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L'OFFICE UNIVERSITAIRE DE RECHERCHE SOCIALISTE
 
Le troskysme sort de l'ombre, par Michel Taubmann
: Le trotskysme sort de l’ombre,
par MICHEL TAUBMANN
(article paru dans L'OURS n°318 mai 2002)
a/s des ouvrages de :
Christophe Nick, Les Trotskistes, Fayard 2002 380 p 23 e
Frédéric Charpier, Histoire de l’extrême gauche trotskiste. De 1929 à nos jours, Éditions n°1 2002 402 p 22 e
Daniel Bensaïd, Les Trotskysmes, PUF 2001 127 p 6,50 E

Longtemps ignoré des journalistes et des historiens, le trotskysme est soudain devenu objet de curiosité. En moins d’un an, la révélation par Lionel Jospin de son passé militant dans les rangs de l’Organisation communiste internationaliste puis la percée électorale annoncée des candidats trotskystes à l’élection présidentielle ont assuré la promotion de plusieurs ouvrages de nature et de qualité différentes sur la question.

Deux d’entre eux ont déjà fait couler beaucoup d’encre : celui de Christophe Nick et celui de Frédéric Charpier, tous deux journalistes. Christophe Nick, manifestement fasciné par son sujet, raconte la saga des trotskystes en France dans le style alerte qui sied aux romans d’aventure. Désireux de comprendre la psychologie de ses héros, il dresse une galerie de portraits plutôt bien réussis. Ainsi consacre-t-il une place importante à la vie aventureuse du grec Michel Raptis dit Pablo, dirigeant de la IVe Internationale dans les années 40 et 50, intellectuel et homme d’action, se muant en fabriquant d’armes et de faux billets pour le compte du FLN algérien qui, après l’indépendance en 1962, lui ouvrit les portes d’Alger où il devint le conseiller du président Ben Bella.

Itinéraires trotskystes
Christophe Nick décrit aussi de manière saisissante, l’un des disciples de Pablo, Maurice Najman, leader des Comités d’action lycéens en 1968 puis de la tendance « pabliste » en France connue sous les sigles successifs d’AMR, tendance B du PSU ou CCA. En revanche, il évoque de manière plus distante l’extraordinaire ténor que fut Charles Berg, un des chefs du courant lambertiste, dans les années 70, exclu par Lambert au terme d’un véritable procès stalinien puis reconverti dans la production cinématographique tout en animant de nos jours un bulletin révolutionnaire intitulé Carré rouge. Christophe Nick consacre aussi une part congrue au parti d’Arlette Laguiller qui représente le mouvement trotskyste le plus influent électoralement tout en restant le plus secret dans son fonctionnement. Son livre souffre d’un déséquilibre qui favorise les courants les plus « ouverts » et la génération issue de mai 68. C’est le résultat d’une méthode d’investigation fondée principalement sur les témoignages d’actuels ou d’anciens militants qui ont naturellement tendance à valoriser leur rôle au détriment de ceux d’anciens camarades ou adversaires que l’auteur n’a pas rencontrés. Quelques erreurs factuelles sont regrettables. Des noms sont mal orthographiés et certains personnages sont confondus avec d’autres. Mais ces défauts ne justifient pas l’opprobre jeté sur ce livre par des militants trotskystes qui sont allés jusqu’à accuser implicitement Christophe Nick d’antisémitisme pour avoir souligné l’origine juive de certains d’entre eux.

Le trotskysme au risque de l’histoire
S’appuyant sur un travail de recherche plus approfondi, le livre de Frédéric Charpier a suscité moins de polémiques. Il n’en est pas moins intéressant. Prenant un parti pris plus historique que Christophe Nick, Frédéric Charpier explique pédagogiquement les grandes étapes d’un mouvement qui a su trouver en France, terre d’asile du « vieux » en 1933, un cadre particulièrement favorable à son développement. Sans se désintéresser de la génération issue de mai 68, Frédéric Charpier s’attarde sur celle des pionniers, les Pierre Naville, Gérard Rosenthal et Raymond Molinier, ces intellectuels ou militants ouvriers nés avec le vingtième siècle et qui ont plongé à corps perdu dans ce qu’on appelait alors le mouvement « bolchévique-léniniste ». Leur choix ne fut pas exempt de risques. Et la proportion de morts dans leurs maigres rangs n’a sans doute guère d’équivalent dans les autres courants politiques. Il n’était pas facile d’être trotskyste dans la France des années 30, où la vérité sur les procès de Moscou était sacrifiée sur l’autel de l’antifascisme. Et naturellement, à l’instar de l’auteur, on éprouve du respect voire de l’amiration envers ces personnages qui, contre le monde entier, à l’heure du stalinisme et du fascisme triomphants, se sont efforcés de maintenir leur idéal d’une révolution communiste qui n’aurait pas été trahie.
Mais le trotskysme ne fut pas seulement une aventure exaltante. Il demeure un courant politique qui, à ce titre, doit pouvoir être questionné. Ce questionnement aurait pu être réalisé à travers l’ouvrage sur le sujet édité par les éditions « Que sais-je ? » Malheureusement ce petit livre ne remplit pas ce rôle. Et pour cause ! Sa rédaction en a été confiée à Daniel Bensaïd dirigeant depuis les années 60, aux côtés d’Alain Krivine, de la Ligue communiste. Dans sa préface, l’auteur lui-même évoque cette qualité et ne revendique pas l’impartialité du chercheur indépendant. Partie prenante de l’histoire qu’il raconte, il survalorise les événements dont il fut un acteur et privilégie sa version des conflits internes. Etant toujours un membre actif du trotskysme, il ne possède pas le recul nécessaire à un examen critique des fondements de ce courant. Il ignore quasiment la période 1917-1923 durant laquelle Trotsky, aux côtés de Lénine et de Staline, participa à la mise en place du totalitarisme soviétique. Comme la plupart des trotskystes, il semble méconnaître les travaux des historiens qui, depuis l’ouverture des archives soviétiques, permettent d’écrire la véritable histoire du communisme. C’est toujours à travers leurs propres sources que les trotskystes se transmettent leur histoire. Ainsi la lecture de Ma vie, autobiographie de Trotsky demeure une de leurs principales références.
Il faut reconnaître que jusqu’à présent le trotskysme, contrairement au stalinisme, n’a pas suscité le désenchantement propice à la production d’une mémoire critique émanant d’anciens militants. Loin de pâtir de l’effondrement du bloc communiste le trotskysme semble au contraire en bénéficier. L’éviction du fondateur de l’Armée rouge du pouvoir soviétique permet à ses épigones de repeindre leur idéal aux couleurs de l’Utopie. En ce début de XXIe siècle, l’influence du trotskysme est au plus haut. Au sein même du Parti socialiste, ce courant continue de jouir d’une certaine estime. Dans certains milieux intellectuels, le « trotskysme culturel » tient lieu d’idéologie. Cet étrange archaïsme constitue sans doute un obstacle à l’avènement d’une gauche française s’affirmant véritablement réformiste en paroles et en actes. Pour dissiper les derniers mirages du révolutionnarisme, la social-démocratie française ne fera pas l’économie d’un dialogue critique avec ceux qui se réclament du trotskysme. Ce courant bénéficie du halo de mystère qui l’a toujours entouré. En commençant d’éclairer son histoire, les ouvrages de Nick et de Charpier contribuent à leur manière à le démythifier.
Michel Taubmann
 

 
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