1994, cet engagement anti-allemand ne lui a posé aucun problème : "C'était une réaction de rejet personnel : je n'acceptais pas leur présence."(3) Dans ce même numéro de notre Bulletin, Charles Pot évoque ses activités de premier plan, qui l'amènent à être déporté à Buchenwald, dont il revient en mai 1945.
En 1945, il rejoint la SFIO (4) et le Congrès extraordinaire de la fédération socialiste de la Sarthe du 11 septembre adopte l'ordre du jour suivant : "La fédération socialiste de la Sarthe est heureuse de recevoir dans son sein le courageux militant syndicaliste, le résistant, le déporté Christian Pineau (...) Le passé et l'action actuelle du camarade Christian Pineau nous donnent l'assurance qu'il sera dans l'avenir un militant de premier ordre, contribuant ainsi à assurer dans le département le triomphe des idées socialistes." Élu député de la Sarthe la même année -réélu sans discontinuer jusqu'en 1958-, il occupe divers postes ministériels à partir de 1945 : au Ravitaillement, aux Travaux publics et Transports, etc. Il est désigné comme président du Conseil en février 1955, après la chute de Pierre Mendès France, mais l'investiture de l'Assemblée lui est refusée par 312 voix contre 268. C'est quelques semaines après cette tentative qu'il crée le Comité d'Études pour la République, regroupant des hommes politiques appartenant à divers partis (dont le MRP) ou à des syndicats non communistes (5).
Battu aux élections législatives de 1958, il se retire alors de toute vie politique active au plan national, sauf au sein du Parti socialiste, où il est un homme écouté. Il conserve de nombreux liens avec son département de la Sarthe. Des liens politiques, certes, au travers de quelques mandats locaux, mais, surtout, il consacre de nombreux efforts à faire vivre et développer un réseau d'hospitalisation à domicile pour les personnes âgées.

Ministre de la République
Christian Pineau a appartenu à neuf gouvernements différents. Mais il a surtout laissé un nom dans l'histoire pour avoir été le ministre des Affaires Étrangères du gouvernement présidé par Guy Mollet, entre février 1956 et mai 1957, après la victoire relative du Front Républicain. Il conservera ce poste ministériel dans les deux gouvernements suivants, présidés par Maurice Bourgès-Maunoury et Félix Gaillard, entre juin 1957 et avril 1958.
Au sein du gouvernement Guy Mollet, il a joué un rôle de premier plan : esquisse d'un rapprochement avec l'Est (voyage officiel en URSS en mai 1956 avec le président du Conseil) et avec le tiers-monde, sans oublier l'affaire de Suez. Surtout, il a été l'un des artisans français de la signature des Traités de Rome, événement déterminant dans la construction européenne. Il y fait montre d'un grand talent de négociation, et base sa réflexion et sa prise de décision sur un travail d'équipe, sachant s'entourer de collaborateurs de qualité, parmi lesquels Robert Marjolin, Émile Noël et Pierre Uri. Son sentiment à ce propos est très net : "On ne fait rien tout seul dans la vie : je suis pour les oeuvres collectives et contre la personnalisation." (6)
Depuis de longues années, il était un partisan convaincu de la nécessité de construire l'Europe, et avait pris quelques années auparavant position en faveur du traité de création de la CED, pensant que le réarmement allemand serait moins dangereux dans le cadre d'une armée européenne, même s'il était convaincu que ce traité était prématuré. Après l'échec de la CED, en août 1954, quil jugera désastreux (7), une nouvelle orientation avait été prise, celle de l'intégration économique, dont le départ a été pris à la conférence de Messine, en juin 1955. C'est le début d'un processus qui, après l'arrivée au pouvoir du Front Républicain, et sous son impulsion décisive, aboutira à la conférence de Val-Duchesse (Belgique) et à la signature des Traités de Rome (sur l'Euratom et la CEE) en mars 1957. Jusqu'à la fin de sa vie, Christian Pineau restera un européen convaincu.

