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L'OFFICE UNIVERSITAIRE DE RECHERCHE SOCIALISTE
 
Chapuis / Julliard 404
LA DEMOCRATIE ET SES « SAUVEURS »,
par ROBERT CHAPUIS

à propos du livre de Jacques Julliard, Que sont les grands hommes devenus ?, Perrin Tempus, 2010, 190 p, 8 €

Article paru dans L’OURS n°404 janvier 2011, p. 4

Les livres de Jacques Julliard intéressent toujours. Son regard critique est soutenu par une telle culture historique que l’événement ou l’actualité prend tout naturellement du sens. Il en va ainsi une fois de plus avec cette réédition de cinq articles parus entre 1987 et 2003 augmentée d’une introduction et d’une post-face de 2010. Les revues Politique Internationale, Tocqueville et Pouvoirs l’ont interrogé à divers moments sur cette question : notre époque peut-elle encore produire de grands hommes comme on en a connu dans l’histoire ?

Dans ses réponses, Julliard rappelle que les grands hommes naissent plutôt des circonstances, en général dramatiques, que de leur volonté propre ou de leur charisme particulier, mais il en vient surtout à s’interroger sur la démocratie et ses paradoxes.

À la différence de l’auteur, je reprendrai ses articles dans l’ordre chronologique qui me paraît plus révélateur, avant de dégager ses propres commentaires qui rejoignent notre actualité.

Présidentialisme et parlementarisme
En 1987, Julliard souligne combien est grande dans notre pays, « la tentation du prince-président ». Malgré la suppression radicale du Roi le 21 janvier 1793, la monarchie est restée en suspens, sans que la République parvienne à assurer une légitimité pleine et entière. Sous la pression de l’urgence, il y a eu toujours tendance à rechercher le sauveur ou le protecteur. La IVe République a sombré dans les jeux ou les impasses du parlementarisme et la Ve République s’est légitimée aux yeux du peuple par l’élection du président au suffrage universel, une sorte de sacre républicain, dont on ne connaît d’équivalent nulle part. Faut-il en prendre son parti ? « Sans doute la figure moderne du prince-président concentrant entre ses mains, avec le consentement de son peuple, le pouvoir politique et le pouvoir symbolique, est-elle une solution d’urgence qui sanctionne le déclin probablement irréversible des systèmes parlementaires ». Ainsi écrivait-il sous le « règne » de François Mitterrand, mais aussitôt, ajoutait-il, il convient de rechercher un antidote, une culture de la liberté, qui va jusqu’à préconiser une société sans État. « S’agit-il d’un mythe ? Oui, probablement. Mais cette idée irréalisable reste une idée régulatrice et ce mythe, celui de la démocratie elle-même ». Autogestion, quand tu nous tiens…

Cinq ans plus tard, c’est sur « De Gaulle et le peuple » qu’il écrit. Le personnage le séduit, même s’il a manifesté contre lui. Car, s’il déplaît aux élites, il est approuvé par le peuple. Il constate que « le parlementarisme avait trop profondément creusé le fossé entre le peuple et les élites. Le peuple a accueilli la tentative de démocratie semi-directe que représentait le gaullisme comme une restauration de la démocratie ». En 1994, alors qu’il écrivait par ailleurs L’Année des dupe, Julliard appelle à « la reconquête du courage ». Il reconnaît du courage à Madame Thatcher même s’il n’approuve pas son action, car elle a su faire face à des situations difficiles avec un esprit de décision. Plus généralement, la politique requiert aujourd’hui de grandes qualités pédagogiques. « On n’a jamais raison contre le peuple. Il n’y a pas de démocratie viable sans héros pédagogues : Périclès, Gladstone, de Gaulle »… Car tout dépend désormais de l’opinion. Ce qui ne va pas sans contradiction : « le courage consiste souvent à privilégier le long terme par rapport au court terme, les intérêts collectifs par rapport aux intérêts individuels : il n’y a pas de démocratie sans prélèvement sur les jouissances individuelles au profit de valeurs collectives. Cette morale démocratique est la seule possible. Mais, comme la plupart du temps, ce sont des privilégiés qui la prêchent, le peuple s’en méfie et suit plus volontiers les démagogues… »

En 1998, Politique Internationale pose la question qui donne son titre à l’ouvrage. Deux phénomènes se sont développés : la personnalisation du pouvoir sous la commande des médias et la mondialisation. Qui peut tenir cette double dimension ? Julliard ne voit guère que Jean-Paul II pour répondre à cette gageure. Nos sociétés courent le risque d’un dépérissement : les conflits économiques et financiers ne produisent pas de grands hommes ! La même revue constate en 2003 « le crépuscules des dictatures » : en Europe, en Amérique latine, ils ont laissé place à des pouvoirs démocratiques. En Irak, c’est par la force militaire que les Etats-Unis, choqués par le 11 septembre, croient pouvoir imposer la démocratie : rien à voir avec le droit d’ingérence ! Ils ne recherchent en réalité que leur intérêt. « C’est parce que l’Amérique a cessé d’être omnipuissante du point de vue économique qu’elle devient une puissance impérialiste du point de vue militaire ». Julliard approuve Chirac dans sa politique internationale. Il faut pouvoir résister aux Américains. Qu’attend l’Europe pour le faire ? Qu’attend-elle pour donner une image positive de la démocratie ?

La démocratie des passions

Dans son double commentaire de ces articles, Julliard rappelle que l’on voulait dépersonnaliser le pouvoir au temps de la IIIe République, comme dans les précédentes : mort à celui qui voudrait se prendre pour le Roi ! Mais il faut bien voir « ce qui s’est passé en Occident au cours de la seconde moitié du XXe siècle, c’est-à-dire le passage progressif du régime parlementaire et représentatif à la démocratie d’opinion ». Cette « reine du monde » (autre livre…) répond à la logique des passions plus qu’à celle des intérêts. Or, on ne peut faire l’impasse sur cette réalité humaine. En outre, à la différence d’une démocratie intermittente, d’élection en élection, « la doxocratie, elle, est une démocratie ininterrompue ». Mais, ajoute-t-il, « la qualité de cette démocratie… n’est guère satisfaisante ». Elle instaure plus un star-système que de nouveaux héros populaires. Le peuple se confond avec le mot anglais « people », francisé pour exprimer l’opinion réduite à sa surface, à son écume. La démocratie ne se porte pas bien : elle ne produit pas de « grands hommes ». Faut-il le regretter ? « Les grands hommes sont rarement associés à des périodes d’optimisme et de prospérité. Ils sont le plus souvent symboles de la dureté des temps ». Ce qui importe aujourd’hui, c’est de redonner du sens, c’est de retrouver la voie du « salut ». Pas de sauveur suprême pourtant. Julliard précise : « ma conviction est que le monde ne sera sauvé que par quelques-uns ».

Combien, oserait-on demander ? Qui sortira des primaires de l’histoire ? Laissons au nouvel éditorialiste de Marianne le soin de préciser sa pensée. Pour le moment, contentons-nous de lire son livre et de méditer sur le paradoxe démocratique : le pouvoir du peuple dépend de la capacité des hommes politiques à se grandir.

Robert Chapuis
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