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L'OFFICE UNIVERSITAIRE DE RECHERCHE SOCIALISTE
 
Boulouque, la dynamique du Front national
La dynamique du Front national
par Sylvain Boulouque

à propos de :
Patrick Cohen et Jean-Marc Salmon, 21 avril 2002, la contre enquête, Denoël, 2003, 358 p 19 e
Erwan Lecœur, Un néo-populisme à la française, Trente ans de Front national, La Découverte, 2003, 284 p, 19 e
Christian Duplan, Mon village à l’heure de Le Pen, Seuil, 2003, 262 p, 19 e
Daniel Bizeul, Avec ceux du FN, Un sociologue au Front national, La Découverte, 2003, 300 p, 27 e


Si pour analyser le 21 avril, il est en effet nécessaire de s’interroger sur les crises que traverse la société française, ou plus exactement la vieille Europe, il faut aussi se pencher sur le Front national, puisqu’il demeure la base du problème, afin de comprendre pourquoi ce choc s’est produit et est susceptible de se répéter. Quatre ouvrages proposent des analyses variées et fouillées du phénomène Front national.

Patrick Cohen et Jean-Marc Salmon déchiffrent la campagne présidentielle. Si l’essentiel des faits qui ont conduit au résultat du 21 avril 2002 est connu : insécurité, chômage, rôle des médias, etc., les deux auteurs pointent un phénomène qui semble central et est pourtant demeuré inaperçu : le patron du FN est passé lors de ces élections pour un homme politique acceptable. En effet, le chapitre intitulé " Premier avertissement ", consacré à la banalisation et à la sous-estimation du Front national, souligne que la majeure partie des acteurs et des observateurs est passée à côté du phénomène, Le Pen présentant un visage édulcoré. À partir de ce moment, la progression du Front a été d’une linéarité absolue. Le septième chapitre explique comment Le Pen est devenu light et comment, en dehors de quelques sirènes d’alarme, du reste peu entendues, personne n’y a prêté réellement attention, ce qui a été l’un des nœuds dramatiques du scrutin de 2002. C’est, en dehors de la " commémoration " d’avril dernier, ce qui semble à nouveau se répéter, comme si le Front national n’existait pas en dehors des périodes électorales.

Militer au Front national
L’ouvrage d’Erwan Lecœur permet de cadrer la progression du Front national et ses techniques de communication et d’action sur le terrain. Ce livre, fruit d’une thèse soutenue le 3 mai 2002, couronnant quelques années de travail, est stimulant par les faits mis en perspective. Si la première partie est une analyse de l’histoire du Front national, la seconde se propose de comprendre le Front et ses registres de propagande. S’ils se font l’écho d’un certain nombre d’inquiétudes sociétales, se superpose aussi la reprise de certains aspects de proximité négligés par d’autres communautés militantes et sociales. Dès lors, le FN joue sur du velours en articulant l’idéologie du ressentiment, la dénonciation de la mondialisation et la recherche du repli identitaire, réactivation du traditionnel eux/nous, permettant de resserrer les rangs, création d’une identité totale, que le FN réussit à constituer autour de ses différentes strates de militants et de sympathisants. Parmi les points structurants du Front national, il est nécessaire de retenir l’investissement dans le discours identitaire : face au désenchantement et à la crise du monde, le FN propose une parole qui recourt à l’investissement religieux – la menace d’une nouvelle guerre de religion – et appelle à l’unification du peuple, ce qui constitue son aspect populiste bien plus que fasciste. Cette thématique se retrouve dans les discours et les pratiques frontistes. Ainsi, Erwan Lecœur explique comment les militants du FN provoquent sciemment un incident avec les jeunes beurs pour utiliser cette menace de la guerre civile qui, dès lors, ne peut être évitée que par un appel au chef charismatique.
Enfin, le reportage de Christian Duplan sur son village et l’enquête de terrain du sociologue Daniel Bizeul sont passionnants (en attendant la publication, on l’espère rapide, de la thèse de Sylvain Crepon sur le Front National de la jeunesse). Ces deux documents permettent de plonger dans l’univers de ceux qui militent ou votent pour le FN. Christian Duplan vit dans le village d’Haramont, en Picardie. Dans cette zone de la France rurale profonde où la modernité semble s’être arrêtée dans les années 60, le FN atteint et parfois dépasse les 30 % : autrement dit, il est impossible de vivre sans croiser un frontiste. Sa description montre un village où règnent des peurs totalement irrationnelles, des individus souvent aigris, essentiellement des envieux qui votent Le Pen, non pas tant pour protester que par un choix délibéré, dont le fonctionnement répond localement à la logique du seul contre tous, qui existe dans les discours nationaux et régionaux des dirigeants de ce parti.

Un parti structuré en progression
C’est le même phénomène quelque peu décalé que l’on retrouve dans Un sociologue au front national. Pendant trois ans, Daniel Bizeul a construit une enquête, selon le modèle de la sociologie participative et de l’analyse ethnographique. Ayant obtenu l’autorisation de la direction du Front national, il a vécu auprès des militants du groupe l’Entraide nationale. Il se dégage de son étude une image un peu différente de l’univers frontiste. En effet, les militants observés vivent en ville, ce sont des militants formés qui utilisent d’autres référents – bien qu’ils répondent aux mêmes angoisses – avec des divisions ethniques des rapports humains sous-tendus par une vision reposant sur trois piliers majeurs : la figure répulsive des immigrés – avec la notion d’invasion –, puis celle des juifs qui permet enfin le passage à la thèse du complot. Cette vision permettant de se regrouper et de développer le sentiment de la citadelle assiégée, le modèle fonctionnant de la base au sommet et faisant tache d’huile.
Ces livres montrent avec une inquiétude que l’on ne peut que partager qu’il risque bien d’y avoir d’autres 21 avril. Le FN continue à prospérer sur ses terres de campagne traditionnelles et à conquérir d’autres sphères de la société. D’autant qu’il est en train de devenir un parti de masses, organisé autour d’un chef certes, mais surtout d’un réseau militant qui continue de se renforcer. Peut-être faut-il, dès lors, non seulement penser la modernité et la mondialisation mais aussi l’assumer, au risque, par moment, de déplaire.

Sylvain Boulouque
 

 
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