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L'OFFICE UNIVERSITAIRE DE RECHERCHE SOCIALISTE
 
Fregosi/Chapuis L'OURS 415
La démocratie sous tensions

par Robert Chapuis

A propos de Renée Fregosi, Parcours transnationaux de la démocratie. Transition, consolidation, déstabilisation, Bruxelle, PIE, Peter Lang, 2011, 195 p, 29 €

Article paru dans L’OURS n°415, février 2012, page 3

Les printemps arabes ont remis en marche le mouvement vers la démocratie dans des pays soumis à des régimes autoritaires, à des dictatures qui ne disaient pas forcément leur nom. Mais les premiers résultats des élections ont semé l’inquiétude : ces pays sont-ils mûrs pour la démocratie ?

Le livre de Renée Fregosi vient au bon moment pour fournir, non pas une réponse, mais une information et une réflexion qui remettent la démocratie en perspective : la transition démocratique n’est pas donnée d’avance, elle s’invente avec les matériaux que leur fournit la société. L’auteur s’appuie pour l’essentiel dans ses démonstrations sur les exemples fournis par l’Amérique latine et l’Europe de l’Est autour des années 80-90. Elle constate des interactions, facilitées par la mondialisation, entre des crises qui se nourrissent les unes des autres : la crise du modèle soviétique qui laisse place à une hégémonie capitaliste (qui ne se réduit pas aux rivages de l’Atlantique), la crise de l’État-providence qui invalide le modèle social-démocrate traditionnel, la crise du système latino-américain où se joue l’invention de nouvelles formes de démocratie (tout autant que de son contraire). Utilisant avec profit la méthode comparatiste, Renée Fregosi ne fournit pas d’explication toute faite, mais elle apporte les données historiques qui permettent de construire une réflexion politique.

Transition
Dans un premier temps, elle analyse l’installation progressive de la démocratie représentative après une rupture (plus ou moins violente) avec le système autoritaire, avec une dictature (qui pouvait même se prétendre une « démocratie populaire »). Les exemples latino-américains et européens (de la Grèce à la RDA, en passant par l’Espagne ou la Pologne) sont clairs et précis. L’enjeu démocratique se joue autour du multipartisme et des élections qui doivent assurer la légitimité d’un nouveau pouvoir. D’où l’attention portée, sur le plan national et international, à la sincérité et à la qualité du processus électoral. L’ONU ou l’OSCE délèguent des commissions de contrôle ; encore faut-il que des conditions minimales soient réunies (listes électorales, secret du vote, liberté de mouvement…). C’est pourquoi un contrôle indépendant, issu de la société civile, est important : il participe lui-même du processus démocratique dans le pays, comme le montre l’exemple de SAKA en Amérique latine.
Avant d’examiner « ce que consolider (la démocratie) veut dire », Renée Fregosi consacre un chapitre à cerner « les ambivalences et paradoxes croisés » entre dictature et démocratie. Là encore, l’exemple des coups d’État militaires en Amérique latine montre qu’ils ne naissent pas d’un simple prurit de l’armée ; ils mettent fin à une démocratie qui n’avait pas su résoudre ses propres contradictions ou ses insuffisances sociales ou politiques. Au Chili, au Brésil comme ailleurs, la dictature cherche un cadre institutionnel et une légitimité fondée sur le peuple, créant à son tour de nouvelles contradictions (comme Pinochet empêtré dans le référendum qui devait l’installer comme président à vie). Il faut donc éviter tout simplisme : « De même que les dictatures peuvent tomber pacifiquement comme l’ont montré les transitions des années 1980-90, les démocraties peuvent sombrer dans l’autoritarisme sans qu’elles ne soient brisées brutalement par des coups d’État militaires ».

Consolidation
La consolidation de la démocratie peut suivre la transition, elle peut aussi concerner des sociétés déjà démocratisées, par exemple la fin de l’apartheid en Afrique du Sud ou l’extension du droit des femmes. Reste la question de la démocratie sociale, qui est liée, comme on le voit en Argentine, à l’affirmation de la société civile plutôt qu’à des mécanismes institutionnels. Ce qui importe, c’est la dynamique : « la démocratie est à la fois une pratique et une “vertu” qui gagne ou perd en efficacité selon l’intensité et la manière dont on l’exerce ».
À cet égard, l’Europe joue un rôle essentiel : « Laboratoire de la gouvernance, l’Europe est un terrain d’analyse privilégié pour suivre la complexité des mises en œuvre d’un référentiel global ». Il est vrai que la façon dont l’Europe saura ou non faire face aux crises qui traversent le monde, sur le plan financier, économique, écologique, social, etc. sera un test sérieux pour l’avenir de la démocratie.

L’un des principaux critères du régime démocratique, c’est sa capacité à défendre les droits de l’homme. La transition démocratique se jugera donc sur la mise en jugement des responsables des crimes commis sous la dictature. L’Argentine, le Chili, l’Uruguay entre autres, donnent des exemples différents de « la justice transactionnelle », placée entre la pression des victimes et le souci de sauvegarder la démocratie naissante. Les commissions « vérité et réconciliation » peuvent être efficaces, comme en Afrique du Sud. Elles peuvent vite devenir suspectes si les tensions subsistent. L’Europe de l’Est a fourni des exemples de compromis négociés (Pologne, Tchécoslovaquie), mais aussi des exemples de justice expéditive (Roumanie, RDA). Comment éviter l’esprit de vengeance ou de revanche ? L’exemple espagnol montre que c’est possible.

Déstabilisation
Le risque principal pour la démocratie, ce qui peut la déstabiliser, c’est le populisme. Renée Fregosi lui consacre un chapitre particulièrement percutant. Là encore l’Amérique latine, avec le péronisme notamment, fournit nombre d’exemples, y compris celui de Chavez dont les discours « relèvent bien davantage de la refondation nationale que de la lutte des classes ». Ainsi la méthode comparative permet de révéler « la complexité du réel ». Elle montre que « dictature et démocratie entretiennent des liens complexes, ambivalents, paradoxaux au cœur desquels se joue l’essence du politique ». Telle est bien la leçon de cet ouvrage : la démocratie est toujours en tension avec son contraire. Il revient à l’action politique, donc à la gauche, de maintenir la dynamique qui entraîne la société, aussi bien sur le plan social que sur celui des droits de l’homme, pour éviter que l’alternative autoritaire ne finisse par s’imposer. Voilà, n’est-ce pas, qui est fort actuel.
Robert Chapuis
 

 
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