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L'OFFICE UNIVERSITAIRE DE RECHERCHE SOCIALISTE
 
Chambarlhac Prochasson L'empire de l'émotion 377
La déposition de Prochasson
pae Vincent Chambarlhac (L(OURS 377 avrill 2008)

a/s de Christophe Prochasson, L’empire des émotions . Les historiens dans la mêlée, Demopolis 2007 255 p 24 €

Le titre dit la cible : pour Christophe Prochasson les thématiques des guerres de mémoire, de concurrence victimaire, comme l’ère du témoin, participent du nouveau régime d’historicité dans lequel nous sommes entrés, réglé par l’émotion. Le sous-titre dit le registre : contre un surplomb rollandien qu’il connaît bien pour en avoir arpenté les contours dans de précédents travaux (Les intellectuels, le socialisme et la guerre, 1993), Christophe Prochasson s’engage dans le débat. Il n’est pas au-dessus, mais dans la mêlée.

Le livre de Christophe Prochasson est celui d’un observateur participant. Souvent des flèches, comme celle décochée au « gauchisme scientifique » d’une partie des historiens de la colonisation, font mouche. À tout coup, la lecture est plaisante, le rythme enlevé. L’ouvrage ramasse ici des idées, des critiques souvent esquissées auparavant dans des comptes rendus de lecture ou des articles comme le chapitre sur « L’histoire à la première personne », paru en 2002 dans Sociétés et Représentations. L’alacrité du style conclut en six courts chapitres à « une histoire à l’estomac », paraphrasant là Julien Gracq, mesurant alors les dérives possibles de l’histoire savante. Il s’agit d’avancer « hors des pièges tendus par la suffisance, rivale mais complémentaire, des scientistes et des compassionnels ». Chemin faisant, la démonstration abordait les chantiers du présent de l’histoire, du je de l’historien comme de la biographie, de la course victimaire et de « la mémoire comme raison », de « l’histoire politique comme drame ».

L’histoire politique comme drame
En regard du présent, je m’attarderai sur les derniers chapitres où gronde la bataille entre historien du politique, du contemporain. Pour Christophe Prochasson, le régime de l’émotion impose de choisir son camp, l’histoire politique est alors drame.

Le propos s’ouvre par une (rapide) considération sur l’histoire-discipline comme succédané d’engagement ; la posture, qui dénonçait le gauchisme scientifique, affleure à nouveau dans ces considérations qui rappellent également les règlements de compte politique sur l’historiographie du communisme par notes de bas de page interposées. L’historien du politique est là, trop souvent pour Christophe Prochasson, un militant. On sait Les origines tragiques de l’érudition (Anthony Grafton, Seuil, 1998) qui donnèrent à la note ses lettres de noblesse, l’auteur rappelle qu’elle est également un agent de police du discours scientifique, exécutant plutôt que discutant des conceptions opposées.

La plume alerte, Christophe Prochasson campe le paysage d’une histoire politique dont le retour (1988) fut surtout celui de l’ordre républicain. L’évocation des configurations rivales de l’historiographie du communisme et socialisme sert le propos. Ces courtes pages valent pour ce qu’elles soulignent du non-dit de postures politiques tôt masquées par l’argument de la scientificité. Ainsi de L’Histoire générale du socialisme dirigée par Jacques Droz écrite dans l’orbite du programme commun ; ainsi de l’histoire du communisme croquée par François Furet dans Le passé d’une illusion où l’ego-histoire vaut problématique, et le retour sur l’illusion de jeunesse viatique de scientificité puisque « cette histoire fut de part en part politico-mémorielle » ainsi que le note Régine Robin, citée par l’auteur. Passons les pages consacrées au Livre noir du communisme où l’approche historique s’affirme uniquement criminogène, l’essentiel est la conclusion de Christophe Prochasson : « Tout se passe comme si les historiens éprouvaient de la difficulté à s’évader des découpages légués par l’histoire qu’ils racontent [...]. Peut-on échapper à cet appel de l’histoire qui pèse inévitablement sur chacun de ceux qui se penchent sur le passé ? Tout à fait ? Non. Mais ne pas en prendre conscience et élever l’indignation ou l’éloge au rang de l’analyse affaiblit le travail historien qui dès lors peine à se distinguer du discours produit par le sens commun. »

Le parler juste de l’historien
On retrouverait là une posture rollandienne appliquée à l’histoire scientifique. Il s’agit de s’extraire de la mêlée, du présent. Et dès lors, malgré ce qu’il dit des configurations actuelles de l’histoire contemporaine, ce livre se lit autrement. Les temps sont discordants et le présent de l’histoire s’interroge par Christophe Prochasson en regard de figures d’un autre siècle. Le sous-titre indique une direction, que les références à la Belle époque confirment : Lavisse, Seignobos, Langlois sans doute au titre des mannes tutélaires de l’histoire discipline, tout comme Marc Bloch, mais surtout Léon Werth qui ouvre l’introduction comme la conclusion. Celui-ci rédigeait son journal durant les années noires, dans l’écriture affleurait l’expérience d’une trajectoire littéraire et militante. Viviane Hamy le publiait sous le titre de Déposition (1993). L’Empire des émotions est la Déposition de Christophe Prochasson, un point de vue sur l’histoire telle qu’elle s’écrit aujourd’hui. Un point de vue qui, bien souvent évoque le moraliste voltairien que fut Léon Werth qui, le 13 juillet 1994 écrivait : « Nation-Patrie. N’en peuvent parler juste qu’un philosophe, un vrai historien, ou un simple, si le simple n’est pas de ceux que les excitent et dupent » (Viviane Hamy, 1993).

L’horizon de ce parler juste structure ce livre alerte. Christophe Prochasson ne s’est alors jamais dépris de ce qui anime en grande partie ses travaux, la guerre. Elle est, dans l’actuel champ historique, de mémoire et d’engagements politiques par procuration. Pour lire L’empire des émotions, et scruter « les historiens dans la mêlée », Léon Werth s’avère un précieux compagnon, lui qui fut militant puis observateur. Le jeu des citations l’esquisse. Ce pas d’écart n’est pas alors le surplomb rollandien de la mêlée ; il est le fait de lectures, et structure une certaine manière d’entendre l’histoire. Celle-ci ne saurait se refuser à la controverse comme semblent l’indiquer les remerciements, et l’amicale mise en garde de Jacques Julliard sur les disputes à venir. De lui, Christophe Prochasson retient « cette règle qui veut que l’on apprenne autant de ceux qui nous fâchent que de ceux dont on sent familier ». Au lecteur de choisir son rapport à l’Empire des émotions, aux discussions – et disputes ? - peut être de s’ouvrir.
Vincent Chambarlhac
 

 
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