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L'OFFICE UNIVERSITAIRE DE RECHERCHE SOCIALISTE
 
Cépède/L'Humanité 340
L’Humanité : le blues d’une centenaire
Par Frédéric Cépède

Un siècle d’Humanité 1904-2004
sous la direction de Roland Leroy
Le cherche midi 2004 480 p 18 e

Bernard Chambaz
1904-2004, L’Humanité
Seuil-L’Humanité 2004 360 p 39 e

En avril 2004, divers événements éditoriaux, culturels, mémoriels et festifs – souvent à l’initiative du quotidien – ont célébré le centenaire de L’Humanité, fondée par Jean Jaurès il y a un siècle. Dans l’attente des actes du grand colloque universitaire qui a scruté le fonctionnement d’un journal pas tout à fait comme les autres, et sans ouvrir de débat sur la « récupération » de Jaurès, trois publications de nature différente, émanant du journal communiste ou publiées avec son soutien, permettent par leurs angles d’attaque d’approcher les sentiments contradictoires que nourrissent ces évocations.


Éliminons d’entrée Le Numéro du centenaire réalisé par le quotidien (hors série, 196 p, 10 €). Il n’y a pas grand-chose à sauver d’une entreprise « propagandiste » qui s’apparente plus à un patchwork d’images composant une sorte d’almanach communiste autosatisfait du siècle, sans rapport avec la façon dont L’Humanité a traité les événements à chaud. Quant au texte, est-ce vraiment un hasard que le court article consacré au congrès de Tours ne mentionne même pas le nom de Léon Blum ?
Plus intéressant, le livre voulu par la direction de L’Humanité, et confié à Roland Leroy, qui en a écrit la préface, est construit à partir d’une sélection d’articles publiés dans le journal. Pour aider le lecteur, de courtes introductions présentent les grands événements de l’année et quelques moments de la vie du journal. Puis viennent les articles qui permettent de retrouver les grandes plumes du quotidien – et il y en eut, de Jaurès à Aragon. Peut-on regretter que ne nous soient pas donnés à lire plus de vrais spécimens du style journalistique stalinien qui a caractérisé L’Humanité à partir de 1921 (avec attaques ad hominem, calomnies…), de la période classe contre classe, aux derniers articles soutenant le bilan globalement positif de l’URSS, ou en décembre 1981 sur Solidarité et la Pologne, « suite à l’arrivée au pouvoir de Jaruzelski », pour reprendre la formulation de l’introduction à cette année ?
Dans cette sélection, on relira avec intérêt le premier éditorial de Jaurès « Notre but » paru le 18 avril 1904, le passionnant récit de De Pressensé revenant en 1905 sur son combat pour le vote de la loi sur la séparation des Églises et de l’État. Ou encore celui de Blum en 1918, en réponse à Albert Thomas, qui entre Lénine et Wilson choisissait le second, où il répond qu’il refuse cette alternative et en reste à Jaurès.
Au fil des années, il ressort de ce montage de textes, nous semble-t-il, la tentation de montrer que L’Humanité a été perpétuellement en prise avec la vie culturelle – littérature, peinture, cinéma, télévision, musique, du jazz au rock, en passant par la variété… – ou les mouvement de la société – avec le sport notamment (ah, l’inévitable article sur Zidane, roi du monde un soir de juillet 1998…). Mais, quand sont mentionnés le peintre Douanier Rousseau (sic) en 1910, ou la parution du premier épisode des aventures d’Arsène Lupin imaginées par Maurice Blanc (resic) en 1907, ou Johnny Halliday (reresic), on sourit. Trop de coquilles émaillent ces notices.
Épisodiquement, les difficultés du journal et d’une presse militante pour survivre en système capitaliste sont évoquées mais sans beaucoup de précisions sur les financements par les partis frères (le but n’est pas ici de faire une histoire de la presse même si le combat de L’Humanité pour l’attribution d’aides aux journaux est rappelé). Ici le rapport à l’histoire ne relève plus de l’occultation systématique, il procède par allusion quand il faut évoquer les épisodes les moins glorieux : ainsi la demande de reparution de L’Humanité en 1940 est signalée, mais les noms de ceux qui effectuèrent les démarches oubliés, comme si Duclos n’était qu’un second couteau. Avouons aussi que l’histoire du journal, inséparable de celle du Parti communiste, nous intéresse moins à partir de 1920, depuis qu’il n’est plus du tout L’Humanité de Jaurès et qu’en tout état de cause, elle se trouve peu dans ce livre (comme dans les deux autres).
Comme l’exprime avec délicatesse Bernard Chambaz dans le beau texte de l’album L’Humanité 1904-2004, la relation au communisme n’est jamais neutre. C’est en sympathie qu’il s’est immergé dans la collection du quotidien sur un siècle, et qu’il en remonte à la surface ses impressions. Approche évidemment nourrie de sa culture communiste familiale, à la fois curieuse, narquoise, et intelligente. Car relire un siècle d’Humanité est une entreprise quasi inhumaine. Bernard Chambaz, qui a aucun moment ne prétend faire œuvre d’historien, joue franc jeu avec son lecteur lorsque l’envie le prend de survoler ou de sauter des pages, parfois las devant tant de matière, dans un dialogue permanent où il décrit ce qu’il s’attendait à lire compte tenu de son « éducation communiste » et donc de ce qu’il sait, et ce qu’il découvre à la source. Il tient notre attention en éveil. Son style limpide et légèrement distancié est un atout, mais surtout il garde les yeux ouverts sur cette histoire : par exemple, il cite, lui, Jacques Duclos parmi ceux qui demandèrent la reparution de L’Humanité aux Allemands et dit ce qu’il en pense. Il note aussi l’attitude des communistes au moment du procès de Riom, sans citer cependant la lettre de l’ancien député communiste François Billoux au maréchal Pétain demandant à témoigner à charge au procès.
Les années pionnières l’intéressent plus, les années Jaurès, puis les premiers pas du Parti communiste, que la suite. Il trace à grands traits l’aventure du dernier demi- siècle. Il est dès lors aussi plus enclin à s’intéresser aux rubriques culturelles et sportives du journal qu’aux éternelles lectures à sens unique de l’histoire en marche. Il cherche avec difficulté l’ouverture sur le monde, et espère que l’avenir retiendra les engagement des militants. Il aimerait pouvoir y croire.

