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L'OFFICE UNIVERSITAIRE DE RECHERCHE SOCIALISTE
 
Castagnez/DulphyManigand376
LA FRANCE EUROPENNE ?
par Noëlline Castagnez


Dans cet ouvrage, les auteurs analysent à la fois le rôle des dirigeants et de l’opinion publique, leurs politiques et la manière dont elles ont été perçues. Une première synthèse historique sur la conception française de la construction européenne depuis ses origines.

Anne Dulphy et Christine Manigand
La France au risque de l’Europe
Armand Colin 2007 292 p 25 e

Un an après le 50e anniversaire des traités de Rome et au lendemain de la ratification du traité simplifié de Lisbonne par le congrès, il est intéressant d’interroger le rapport spécifique et passionné que la France entretient avec le projet européen. Le rejet du traité constitutionnel par les Français le 29 mai 2005, en effet, a montré que le modèle français de construction européenne était en crise. La France entendait servir ses intérêts nationaux au travers de l’Europe, en stimulant la modernisation et la croissance économique, afin de conserver un statut de grande puissance en s’arrimant à une entité plus large. Cette approche s’est conjuguée, un temps, avec une logique d’approfondissement. Mais, comme le montrent Anne Dulphy et Christine Manigand, les élargissements successifs et la nécessité de s’adapter à la réalité ont mis à mal cette ambition.

Dans les deux premiers chapitres, elle partent de l’entre-deux-guerres pour souligner l’engagement des fondateurs et des partis européistes, puis de leurs héritiers jusqu’à nos jours. Elles montrent ainsi que la question européenne induit une ligne de partage qui croise celle de la bipolarisation droite/gauche de la vie politique française, comme le Parti socialiste – déchiré tant en 1954 sur la CED qu’en 2005 – l’illustre parfaitement. Dans un troisième chapitre, elles étudient la maturation du sentiment européen, dans une population qui s’avoue sous-informée et qui juge la construction européenne trop éloignée de ses préoccupations concrètes.

Des regards contrastés sur l’Europe
Les chapitres suivants confrontent les conceptions de l’Europe des dirigeants au fil des décennies aux perceptions collectives actuelles. D’abord, alors que l’Europe aurait dû être « un multiplicateur de puissance », l’État français, aux yeux de l’opinion, semble ne guère y avoir gagné en influence. Pourtant, au travers du Conseil européen des chefs d’États ou de gouvernements et des Conseils des ministres de l’Union, il y conserve un rôle central. Mais avec l’approfondissement du processus d’intégration par l’Acte unique de 1986 et le traité de Maastricht en 1992, l’État français peine désormais à maintenir l’équilibre entre supranationalité et intergouvernementalité et son image s’en ressent dans l’opinion publique.

De sorte que, dans les cinquième et sixième chapitres, les auteurs comparent deux Europe perçues : l’espace économique et l’espace de paix et de sécurité, deux réalités conformes aux vœux de la déclaration Schuman du 9 mai 1950, date de naissance officielle de l’Union. Alors que l’intégration économique et monétaire est un succès indéniable, bénéfique à la France selon les experts et à laquelle les gouvernants sont très attachés, les Français sont de plus en plus sceptiques à son égard et craignent – voire en sont intimement convaincus – qu’elle ne soit à l’origine des délocalisations et ne remette en cause leurs acquis sociaux. C’est ainsi que la campagne référendaire de 2005 s’est focalisée sur la troisième partie du traité qui reprenait les politiques communes, et donc économiques, de 1957. En revanche, la sécurité de la France et de l’Europe est majoritairement portée à l’actif de l’Union. Mais comme elle semble définitivement acquise, ses enjeux et son renforcement ne suffisent pas à motiver un vote pro-européen.

Le dernier chapitre interroge une Europe « à géométrie variable », au fil des partenariats et des élargissements successifs. L’opinion publique française perçoit l’extension récente comme une forme de « mondialisation intestine » et la récente réunification des Europe de l’Ouest et de l’Est comme la porte ouverte à tous les compromis et donc à l’affaiblissement des États fondateurs, dont la France. De sorte qu’aujourd’hui les Français abordent la construction européenne sur la défensive, entre souverainistes de droite et eurosceptiques de gauche.

Identité nationale et identité européenne
Dans un dernier mouvement, les auteurs reviennent par conséquent sur les rapports complexes entre identité nationale et identité européenne. Dans quelle mesure la conception de l’État à la française et sa vocation messianique universelle sont-elles conciliables – ou inconciliables – avec la pluralité de l’Union, qui induit une culture pragmatique du compromis ? D’une part, il semble bien que les Français n’aient pas compris que l’instrumentalisation de l’Europe au service de la puissance nationale, inaugurée avec de Gaulle – citons la crise de « la chaise vide » de 1965-1966 – et poursuivie par ses successeurs était un mirage. D’autre part, identité française et identité européenne peinent à se fondre. L’État-nation français s’accommode mal des derniers élargissements ; la francophonie semble en péril ; et l’histoire européenne, pleine de guerres fratricides, ne constitue guère un référent supranational, en dépit de tous les efforts de nos programmes enseignés. Pourtant, les Européens ont tenté de définir cette identité européenne, à Copenhague, en décembre 1973, en la corrélant à des valeurs communes et à un passé commun, même douloureux. Puis la Charte des droits fondamentaux, adoptée à Nice en décembre 2000, a tenté de préciser les premières, et les Français ont réussi à y intégrer, au côté des droits civils et politiques, les droits sociaux, et à empêcher la référence à un héritage religieux dans son préambule. L’Union s’est aussi dotée de symboles – drapeau, hymne, journée de l’Europe (le 9 mai), monnaie unique – destinés à développer une conscience européenne. Mais les Français, qui ont fait de l’Europe un horizon d’attente et qui persistent à plaquer sur elle la réalité hexagonale, projettent sur elle leurs angoisses. Comme l’écrivent les auteurs : « Le malaise national se réfléchit de plus en plus dans le miroir de l’Europe ». De sorte que si la ratification par le Congrès et non par référendum du traité simplifié de Lisbonne permet de relancer la construction européenne, il n’est pas certain qu’elle écarte le scepticisme ambiant.

Cet ouvrage est donc à la fois une synthèse historique, fondée sur une mise en perspective de la relation des Français avec la construction européenne, et un essai sur les enjeux identitaires de cette relation passionnelle. Doté d’un appareil critique nourri, qui invite le lecteur curieux à aller plus loin selon ses envies, et d’une bibliographie volontairement sélective et courte, qui permet d’aller à l’essentiel, d’une table des sigles (bien utile sur un tel sujet) et d’un index des noms propres, ce livre doit séduire tous ceux qui s’intéressent à l’Europe, sans compter les étudiants ou candidats aux concours qui y trouveront un véritable outil de travail.

Noëlline Castagnez
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