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Presse et pouvoir
Presse et pouvoir (2)
Éditorial de Claude Fuzier, L’OURS, n°241, juin-juillet 1993

Le suicide de Pierre Bérégovoy a entraîné le rebondissement du vieux débat sur le rôle de la presse(*), auquel s’ajoute depuis quelques années celui sur l’attitude de la justice. Des “ politiques ” de gauche comme de droite ont estimé que journalistes, juges et humoristes portaient une responsabilité réelle, directe ou indirecte, dans la mort de l’ancien Premier ministre. Les “ accusés ”, et d’autres, ont répliqué avec la même vivacité.

Puis l’affaire est retombée comme un soufflé, l’actualité imposant sa loi. Et pourtant, la question est toujours présente. Je n’aurai pas l’extraordinaire prétention d’y répondre pleinement. Mais quelques réflexions sont toujours possibles.

La liberté de la presse est une grande conquête démocratique et personne ne la remet ouvertement en cause. Mais, comme toujours, une distinction de fait apparaît entre le principe et son application, d’autant plus que l’information a besoin de supports et que ceux-ci apportent leurs propres exigences, techniques et économiques.

Si la liberté de pensée est à la portée de tout le monde, à l’évidence celle de la presse ne l’est pas. La diffusion de l’information et du commentaire par l’écrit, la parole et l’image entraînent des coûts qui excluent l’immense majorité des citoyens de devenir les acteurs de cette liberté. Ils reçoivent et même donnent de moins en moins, puisque dans la très grande majorité des cas les recettes de la presse écrite ou audiovisuelle ne proviennent pas pour l’essentiel du lecteur, de l’auditeur ou du téléspectateur, mais de la publicité ou de l’État.

Dans ces conditions la liberté de la presse est relative et l’indépendance de ceux qui l’exercent tout autant.

Léon Blum avait parfaitement compris ces évidences lorsqu’il envisagea la création d’un journal à la charge du budget de la Nation composé d’une succession de pages mises à la disposition sans aucune censure des partis politiques sous leur responsabilité. Comme souvent, l’utopie permettait de toucher du doigt l’ampleur du problème posé.

Des règles ont été progressivement précisées par la loi, tant en ce qui concerne la protection des individus que la garantie, en certaines circonstances, notamment lors des élections, d’une relative égalité des droits. On peut toujours imaginer que cet arsenal peut être amélioré, avec le risque permanent - en en faisant trop - de tronquer une liberté essentielle.

Ce qui veut dire que, malgré toutes les lois et règlements, l’exercice de la liberté de la presse dépend pour une large part du comportement de ceux qui bénéficient du privilège extraordinaire puisqu’ultra minoritaire de la pratiquer.

Le journaliste professionnel - je l’ai été de 1957 à 1977 - peut considérer que sa plume ou sa parole sont libres, qu’il n’a de compte à rendre qu’à celui qui l’emploie, qu’il peut apprécier si ce que lui demande son employeur est acceptable pour sa conscience, et qu’il n’a pas de limites, en dehors de celles prévues par la loi, dans la recherche de l’exactitude de l’information qu’il communique.

La contrepartie normale de ces droits remarquables est qu’il ne peut pas refuser d’être lui aussi commenté, apprécié et jugé. Les cris indignés de certains de mes ex-confrères lorsqu’ils se font égratigner sont indécents et la référence qu’ils font alors à une prétendue atteinte à la liberté de l’information ridicule. Qu’ils répondent par d’autres arguments et cessent de feindre de se croire les seuls porteurs des vertus de la liberté.

Lecteur régulier depuis mon enfance du Canard Enchaîné, je lui suis resté fidèle au-delà de mes agacement ou désaccords éventuels pour deux raisons. La première est qu’il vit d’abord de ses lecteurs. La seconde est que ne se prenant pas trop au sérieux il ne manque pas là l’occasion d’éclairer aussi sur le comportement des autres moyens d’information.

Car le journaliste, que cela lui plaise ou non, a choisi d’être un homme public, autant qu’un politique, avec l’avantage sur ce dernier de ne pas avoir à retourner régulièrement devant des électeurs. Lorsqu’il réclame à juste titre la transparence de la vie politique, il la réclame pour lui-même. Lorsqu’il exige le droit de juger les autres, il l’exige pour lui-même. Le droit à la polémique n’est pas à sens unique et les défenseurs de la vérité, de l’honnêteté et de la vertu ne sont pas obligatoirement d’un côté et jamais de l’autre.

Ainsi, la polémique autour de la disparition de Pierre Bérégovoy aura été normale et nécessaire; nous pouvons avoir chacun l’appréciation que nous voulons sur son contenu. Nous pouvons apprécier ou regretter les accusations portées contre la presse et en faire de même pour les réponses de celle-ci Mais les véritables adverses de la liberté seraient ceux qui l’auraient estimée inadmissible, sous prétexte qu’il y aurait des intouchables pour s’être proclamé eux-mêmes les détenteurs d’une liberté essentielle.

Claude Fuzier


(*) Le rôle et la place de la presse dans nos sociétés redeviennent périodiquement à la une de l’actualité. Je renvoie les lecteurs intéressés à mon éditorial, « Presse et pouvoir », paru dans notre L’OURS, n° 228, avril 1992.
 

 
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