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L'OFFICE UNIVERSITAIRE DE RECHERCHE SOCIALISTE
 
Le Garrec / Femmes au combat L'OURS 412
DES FEMMES AU COMBAT
par Jean Le Garrec

A propos de
Claude Singer (dir.), Maria Deraismes. Féministe et libre-penseuse au XIXe siècle, Karthala, 2011, 208 p, 23 €

Évelyne Le Garrec, Séverine, vie et combats d’une frondeuse, préface d’Isabelle Rome, Postface de Bernard Noël, L’Archipel, 2009, 216 p. (voir aussi L’OURS 391).

Voltairine De Cleyre, D’espoir et de raison, Écrits d’une insoumise, Montréal, Lux, Instinct de liberté, 328 p. (voir aussi L’OURS 396).

Article paru dans L’OURS, n°412 (novembre 2011), p 8

Le prix Nobel de la paix 2011 vient d’être attribué conjointement à trois femmes (Ellen Johnson Sirleaf, présidente du Liberia, sa compatriote Leymah Gbowee, et à la Yéménite Tawakkul Karman). Ce signal fort donné en direction du combat des femmes pour l’émancipation dans les pays en développement, nous incite à rappeler les engagements de trois pionnières qui bousculèrent les hommes il y a plus d’un siècle, et firent avancer le combat pour la justice : Maria Deraismes, que les actes de ce colloque tenu en 2009 sous l’égide de la Fédération nationale de la Libre pensée remettent en lumière, Séverine et Voltairine de Cleyre, dont les combats ont également été récemment éclairés.


Ces trois grandes dames, écrivaines, journalistes, qui mènent alors des combats identiques, se croisent au XIXe siècle sans se connaître. Militantes, révolutionnaires dans la démarche, libres penseuses particulièrement pour Maria Deraismes, franc-maçonne et co-fondatrice du Droit humain (cf. l’article d’Andrée Prat), on trouve dans leurs articles, et conférences des thèmes identiques : la démocratie, avec l’égalité des droits politiques pour les femmes, protection du travail, droit à la formation, refus de la tutelle des hommes, droit à disposer de son corps et, particulièrement pour Séverine, l’abolition de la peine de mort.

Des milieux divers, un même combat
Maria Deraismes (1828-1894) est née dans une famille de la bourgeoisie aisée de Seine-et-Oise. Elle peut poursuivre des études brillantes. C’est une femme érudite, passionnée par l’art, une intellectuelle qui lit beaucoup et qui, année après année, sera en rupture avec les comportements de son milieu et de son époque. L’approche féministe se construit progressivement.

Les origines familiales de Séverine (1855-1929) sont très différentes. Son père est un tout petit fonctionnaire réactionnaire qui se réfugie à Versailles pendant la Commune. Elle racontera plus tard les feux de Paris qu’elle voit de loin. Mariée de force à 18 ans, elle menace de se jeter par la fenêtre après une nuit de noces affreuse, dira-t-elle. Rupture totale avec sa famille, rencontre avec Vallès, une autre vie commence.

Le parcours de Voltairine de Cleyre (1866-1912) est étonnant. Son père, Henri de Cleyre, est né à Lille. Dès la révolution de 1848 il se rapproche du socialisme et de la libre pensée. En 1854, il part avec son frère pour les États-Unis où il exerce le métier d’artisan tailleur itinérant. Durant la guerre civile, il combat avec l’armée nordiste, ce qui lui vaut la nationalité américaine. Marié avec Elisabeth Billing, ils auront trois filles. Henri espère un garçon à qui il aurait donné le prénom de Voltaire par admiration pour l’écrivain et philosophe. C’est une fille que l’on appelle Voltairine… Famille pauvre, « Voltai » comme on la nomme est très intelligente. Elle apprend à lire toute seule, compose des poèmes à 6 ans. Henri fait le maximum pour qu’elle poursuive ses études. Elle gagne sa vie en donnant des leçons de piano, de français et de calligraphie. Elle écrit dans des publications qui font la promotion du sécuralisme et de la libre pensée, rencontre le socialisme et s’engage encore plus fermement après l’énorme manifestation de Chicago du 1er mai 1886, la fusillade du 3 mai contre les grévistes et la bombe lancée contre les policiers. On ignore toujours qui a lancé cette bombe. Huit anarchiste sont accusés. Après un procès inique, cinq des accusés seront exécutés par pendaison le 11 novembre 1887. À partir de cette date, l’anarcho-féminisme de Voltairine s’affirme. Elle écrit : « Oui maître ! la terre est une prison, le lit conjugal est une cellule, les femmes sont prisonnières et vous êtes les gardiens ».

Contre la peine de mort
Séverine et Voltairine ne se connaissent pas. Le plus extraordinaire, étonnant, bouleversant, est qu’elles vont réagir avec la même violence à la mort de l’anarchiste Auguste Vaillant, guillotiné en février 1894.

Le 9 décembre 1893, Vaillant lance une bombe sur les députés en séance dans l’hémicycle du Palais-Bourbon. La bombe n’est pas conçue pour faire des victimes, et elle ne fait que quelques blessés légers. Après un procès rapidement expédié, et le rejet des demandes de grâce, dont celle de Séverine, adressées au président du Conseil Sadi Carnot, Vaillant est exécuté le 7 février 1894. Dans un long article, Séverine raconte la vie de Vaillant, sa misère, l’abandon familial, les condamnations multiples, par exemple pour « filouterie d’aliments » (mourant d’inanition, il était entré dans un cabaret et avait consommé 16 sous de pain, de bouilli et de fromage… sans payer). En tête de cet article, elle cite quatre vers de Montégut. « Mais moi je n’ai tué personne/, je n’ai pas de sang sur les mains !/ Ainsi songe, parle, raisonne,/ le condamné sans lendemain. »

Voltairine de Cleyre écrit un long poème en août 1894, sous le titre « Le festin des vautours » qui se termine par ces cinq vers :

« Que tu en sentes le fil aiguisé pour nous,
Trancheur des cous, dégaine-le par toi-même
Lâche ! Va, Prophète, va !
Entends bien haut
Tonner le cri de la prison. »

Pourquoi « Tonner le cri de la prison » ? En traversant la cour de la prison pour aller vers la guillotine, un grand cri venant des cellules s’était élevé : « Vive l’anarchie ».