De multiples cordes à son arc
C'est d'ailleurs à cette grande entreprise de l'après-deuxième guerre mondiale qu'il a consacré en 1991 son dernier livre, Le grand pari. L'aventure du traité de Rome, fruit d'une collaboration avec Christiane Rimbaud, oeuvre inhabituelle quant à sa forme, mélangeant avec bonheur les souvenirs d'un acteur et le travail d'une historienne. Ce livre a mis un point final à une longue carrière d'écrivain aux publication variées, qui peuvent surprendre... mais l'homme Christian Pineau n'a jamais voulu se laisser enfermer dans une action unique, autour de la politique.
Alors, il a surpris en permanence, au niveau de l'écriture. Bien sûr, il a publié des livres "politiques" : son Khrouchtchev (Perrin, en 1964), quelques semaines après le renversement du chef de l'URSS, ou son 1956. Suez (Robert Laffont, 1976), livres de réflexions et de souvenirs. Pouvait s'apparenter à cette catégorie un autre livre, paru en 1960 chez Julliard, La simple vérité, regard sur la période 1940-1945, récit de sa guerre, de la Résistance au retour à la vie, après les mois de Buchenwald. Il s'est aussi essayé au roman, avec Mon cher député (Julliard, 1959), tout en publiant chez Hachette une dizaine de contes pour enfants : Plume et le saumon, L'ourse aux pattons verts, Histoire de la forêt de Bercé, La planète aux enfants perdus, etc. L'homme cultivait l'éclectisme avec le détachement et l'élégance naturelle qui étaient sa marque.

L'ami et le socialiste
Christian Pineau est resté jusqu'au bout fidèle au Centre Guy Mollet et à l'OURS. Il a toujours franchi avec plaisir, nous le sentions, la porte de nos locaux, pour venir chercher un document qui lui manquait ou pour une de nos réunions de travail.
Nos appels étaient toujours entendus. Ainsi, en 1985, pour le dixième anniversaire du décès de Guy Mollet, où il avait animé avec un ami Belge, Lucien Radoux, une table ronde sur "Guy Mollet et les problèmes internationaux" (8). Il nous donnait toujours l'autorisation de reproduire certains de ses textes, estimant qu'ils devaient profiter au plus grand nombre, et ne pas rester confinés dans des dossiers (9). En novembre 1991 encore, il est venu à l'OURS présenter avec Christiane Rimbaud son dernier livre (10).
Il faut aussi évoquer le socialiste, resté fidèle à ses choix de jeunesse, et plaçant l'Homme au centre de ses préoccupations. Comment mieux le faire qu'en lui donnant une dernière fois la parole. Le 12 décembre 1962, il a évoqué le socialisme devant les auditeurs des "Grandes conférences de Paris", et il a déclaré :
« Nous sommes certains que la disparition du capitalisme, tel qu'on le définissait encore au début du siècle, est inévitable. Nous le sommes moins de la nature du ou des régimes qui, par des moyens divers, se substitueront à lui. Il n'existe pas en effet qu'un seul moyen -et sur ce point nous dépassons Karl Marx- de réaliser ce qu'on appelle ‘l'exploitation de l'homme par l'homme’.
Si nous n'y prenons pas garde, le cours de l'Histoire peut nous amener, par étapes successives, à ce "meilleur des mondes" qu'Aldous Huxley décrivit avec humour et, sans doute, avec désespoir.
On le dira "socialiste" parce qu'il aura peut-être résolu les problèmes de la misère et de la faim. Mais il tiendra l'homme dans la plus étroite des sujétions intellectuelles ; même si, faute de pouvoir supprimer toutes les aspirations de l'Homme vers le merveilleux, il laisse subsister des religions ou la poésie, il sera "matérialiste" dans le pire sens du terme.
Or, si nous voulons libérer le corps de l'Homme, c'est plus encore à son Esprit que nous pensons, cet Esprit qui ne peut s'épanouir que dans la liberté de sa pensée et de ses actes. »
(11)
Ces propos illustrent bien la pensée de notre ami Christian Pineau, qui reste présent en nous.
Denis Lefebvre
(article paru dans le Bulletin du Centre Guy Mollet, n° 25, juin 1995)

