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L'OFFICE UNIVERSITAIRE DE RECHERCHE SOCIALISTE
 
Jaurès/Bergounioux/Rioux
Jean Jaurès, au-delà de la synthèse

Jean-Pierre Rioux, Jean Jaurès, Perrin 2005 326 p 21,50 e

Voici un beau livre. Jean-Pierre Rioux, bon connaisseur des années tournantes de la fin du XIXe siècle et du début du XXe, avait montré depuis longtemps son intérêt pour la figure de Jean Jaurès. Il lui avait déjà consacré des articles éclairants. Il nous livre aujourd’hui sa vision de Jaurès. Son empathie avec sa personnalité est sensible Ce qui fait que son livre est vraiment centré sur Jaurès.


Ce n’est pas une biographie prétexte pour analyser une période historique. En même temps, l’auteur fait preuve d’une grande lucidité pour rendre compte des hésitations, des difficultés, voire des contradictions de l’homme politique qui aujourd’hui est l’objet d’un consensus quelque peu paresseux. Car s’il a suscité un réel dévouement et provoqué souvent l’admiration, il a été aussi critiqué, haï, menacé par ses adversaires bien sûr, qui, pour les plus extrêmes, ont armé la main de celui qui fut son assassin, le 31 juillet 1914, mais il a été aussi souvent controversé par ses propres “ amis ”. Jean Jaurès, cet homme de paix – c’est l’image universellement connue – a été également un homme de conflit.

Déranger le monde
C’est ce que permet de comprendre ce livre. Jean Jaurès, en effet, n’a pas cessé de vouloir “ déranger le monde ”. Ce jeune intellectuel, qui avait tout pour être une notabilité républicaine dans l’université ou la politique, a consacré sa vie à lutter pour une humanité réconciliée. Comme Madeleine Reberioux, récemment disparue, Jean-Pierre Rioux montre bien l’importance de son enracinement militant dans la circonscription de Carmaux et la rencontre avec la grève ouvrière. Mais il avait un système de pensée longuement travaillé et fort solide qui a largement déterminé son engagement. Son exigence spirituelle, qui lui a fait considérer l’éminente dignité de l’homme, l’a tenue éloigné du libéralisme utilitariste, mais tout aussi bien du “ révolutionnarisme ” qui confond les fins et les moyens. Mais c’est elle qui lui fera refuser la perpétuation des inégalités. L’unité du monde – expression d’un être universel – sera toujours au fond de ses convictions. Cela explique sa rencontre problématique avec le marxisme. Le grand mérite de Marx était pour lui d’avoir rapporté l’idée socialiste au mouvement social. Et cela quelles qu’ont été ses critiques sur un déterminisme qu’il n’a jamais fait sien, il l’a toujours affirmé. Ainsi, alors qu’il avait bien des raisons de partager les critiques que fit Bernstein, à la fin des années 1890, des principales thèses marxistes, il a refusé de le suivre pour ne pas brouiller le but. Il y a eu nombre d’études consacrées aux conceptions du socialisme de Jaurès. Mais les chapitres que Jean-Pierre Rioux consacre au “ marxiste démocrate ” et à “ l’historien ”, réalisent des synthèses tout à fait convaincantes. Sa conception de l’histoire et sa vision du social se conjuguent étroitement. Et sans mettre en cause l’idée du progrès, elles montrent que Jaurès ne voyait pas le socialisme comme le déroulement d’une histoire fatale. Jaurès n’a jamais eu une attitude orgueilleuse, il a éprouvé tôt les difficultés de l’action et ne les a jamais mésestimées. Le réformisme de Jaurès trouve là son fondement avec le souci de procéder par étapes, de consolider les progrès, d’obtenir l’adhésion du plus grand nombre. Bien qu’il ait travaillé de manière de plus en plus confiante avec Édouard Vaillant après 1904, il a été tout à fait étranger au blanquisme.
Un autre grand intérêt du livre est de suivre pas à pas l’action proprement politique de Jaurès. Il n’a pas été naturellement un homme de parti, il était plus à l’aise dans la vie intellectuelle et la vie parlementaire, où ses talents personnels trouvaient particulièrement à s’employer. Son rôle dans l’affaire Dreyfus, une fois formée sa conviction qui n’a pas été immédiate, illustre ce fait. Indépendamment de l’attentisme de ses amis de l’époque, pensons à Alexandre Millerand ou à René Viviani, et des critiques des socialistes guesdistes, il s’est lancé dans la bataille et avec ses écrits, rassemblés dans Preuves, il a contribué fortement au succès de la révision.

L’artisan de l’unité socialiste
Pourtant, Jean Jaurès va consacrer sa grande énergie essentiellement à la construction d’une organisation unitaire. Cela n’a rien eu d’aisé. Il a dû accepter nombre de compromis par rapport à sa vision d’un socialisme ouvert. Malgré sa virulence au congrès d’Amsterdam, en 1904, contre le dogmatisme de la social-démocratie allemande, il n’a pas refusé le jugement de l’Internationale. Et l’unité de 1905, où le Parti socialiste, Section française de l’Internationale ouvrière, a pu se constituer, s’est fait largement aux conditions des guesdistes. Mais, trois ans plus tard, à Toulouse, en 1908, il a réussi à imposer sa vision du socialisme, alliant l’action réformiste et la perspective révolutionnaire. Les équilibres ont continué a être fragiles dans le nouveau parti. Mais, Jaurès pensait que la République ne pourrait pas tenir ses promesses démocratiques sans la force de “ la classe ouvrière organisée ”. Il travailla également dans le même esprit au rapprochement avec le syndicalisme de la CGT, qui s’était donné, en 1906 avec la charte d’Amiens, un projet propre. En définitive, la force et le fait qu’il peut être, à juste titre, considéré comme le fondateur de la conception française du socialisme, vient de ce qu’il n’a pas voulu choisir entre la République et le socialisme. Sa compréhension des traditions et des réalités françaises lui a permis de trouver des formules porteuses d’avenir. Sa définition, à la fois, déterminée mais ouverte de la laïcité l’a bien montré, notamment lors de l’élaboration de la loi de 1905 sur la séparation des Églises et de l’État. Mais cela n’est pas allé sans ambiguïtés. Jean-Pierre Rioux les souligne bien au fil des événements. La synthèse – la fameuse synthèse jaurésienne – peut avoir l’inconvénient de retarder le moment des choix et les rendre alors plus difficiles. Sa mort a laissé ouverte la question sur ce qu’aurait été sa décision finale en août 1914.
Ces réflexions qui se dégagent du travail de Jean-Pierre Rioux suggèrent suffisamment la richesse de ce livre. Le seul regret que l’on peut avoir est que certains éléments – notamment le rôle de Jaurès dans la deuxième Internationale et ses rapports avec les autres dirigeants socialistes – n’aient pas été abordés. Les dernières pages évoquent la mémoire laissée par Jaurès et les utilisations qui en a été faite. Elle donnent là aussi envie d’une histoire plus circonstanciée des usages de la mémoire. Ce sont là seulement des envies que suscite le livre. Tellement on aimerait passer plus de temps avec “ notre Jean ”. J’ajouterai qu’écrite, qui plus est, d’une plume alerte et sûre, cette biographie, qui fera date, doit s’inscrire également dans une réflexion sur ce qu’est et peut être dans l’avenir l’identité du socialisme français.
Alain Bergounioux
 

 
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