Femmes d’écriture
Journalistes, Séverine et Maria Deraismes ont beaucoup de points communs : grand talent d’écriture, liberté de ton, affirmation de convictions très fortes pour combattre les inégalités que vivent les femmes, vision très aiguë sur ce que doit être une République moderne, laïque, sociale, porteuse de nouvelles valeurs, provocantes si nécessaire. Le remarquable article de Séverine sur la fusillade de Fourmies lors de la manifestation pacifique du 1er mai 1891 a pour titre « Choix de mortes », et attaque un journal très important, Le Temps. Maria Deraismes (dont Jean-François Dupaquier étudie le parcours de journaliste) dans un article contre Gambetta qu’elle déteste, provoque l’indignation d’une partie des républicains. Dans les pires moments, ces femmes restent debout, face au vent mauvais qui souffle. J’ai énormément d’admiration pour ces grandes dames qui vont connaître beaucoup de difficultés dans l’exercice de leur métier.

En 1879, un avocat Charles Auguste Vermond lance un journal bi-hebdomadaire Le Républicain de Seine-et-Oise avec pour objectif de rassembler les républicains et de se faire connaître. Maria Deraismes est la meilleure collaboratrice de cette feuille. Pour Vermond, objectif atteint : il est élu député le 21 août 1881. La situation financière du journal vire à la catastrophe. Vermond est criblé de dettes : ou il dépose le bilan, mais cela est infamant particulièrement pour un nouvel élu, ou il vend. Mais à qui ? La pression est faite sur sa meilleure journaliste. Avec l’aide de sa famille, elle reprend Le Républicain dont elle devient la directrice politique. Maria n’a certainement pas mesuré la charge de travail et les déconvenues qui en résulteraient. Usée par les difficultés, les trahisons de quelques hommes, elle quitte le journal en 1885, quelques mois avant les législatives. Séverine aussi va rencontrer de grandes difficultés. Elle admire Vallès. Lorsqu’il rentre en France, il lance Le Cri du peuple avec un financement apporté par un ami de Séverine. Usé par ses dernières années d’errance et la rudesse du combat militant, Vallès meurt en 1885. Séverine devient alors la directrice du Cri mais faute de moyens, à quoi s’ajoutent les divergences entre les socialistes, le journal disparaît en 1888. Séverine ne renonce pas. Quelques années plus tard, avec Marguerite Durand (qui donnera son nom à la bibliothèque d’archives féministes) qui a quelques moyens financiers, c’est la création en 1897 d’un journal pour les femmes, écrit et fabriqué par des femmes, le seul homme est celui qui fait le ménage. Son titre : La Fronde. Elle s’amuse du cri des camelots lors de la première édition le 27 décembre : « Demandez La Fronde, l’organe des femmes ! Un sou seulement le numéro ! c’est pas cher, c’est pour rien. » Le journal dure quelques années mais, pour les mêmes raisons, l’absence de moyens financiers, il disparaît en 1903. Il faudra presqu’un siècle pour que l’aventure d’un journal fait par des femmes, pour des femmes, soit reprise, ce sera Histoires d’elles en 1977.

Bousculer la société
Avec sa ténacité, son courage, Maria Deraismes a en 1882 franchi une étape nouvelle. Elle est initiée franc-maçonne au sein d’une loge masculine. Événement considérable. Les femmes ne peuvent être admises en maçonnerie. Les règles sociales et politique à cette époque dont d’elles des mineures soumises au père et à l’époux. Cette initiation qui est une remise en cause, tant des lois maçonniques que du code civil, fait beaucoup de bruit, avec une grande hostilité dans le mouvement. Il a fallu le courage de Léon Richer de George Martin, d’André Houbron pour aller jusqu’au terme de la démarche. Maria Deraismes ne s’arrête pas en chemin. Le 4 avril 1893, avec l’appui du docteur Martin, elle crée la première obédience mixte, le Droit humain. Un verrou vient de sauter.

Nous devons admirer le courage, la ténacité, l’intelligence de ces femmes, pour que la « Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne (1792) », grand texte d’Olympe de Gouges, entre dans les faits.

Ce n’est qu’en 1975 qu’une autre femme remarquable, Simone Veil, fera adopter la loi sur l’IVG au terme d’un débat très dur. Le résultat est net (277 pour, 192 contre), toute la gauche, le centre, une partie de la droite ont voté pour, mais l’opposition de droite demeure très forte. Ministre des Doits de la femme, Yvette Roudy poursuivra le travail législatif. Pas à pas, l’action se poursuit, des verrous sautent, les groupes féministes mènent le combat, manifestent, écrivent, s’expriment parfois avec férocité mais toujours avec beaucoup d’humour. Contenu du travail des femmes, parité dans l’exercice des responsabilités sont des sujets d’actualité.

Des femmes courageuses, avec une volonté de fer, comme Maria Deraismes, Voltairine de Cleyre, Séverine ont bousculé les comportements, les principes venant de très loin. Des portes sont ouvertes, mais rien n’est jamais terminé.

Jean Le Garrec
 

 
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