NOTES
(1)Selon la terminologie retenue par Christian Pineau lui-même, dans une biographie rédigée après guerre (Archives OURS, dossiers biographiques). Pour Justinien Raymond, Christian Pineau a été secrétaire adjoint de la Fédération confédérée des employés de banque (in Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier français, t. 38, Éditions Ouvrières, 1990, pp. 381-382). Qu'il nous soit permis de signaler ici que cette biographie parue dans ce dictionnaire nous semble trop peu développée, au regard de la personnalité de Christian Pineau. Si sa vie jusqu'en 1945 et même jusqu'en 1957 est correctement traitée, la période postérieure est totalement évacuée ! Christian Pineau est sans doute victime de ces analyses un peu faciles qui limitent les hommes politiques de la IVe République à leurs activités entre 1944 et 1958... N'ont-ils donc rien fait ensuite ? Espérons que d'autres éditions de ce dictionnaire, considérable à bien des égards, permettront de réparer cette injustice.
(2) Au Comité directeur de la SFIO du 2 avril 1952, Christian Pineau évoquera cette revue, en signalant : "(elle) est la seule revue économique du Parti, et s'il l'utilisait, cela nous ferait plaisir."
(3) Olivier Wieviorka, Nous entrerons dans la carrière. De la résistance à l'exercice du pouvoir, Seuil, 1994, p. 251.
(4) Le 11 septembre 1945, le Congrès extraordinaire de la fédération socialiste de la Sarthe adopte l'ordre du jour suivant : "La fédération socialiste de la Sarthe est heureuse de recevoir dans son sein le courageux militant syndicaliste, le résistant, le déporté Christian Pineau (...) Le passé et l'action actuelle du camarade Christian Pineau nous donnent l'assurance qu'il sera dans l'avenir un militant de premier ordre, contribuant ainsi à assurer dans le département le triomphe des idées socialistes." (Archives OURS).
(5) La Revue Banque et Bourse servira à plusieurs reprises de relais pour diffuser les travaux de ce Comité. Ainsi, dans les n°163 (mai 1959), "Rapport sur la politique économique et financière", n°177 (octobre 1960), "Au tournant de la politique atomique militaire Française", ou n° 241 (mai 1968), "L'Europe et le socialisme".
(6) Olivier Wieviorka, livre cité, p. 271.
(7) Il en soulignera les conséquences internationales catastrophiques, alors que le monde était encore en pleine guerre froide. Dans son dernier ouvrage, il reviendra sur cette décision de rejet prise par la représentation nationale Française, considérée comme une injure à l'égard des États-Unis et une reculade devant la pression soviétique : "Pour les Américains, les Français avaient, en quelque sorte, rompu la solidarité atlantique." D'où, selon lui, l'attitude du gouvernement Américain lors de l'affaire de Suez et dans le déroulement général de la guerre d'Algérie (Cf. Christian Pineau et Christiane Rimbaud, Le grand pari. L'aventure du Traité de Rome, Fayard, 1991.
(8) Cf. le Bulletin de la Fondation Guy Mollet n°11, mai 1986, pp. 6 à 10.
(9) Cf. le Bulletin de la Fondation Guy Mollet n°13, décembre 1987, pp. 6 à 9, dans lequel nous avions reproduit le texte d'un exposé qu'il avait fait à Rome le 26 mars de la même année, à l'occasion du XXXe anniversaire du Traité de Rome sur le thème : "La stratégie du gouvernement Guy Mollet par la négociation et la conclusion des Traités de Rome".
(10) Un compte rendu de cette réunion a été publié dans le n°19, mai 1992, de notre Bulletin, pp. 29 à 39.
(11) Conférence reproduite dans le n° 261 (décembre 1962) de la Revue Banque et Bourse.
 

 
© L'OURS - 12 cité Malesherbes 75009 Paris