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L'OFFICE UNIVERSITAIRE DE RECHERCHE SOCIALISTE
 
Bergounioux / Mai 68
Mai 68 dans la longue durée
par ALAIN BERGOUNIOUX

a/s de Philippe Artières et Michelle Zancarini (dir.), 68. Une histoire collective (1962-1981), La Découverte, 2008, 848 p, 28 €)

Ce gros livre mérite de retenir l’attention dans l’abondante production éditoriale amenée par le 40e anniversaire de mai 1968. Il s’appuie sur plusieurs années de travail dans le cadre d’un séminaire de l’Institut d’histoire du temps présent. Il a réuni une palette brillante d’historiens, de politistes, de sociologues, de journalistes qui tentent de rendre compte des dimensions multiples qui permettent de comprendre cet « événement total » que fut mai 1968.

1968 est replacé dans une perspective longue, du début des années 1960 à 1981. Le choix d’une telle chronologie ressort d’une conception de l’histoire qui ne privilégie pas une causalité simple, mais au contraire faite de multiples actions, « d’une pluie de gouttes » pour reprendre une expression de Gilles Deleuze, actions qui touchent donc tous les milieux, qui s’inscrit bien sûr dans l’action politique (et 1968 fût une crise politique) mais aussi dans les luttes sociales, la vie culturelle, les corps qui s’incarnent dans des lieux divers, le Quartier latin bien sûr, mais pareillement les usines, les villes dans leur diversité, les lycées et les universités, le plateau du Larzac…

Les entrées du livre offrent pour ce faire une grande variété. Les auteurs distinguent quatre périodes : la préhistoire en quelque sorte, les années 1962-1968, l’épicentre, mai-juin 1968, l’onde de choc, les années 1968-1974 et les désillusions avec les années 1974-1981, appelées significativement « le début de la fin ». À chaque fois, après une synthèse éclairante, sont distingués un film emblématique (comme La chinoise de Jean-Luc Godard pour l’avant 1968), des objets (comme les affiches de mai ou le transistor), des « ailleurs », pour comprendre les dimensions, mondiales et européenne dans leur diversité, des lieux évidemment (Nanterre, l’ORTF, LIP …), des acteurs, personnalités connues ou non et des mouvements, et de petits essais, sous le nom de « traverses » qui étudient un problème (les mouvements lycéens, les intellectuels la dissidence à l’Est…). C’est dire les richesses de ces approches qui caractérisent bien les préoccupations de l’historiographie actuelle.

Les sens d’un événement complexe
C’est dire également la vanité de vouloir enfermer mai 68 dans une vision simple – et le ridicule d’en faire le bouc émissaire de tout ce qui ne va pas aujourd’hui dans la société française ! L’événement, en effet, s’inscrit dans des évolutions profondes des sociétés modernes qui ont mis en cause toutes les institutions à des degrés divers, qu’elles soient politiques, sociales, religieuses, culturelles. Il y a bien eu des années contestataires dont l’originalité, par rapport à des vagues précédentes (pensons à la fin du XVIIIe ou du XIXe siècles par exemple !) a été de saisir aussi bien la vie politique que la vie quotidienne, en apportant une interrogation sur ce qu’est « vivre » pour soi-même et avec les autres. Les transformations de la société auraient eu lieu de toute manière. Mais en France elles ont pris une forme très politique – et qui a mis en mouvement toute la société d’une manière ou d’une autre dans l’acceptation ou la crispation, sans qu’aucune catégorie sociale ne soit véritablement à l’écart.

C’est pour cela qu’il ne faut pas donner de 1968 seulement une interprétation « culturelle et hédoniste », la politique (pas seulement celle du pouvoir d’État) a été présente partout pour un court moment. C’est ensuite seulement que les chemins se sont diversifiés, que les compromis ont été établis avec les réalités, que d’autres préoccupations se sur-imposent et l’emportent notamment au milieu des années 1970. Un point intéressant – et sans doute insuffisamment traité dans ce livre pourtant imposant – est la manière dont la politique, les partis et les gouvernements, ont été, à la fois les héritiers de certaines idées et pratiques de 1968 – la gauche tout particulièrement, qui a été incontestablement portée par les mouvements de libération cristallisés dans 1968, mais pensons aussi à la « Nouvelle société » de Jacques Chaban-Delmas – et les forces qui ont été les moins remises en cause dans la société française. Ce paradoxe aurait mérité (et mériterait) une réflexion propre.

Alain Bergounioux
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