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L'OFFICE UNIVERSITAIRE DE RECHERCHE SOCIALISTE
 
Candar/Dupont/Jaurès 398
Voyage accompagné en jauressie
par Gilles Candar

A propos de Jaurès. Ce que dit un philosophe à la cité, textes choisis et introduits par
Claude Dupont, Les Belles Lettres, 2010, 302 p, 17 €
Article paru dans L’OURS n°398 (mai 2010), p. 7.
Jaurès encore et toujours » « titrait récemment Le Monde (15 avril) pour rendre compte de cette belle anthologie réalisée par Claude Dupont. Il est vrai qu’un des traits du paysage historiographique et politique actuel tient à cette profusion de textes du tribun socialiste. Pour notre plaisir.

Aucune époque, même de son vivant, n’a offert autant d'écrits de Jaurès, dans des formats et sous les horizons les plus variés. L’édition des Œuvres chez Fayard se poursuit (le sixième volume est attendu pour la fin de l’année), alors que l’intégrale des articles de La Dépêche chez Privat a constitué une incontestable grande surprise pour le 150e anniversaire, mais il faudrait citer aussi l’édition des œuvres philosophiques chez Vent Terral et toutes les anthologies ou séries spécifiques des dernières années : De l’éducation chez Syllepse, Laïcité et République sociale au Cherche-Midi, le gros et complet volume Rallumer tous les soleils, dû à Jean-Pierre Rioux, chez Omnibus, les Discours et conférences dans la série du Monde (Flammarion), les rééditions des Origines du socialisme allemand (Ombres blanches), des Deux méthodes (Le passager clandestin), du Discours à la jeunesse et de Socialisme et liberté (l’Encyclopédie du socialisme), de Pour la laïque (Bord de l’eau)… Certes, de temps à autre, Andler, Malon, Blum ou Lafargue sont réédités ici ou là (Le Bord de l’eau, Tallandier, l’Encyclopédie du socialisme, Arléa, La Découverte…), mais enfin, c’est bien Jaurès qui domine et rayonne, comme une référence commune de la gauche et même au-delà, personnage emblématique de la République et de la démocratie…

Ce n’est pas ennuyeux, car ce n’est jamais uniforme : le personnage et la pensée de Jaurès sont assez vastes, suffisamment complexes pour légitimer des approches et des lectures qui se déploient sous des aspects variés et font jouer des contradictions, donc penser et avancer, tant du moins que ces contradictions ne dégénèrent pas en antagonismes, danger toujours possible même si son actualité semble aujourd’hui ne pas être la plus prégnante. C’est ce qui fait tout le prix du travail réalisé par Claude Dupont, bien connu des lecteurs de l’OURS.

La pensée Jaurès
Claude Dupont n’est pas un historien, mais un professeur de lettres classiques, passionné d’histoire et de littérature grecques, un acteur de l’éducation populaire et aussi un militant, qui aime penser au-delà des péripéties politiques du quotidien. Soit dit en passant, cela offre déjà bien des convergences avec Jaurès ! Il nous donne les textes essentiels de la « pensée Jaurès » précédés d’un court essai biographique. Son originalité est donc de ne pas privilégier l’approche biographique ou trop historiquement contextualisée. On peut parfois le regretter, ou plutôt, car le « on » n’est jamais de bonne méthode historique, je l’ai parfois regretté ! Le prof. d’histoire aime bien que les titres des articles choisis par Jaurès soient donnés, que les références soient précises et développées, que les citations elles-mêmes soient autant que possible référencées… Souvent, il aime à mettre en relief les évolutions, les transformations d’une politique, suivant la sainte chronologie des événements et des avatars de la vie. Mais justement, Alexandre n’est pas Parménion, et vice-versa, Claude Dupont s’intéresse à fournir la quintessence d’une pensée, en bloc et en détail. Il le peut car il connaît admirablement son auteur et sa solide culture lui permet de présenter un tableau très fin et argumenté des grandes lignes de la pensée jaurésienne. Même ses erreurs ou confusions se retournent ainsi en sa faveur. Ainsi, Jaurès n’a évidemment pas à se prononcer en 1886 sur l’amnistie définitive des communards, puisqu’elle est complètement acquise depuis 1880. Mais au fond, c’est bien du même problème qu’il s’agit : la violence dans les mouvements sociaux à propos de la mortelle défenestration de l’ingénieur Watrin à Decazeville…

