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L'OFFICE UNIVERSITAIRE DE RECHERCHE SOCIALISTE
 
Nouvellon/Kesler357
Grandeur et servitude des ronds-de-cuir
par MICHEL NOUVELLON

à propos de : Jean-François Kesler, Les hauts fonctionnaires, la politique et l’argent, Albin Michel, 2006, 316 p , 20 €

Naissance, adolescence et puberté de la haute fonction publique en attendant l’âge mur ?

Avant d’attaquer les us et coutumes de la haute fonction publique contemporaine, présentation est faite avec clarté et précision de celle d’Ancien Régime, sa principale caractéristique consistant à introduire la bourgeoisie dans l’Aristocratie via la noblesse de robe. L’entrée s’y fait non par concours mais grâce à la vénalité des charges. C’est dans ce creuset administratif que la fonction publique attrape tics, manies et traditions perdurant encore de nos jours.
La Révolution abolit cette vénalité, mais pour atteindre la méritocratie républicaine la marche sera longue. Jusqu’en 1914 subsiste la recommandation qui reste « …un mode important d’accès aux emplois publics » et sévit encore de nos jours dans certains établissements publics comme la SNCF, l’EDF et la RATP via le canal familial.
On trouve à travers un XIXe siècle fertile en soubresauts politiques de belles continuités de parcours administratifs que Papon reproduira au siècle suivant.

L’administration au service de la République
Avec la IIIe République, le concours apparu dès le XVIIIe siècle se généralise. L’affermissement de la République après octobre 1877 passe par une épuration de l’administration de ses éléments réactionnaires et cléricaux. La Franc-maçonnerie devient alors le canal sinon obligé, du moins recommandé pour accéder aux postes ainsi dégagés. Celle-ci fournit également la culture issue des « Lumières » nécessaire au renforcement de la société nouvelle. Cela étant, il me semble que l’auteur, portant un regard contemporain, sous-estime la nécessité d’un renouvellement de l’administration à cette époque. Par ailleurs s’il note que Théodore Steeg, député, est nommé Gouverneur de l’Algérie, bien qu’incompétent, parce que franc-maçon et il oublie de signaler l’appartenance maçonnique de Félix Eboué, gouverneur du Tchad issu de l’École coloniale. De même, en tête d’ouvrage, signale-t-il le remplacement de la naissance par le mérite dans l’aristocratie administrative russe et prussienne sans le lier pour autant au fait que Frédéric le Grand était maçon comme vraisemblablement Pierre le Grand.
En sens contraire, il me semble surestimer les changements survenus dans l’Église depuis Vatican II. Pour en terminer avec cette réserve on aurait aimé un état des lieux concernant l’influence de l’Opus Dei, épine dorsale de la papauté actuelle, dans la haute administration française. Est-elle inexistante ou en passe de devenir ce qu’elle est en Pologne, en Espagne et dans les bureaux de l’Union européenne ?
La période de l’occupation particulièrement fouillée mérite « le détour ». Les différents courants et chapelles agitant le gouvernement et l’administration vichystes sont bien détaillés, références à l’appui. Le souci d’efficacité comme un des moteurs de ralliement au nouveau régime des hauts fonctionnaires fait l’objet d’une longue analyse. En effet par suite de la disparition de la démocratie leur pouvoir s’accroît, du moins jusqu’au retour de Laval en avril 1942. Autre caractéristique : l’attentisme mais qui n’est pas, loin s’en faut, l’exclusivité de la haute fonction publique, pourtant les mêmes sauront bien résister à l’essai de nazification de l’appareil d’état dans l’ultime période débutant en janvier 1944.
Là encore le diagnostic se nuance car, comme l’indique l’auteur, « René Bousquet (qui n’était pas antisémite) a fait arrêter beaucoup plus de juifs que l’ancien militant d’extrême-droite Joseph Darnand (devenu pro-hitlérien): 60 000 morts contre 15 000 ». Suit le martyrologe de la haute fonction publique de cette époque. Liste qui mériterait une plus grande publicité ne serait-ce que dans les lieux de formation des futures élites administratives.
On arrive enfin à la Libération, la IVe République et la guerre froide. L’épuration qui suit la première est bien décrite de même que le maccarthysme à la française qui accompagne l’affrontement est-ouest. Voit le jour à cette époque la technocratie triomphante, planiste, courageuse et sincère d’un Dautry ou d’un Delouvrier sur laquelle l’auteur aurait pu s’arrêter plus longuement.

L’énarchie
On passe ensuite à la Ve République d’hier et d’aujourd’hui et les changements intervenus dans les hautes sphères du pouvoir administratif. Abondent alors forces statistiques et analyses car l’auteur, ancien directeur-adjoint de l’ENA, d’historien est devenu acteur et n’épargne personne pas même ses propres « troupes ». Or, un changement important s’est produit voilà une trentaine d’années avec l’arrivée au pouvoir de Giscard d’Estaing. Désormais les alternances politiques se traduisent et se prolongent par des alternances administratives. Disparaissent, alors, ces grands commis de l’État survivant aux gouvernements les ayants nommés, assurés de la durée qui leur permettait responsabilité et efficacité.
Ce livre est une mine de renseignements. Les jugements de l’auteur sont le plus souvent nuancés et équilibrés, sans préjugés ni tabous pour aboutir, in fine, à un certain nombre de propositions qui ne manqueront pas de bousculer quelques vérités « théologiques » chères à la gauche des congrès. Le but essentiel de l’exposition de cet ensemble d’études et d’analyses de l’administration passée et présente me paraît d’avoir pour but d’animer débats et réflexions sur celle de demain, espérons qu’il en sera ainsi.
Michel Nouvellon
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