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L'OFFICE UNIVERSITAIRE DE RECHERCHE SOCIALISTE
 
Gilles Morin / archives
AUX ARCHIVES, CITOYENS !
par Gilles Morin

a/s de Sébastien Laurent (dir.)
Archives secrètes, secrets d’archives ?
Historiens et archivistes face aux archives sensibles

CNRS Éditions 2003 288 p 25 €

L’objet de ce livre ne concerne pas seulement les historiens et archivistes cités dans le sous-titre, il traite d’un problème grave touchant à la démocratie et aux droits des citoyens.

La question traitée a déjà suscité des remous médiatiques, il y a quelques années, sous la forme d’un pamphlet de Sonia Combes sur Les Archives interdites1. Rien de comparable sur la forme ici, cet ouvrage étant issu d’une rencontre organisée au Centre d’histoire de l’Europe du XXe siècle entre spécialistes de deux professions qui confrontent leurs points de vue et leurs pratiques des " archives sensibles ". La difficulté à nommer l’objet du livre est déjà un bon indice. Archives " secrètes ", archives " sensibles ", il s’agit tout d’abord de délimiter les lieux où se posent les problèmes, et de comprendre comment ils se posent. S’il apparaît rapidement que certains secrets n’en sont plus guère et que la " sensibilité " relève parfois du fantasme ou des questions liées à l’ouverture d’institutions privées (les archives de la maçonnerie et du PCF, par exemple), c’est surtout les archives publiques qui sont au cœur des polémiques.

Au-delà des fantasmes
Des professionnels des archives présentent leur travail. Les responsables des Archives de France (Martine de Boisdeffre) et des Archives de la Défense (Nathalie Genet-Rouffiac et Hervé Lemoine) évoquent les structures très complexes de leurs institutions avec des centres dispersés ; d’autres archivistes traitent de l’organisation de la collecte par des missions (Christine Petillat), de la façon dont sont gérés des fonds spécifiques comme ceux de l’Occupation (Caroline Piketty) ou de la guerre d’Algérie (Thierry Sarmant), des archives audiovisuelles (Agnès Callu). D’autres archives " sensibles " sont évoquées, les archives scientifiques de la Cité des sciences (Thérèse Charmasson), celles du Parti communiste (Pascal Carreau), ou encore de la franc-maçonnerie (Pierre Mollier). Ici, on s’étonnera que la fantastique documentation de la préfecture de Police – État dans l’État qui répugne aux inventaires – ne soit pas présente. Notons aussi que le trop méconnu fonds des archives confisquées par les nazis, revenu de Moscou par trains entiers de 1994 à 2001, n’est évoqué que par des historiens (Sophie Cœuré et Frédéric Monnier), signe révélateur, nous semble-t-il, d’une déshérence coupable des autorités. Elles ont peu fait pour le valoriser et, de plus, aujourd’hui ce fonds est pratiquement fermé pour " désamiantage ". Les deux auteurs soulignent avec justesse la part d’ombre qui entoure encore ces papiers, notamment pour les fonds privés. Des historiens confrontent leurs pratiques à ces fonds spécifiques en évoquant la difficulté de créer des corpus cohérents avec leurs questionnements ou d’utiliser les archives pour traiter de sujets comme la censure politique (Olivier Forcade), les services de renseignements (Sébastien Laurent), la torture dans la guerre d’Algérie (Raphaëlle Branche). Les problèmes rencontrés dans l’exploitation des nouvelles archives soviétiques, dont celles du Kominform, sont abordés par Sabine Dullin et Serge Wolikow. Ces éclairages croisés sont précieux et justifient à eux seuls la publication. Signalons également que l’ouvrage publie dans 50 pages d’annexes des " documents juridiques relatifs aux archives publiques ", touchant à l’accès et aux dérogations pour certains fonds (Seconde Guerre mondiale, guerre d’Algérie), et à la gestion des archives publiques.
Mais l’introduction de Sébastien Laurent et surtout un article de Vincent Duclert élèvent considérablement le débat et posent la question de la pratique démocratique. Car la rencontre entre archivistes et historiens éclaire bien des malentendus, liés à des intérêts divergents, plus ou moins corporatistes, et à des visions diverses de l’intérêt général.

Malaise dans les archives
Pour Vincent Duclert, la catégorie des archives " sensibles ", créée de fait par la loi de 1979, révèle une défaillance grave de l’État, des gouvernements et du Parlement. Ils ne prennent pas en compte l’aspect politique des archives et leur place dans la modernisation de l’État. Si Lionel Jospin, quand il était Premier ministre, a fait montre d’un volontarisme qui tranche avec celui de ses prédécesseurs en ouvrant largement les archives de la Seconde Guerre mondiale et en faisant s’entrouvrir celles de la guerre d’Algérie, les problèmes de fond restent posés. On a simplement soulagé les symptômes les plus évidents. La communication de Martine de Boisdeffre déjà citée semble écrite pour illustrer les dysfonctionnements que pointe Vincent Duclert. La représentante des Archives nationales tend à minimiser les problèmes, voire à les nier, ramenant la crise actuelle à des considérations techniques, au " secret de fabrication " des praticiens, aux questions du respect de la vie privée et à la pratique générale des dérogations dont elle assure qu’elles sont de plus en plus générales.
Or, aujourd’hui l’institution n’est plus capable ni de collecter correctement dans les ministères et les administrations publiques faute de place et de personnels, ni de communiquer les documents dans des conditions acceptables, ni même d’informer sur ses dysfonctionnements répétés ; les usagers, chercheurs et citoyens voulant établir leurs droits, peuvent en témoigner jusqu’à la nausée. L’arbre des archives sensibles cache la forêt des archives ordinaires en voie de déshérence et une véritable balkanisation des archives publiques. Le patrimoine national et la mémoire de ce pays sont réellement menacés.

L’heure des choix
Des rapports internes (Philippe Bélaval) ou d’experts (Guy Braibant) ont alerté les autorités sur l’état de délabrement de l’institution, des engagements ont été annoncés et jamais tenus, notamment pour une nouvelle loi qui réglerait partiellement la question des archives sensibles. On attend un nouvel engagement public sur une Cité des archives qui ne réglera que la question – dramatique actuellement – de la place. Mais, Vincent Duclert le dit bien, c’est l’ensemble du dispositif des archives publiques qui doit être revu, en imposant une normalisation des versements, des cadres de classement qui ne doivent plus être décidés par les seuls professionnels, une communication sur le fonctionnement et les choix.
L’enjeu est de reconnaître aux archives une place réelle dans la construction de l’État, de la République et de la démocratie, d’assurer la transparence, les droits des citoyens et de permettre la poursuite de la recherche.

Gilles Morin

(1) Archives interdites, l’ouvrage de Sonia Combe, historienne et conservatrice à la Bibliothèque de documentation internationale (BDIC) a été réédité à La Découverte en 1991. Pour approfondir le débat qu’il a suscité, cf. Denis Lefebvre, " Faut-il avoir peur des archives ? ", L’OURS n° 255, décembre 1994 et le dossier " Les archives, une question politique ", L’OURS n° 313, décembre 2001.
 

 
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