Une culture de la nostalgie
Nostalgie ? Comment s’en prémunir ? Le centenaire de L’Humanité renvoie plus à des temps héroïques qu’au présent, avec en couverture un « cliché » évoquant le Front populaire (déjà vu dans le bel album Paris ouvrier, Parigramme, 2004). Dans ce superbe album, lourd, 360 pages, de dimension respectable, à lire assis à sa table sous peine de crampes aux bras, richement illustré avec de nombreuses photographies en double page, l’iconographie retenue révèle aussi l’esprit de cette commémoration. De nombreux clichés du journal lui-même, pages entières ou extraits de manchettes, d’articles, de publicités, bons de souscription, donnent à voir l’objet L’Humanité et son évolution sur le siècle. Une entreprise militante comme en témoignent les multiples photographies de celles et ceux qui la diffusèrent, regroupés dans un comité de défense, ou les campagnes qu’elle a menées.
Cependant, le traitement de l’iconographie relève clairement de la nostalgie, et non de l’histoire, ou de la trace. Tout est en rouge et noir, ou sépia, les photos sont traitées de la même façon, qu’elles aient été prises en 1904 ou en 2000, l’image des poilus au front en 1917 ou celle d’un soldat américain dans le Golfe étant passées au même filtre beige. Idem pour la typographie. Belle unité graphique, certes, pour un « beau livre », mais qui fausse le regard sur l’histoire.
En effet, si l’ambiance noir et rouge colle parfaitement aux années 1905-1940, elle devient totalement anachronique à partir des années 1960, malgré Mai 68. Sauf à témoigner que les communistes continuent à vivre avec les mêmes images – clichés – d’un autre monde idéalisé, d’une révolution espérée par les peuples dont ils seraient les guides. Hormis quelques reproductions de tableaux, la seule véritable image en couleur de l’album, publiée en double page, est celle du groupe rock The Who à La Courneuve en 1972 ! Le rock n’est-il pas soluble dans le communisme ? Pour le reste, cet univers graphique donne à voir un monde tourné sur lui-même. Le refuge dans le passé, un passé muséifié et toiletté : à part Pif le chien, ou Yves Montand immortalisé en acteur engagé dans son rôle dans L’Aveu de Costa Gavras – quelle ironie –, l’album ne propose aucune photographie des vedettes du journal, journalistes notamment, des cinquante dernières années. Alors est-ce un choix du Seuil, ou de L’Humanité, un choix « politique » ou esthétique ? En tout état de cause, il est assumé par L’Humanité.

Un monde tourné vers lui
À confronter ces trois publications – qui nous renseignent peu sur la spécificité du journal, les financements, les journalistes, les combats internes –, on retrouve la même volonté de montrer un univers communiste peuplé d’hommes ouverts sur la culture du temps, qui reconnaissent des erreurs mais ont été attentifs aux mouvements profonds de la société, en matière sportive et culturelle notamment. Mais, le ton et la démarche du numéro spécial de L’Humanité peuvent aussi se lire comme une difficulté – culturelle ? – toujours présente à regarder sa propre histoire. Signe d’une Humanité en crise, qui cherche ses marques, mais qui se voit avec les yeux d’autrefois. Les histoire de famille sont les plus difficiles à régler en famille, même si Bernard Chambaz aimerait que son fils puisse lire le journal de son grand-père. L’avenir de L’Humanité est incertain, comme l’illustre l’ultime pirouette publicitaire qui invite à rêver « un monde idéal où L’Humanité n’existerait pas ». Pas facile d’avoir 100 ans.
Frédéric Cépède
 

 
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