Au-delà des différences méthodologiques, le tableau de la pensée jaurésienne brossé par Claude Dupont me paraît exact et pénétrant. C’est à bon droit qu’il commence par le socle irréfragable de la philosophie, de ce matérialisme religieux et idéaliste qui établit la vision du monde et fixe à Jaurès ses règles essentielles de conduite. De même, il est très convaincant lorsqu’il accorde autant d’importance au souci généralisé de l’éducation, populaire et la plus élevée, car Jaurès ne se contente pas en effet d’un démocratisme généralisé, il justifie la recherche de l’excellence, la possibilité d’aller vers les plus hauts sommets. Son humanisme est illimité et fier. Peu de questions restent hors du regard de l’auteur, qui connaît bien l’œuvre et les études qui lui ont été consacrées. Il a raison de prendre au sérieux le socialisme de Jaurès, de s’intéresser à son collectivisme, méfiant envers la bureaucratie et les risques d’uniformisation. Oserais-je dire que son Jaurès chatoyant et exigeant me semble parfois dans la lignée des travaux de Madeleine Rebérioux, bien à gauche en tout cas ? Claude Dupont a raison de restituer au fondateur de L’Humanité toute sa saveur révolutionnaire, je ne suis pas absolument et totalement sûr qu’il cantonne les réformes à leur rôle éducatif et préparatoire, qu’il refuse toujours de considérer la révolution comme un enchaînement, un « engrenage de réformes » pour reprendre une expression de Fourier qu’il appréciait. Ainsi, dans L’Armée nouvelle, sa définition de la révolution me paraît se complexifier : « la révolution sociale prend nécessairement la forme de l’évolution et l’évolution a nécessairement une valeur révolutionnaire ». La République, « forme politique du socialisme », l’État démocratique qui n’est pas un État de classe au sens strict et excessif que lui donne le marxisme, mais qui exprime le rapport des classes, permettent non seulement de concevoir la révolution comme un passage pacifique, mais aussi de s’interroger sur les modalités mêmes de cette rupture révolutionnaire.

L'évolution révolutionnaire
Il est vrai que les textes de Jaurès varient sur la question, et que du coup l’historien a envie de réintroduire de la contingence, des circonstances dans le débat... mais en tout cas, Claude Dupont a bien raison de faire tourner le débat autour du concept « d’évolution révolutionnaire ». La révolution est d’ailleurs davantage qu’un seul changement de l’état social. Elle est affaire de civilisation. Certes, Jaurès peut bien être « habile », si ce n’est « retors », comme le dit le rude Mauriac cité avec un peu de reproche implicite par Dupont. Il n’est jamais petit. Son habileté est fière. Face à un capitalisme destructeur et cynique, Jaurès est de plus en plus convaincu de la nécessité de fonder le socialisme sur une exigence éthique, qu’il s’applique à lui-même. Le socialisme, explique-t-il, doit être « supérieur à la société d’aujourd’hui non seulement par la supériorité du but qu’il se propose, mais par la supériorité des moyens qu’il emploie contre la société elle-même. Il faut que ce soit à force de vertu – au sens social et libre du mot – à force de respect du travail, de fidélité à la parole, de solidarité agissante héroïque, de culture de la pensée et de la volonté, que nous fassions la preuve qu’étant déjà au-dessus de la société d’aujourd’hui par les moyens selon lesquels nous combattons, nous élevons une société supérieure »1. Au reste, inutile de trop développer ou de discuter pas à pas Claude Dupont : il faut mieux le suivre dans son voyage en jauressie. On peut le faire avec confiance. Il ne cherche pas à découvrir de nouvelles terres du « continent Jaurès » (l’expression est de l’historien Labrousse), mais à les faire connaître et apprécier. Il est un guide sûr et il sait parvenir à son objectif.

Gilles Candar
(1 ) Jean Jaurès, « Discours à l’inauguration du monument Benoît Malon » [9 novembre 1913], La Revue socialiste, décembre 1913, p. 546-548.
 

 
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