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Rithy Panh/Boulouque/L'OURS 415
Survivre à l’enfer Khmer rouge,
par SYLVAIN BOULOUQUE

à propos de Rithy Panh, L’Élimination, Grasset, 2012, 314 p, 19 €

Article paru dans l’OURS n°415, février 2012, page 1

Rithy Panh est à la fois cinéaste, écrivain, historien et archiviste car le moindre signe matériel, toute trace de la tragédie cambodgienne doit être conservé. Cet ouvrage est en quelque sorte le hors champ de ses films. Dans des entretiens mis en forme par l’écrivain Christophe Bataille, il explique son itinéraire, ses réflexions, ses motivations. Pour la première fois aussi il raconte ses cauchemars – ce terme dans le Kampuchéa démocratique est un euphémisme – et ses souvenirs qui se superposent.

Ce livre, comme la mémoire, est touffu. Il prend plusieurs directions. Rithy Panh y expose les conditions de réalisation de son dernier film Duch maître des forges de l’enfer, son insatisfaction à la réalisation de son précédent, S 21, dont Duch était absent. Il explique le combat permanent contre la manipulation dans laquelle Duch cherche à enfermer chacun de ses interlocuteurs. Duch n’est ni un technicien de la révolution ni un agent administratif ni un exécutant, Rithy Panh souligne avec force et montre qu’il est d’abord un militant communiste, un idéologue, un acteur du système. Mais Duch n’est pas ici le sujet principal.

Refuser la banalité du mal
C’est un livre de résistance. Rithy Panh, répondant à Hannah Arendt et à François Bizot, refuse la banalité du mal. Non, tout le monde ne peut pas devenir tortionnaire. Même au plus profond de la nuit totalitaire, les figures de refus demeurent, c’est à la banalité du bien qu’il rend hommage. Certains préfèrent mourir plutôt que de plier comme son père, un enseignant, qui continue à parler en français dans le Cambodge où le silence est érigé en mode de communication et où les intellectuels étaient condamnés à mort. Comme Bophana, exécutée à S 21, qui refuse de signer en khmer et continue, malgré les tortures, à écrire son nom en caractères latins et à dire son amour pour son conjoint exécuté peu de temps avant elle. Comme sa mère réussissant à cacher de l’argent pour sauver ses enfants. Enfin, ce geste simple, gratuit, généreux alors qu’il est au bord du précipice, dévoré par la dysenterie, et se laisse mourir, d’un homme qui lui prête son lit pour le faire revenir dans le monde des vivants.

Il explique aussi comment, une fois arrivé en France, il a pu se reconstruire ; d’abord par le silence, et ensuite par la lecture de figures tutélaires qui l’ont accompagné et aidé à réaliser son œuvre : Primo Levi et Charlotte Delbo, deux auteurs majeurs à ses yeux. Ils ont réussi à transcrire par l’écriture le processus complet de la déshumanisation. Il a le même sentiment que les survivants de l’univers concentrationnaire nazi. Il lui semble impossible de sortir de son statut de victime même après la disparition des bourreaux. Comme eux, la mort le hante, les souvenirs permanents de ses quatre années, passées d’un camp de rééducation à l’autre le submergent : l’impossibilité de manger, la faiblesse liée à la sous-alimentation qui empêche de prendre de la nourriture quand on en trouve, le Mékong qui charrie des cadavres exécutés à coups de pioche, la mort sous ses yeux de ses parents…

Une adolescence en enfer
Son histoire, Rithy Panh se voit interdit pendant quatre ans d’y penser. Entre 13 et 17 ans, il doit subir les slogans communistes, la perte d’identité jusqu’à son nom qui change régulièrement, les humiliations publiques avec les autocritiques pour avoir osé raconter des histoires pas assez révolutionnaires. La mort permanente est incarnée par les Khmers rouges qui planifient la famine et organisent les exécutions devant les enfants.

Enfin, il crie sa colère face au procès de Duch comme devant celui de trois autres dirigeants khmers : Khieu Samphan, Ieng Sary et Nuon Chea qui utilisent le tribunal à leur dessein. Il estime que l’accusation n’a pas fait son travail jusqu’au bout sur le plan juridique comme sur le plan de l’analyse des responsabilités. Mais la « justice n’est pas la vérité »…

Sylvain Boulouque
 

 
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