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L'OFFICE UNIVERSITAIRE DE RECHERCHE SOCIALISTE
 
Lefebvre R/Offerlé 343
La vie politique du sociologue
par Rémi Lefebvre
(L’OURS n°343, décembre 2004)

au sujet du livre de Michel Offerlé, Sociologie de la vie politique française, La découverte 2004 217 p 7,50 e

Michel Offerlé propose dans un ouvrage quasi expérimental une approche renouvelée de la vie politique française saisie au prisme de la sociologie politique.

La science politique contemporaine – qui s’apparente de plus en plus à une sociologie politique – traite peu de la vie politique et cultive même à son égard une certaine méfiance. L’analyse de la vie politique est ainsi quasi monopolisée par les journalistes ou par les historiens du temps présent qui revendiquent de plus en plus leur autorité à traiter de l’actualité.
L’analyse des premiers est marquée par une tendance accusée au stratégisme. Le journaliste s’attache peu à rendre compte des discours et des prises de position des acteurs politiques, à rendre publique la scène politique officielle, mais s’évertue à scruter les coulisses du « jeu » politique, à révéler la politique officieuse et à décoder les stratégies des hommes politiques perçus comme des calculateurs permanents. Le traitement du débat actuel sur la constitution européenne au PS est emblématique de cette posture mobilisée par les journalistes. Le jeu prend le pas sur les enjeux, et les prises de position des uns et des autres sont systématiquement rapportées à des « coups ».
La vision des seconds est souvent plus rigoureuse et plus attentive à l’inscription historique, au poids des cultures politiques et des traditions. Mais elle est souvent très narrative, peu explicative, et pêche par « politisme » (explication du politique par le politique).
Si les politistes sont méfiants à l’égard de cette manière de rendre compte de la politique, c’est qu’ils jugent qu’elle est par trop prisonnière des catégories « indigènes » du jeu politique. Or, pour analyser ce jeu, il faut savoir s’en extraire, rompre avec le sens commun politique et les mots sociaux qui sont enjeux de luttes dans le champ politique. Il faut parler une autre langue que celle des acteurs. Non pas pour s’en distinguer forcément, mais pour ne pas rentrer dans ces luttes de qualification que sont les luttes politiques. La politique ne saurait être réduite aux prises de position, aux rapports de force électoraux, aux effets d’annonce de politiques publiques, aux stratégies des acteurs et aux commentaires dont elles font l’objet, bref aux « bruissements » et à l’écume de l’actualité politique telle qu’elle se donne à voir quotidiennement. On comprend ainsi que les politistes s’intéressent plus aux lois du champ politique, aux comportements électoraux, aux politiques publiques, à l’action collective ou se réfugient dans la « socio-histoire » et l’analyse d’une vie politique « refroidie ».

Défi intellectuel
Le dernier ouvrage de Michel Offerlé relève donc du défi intellectuel : parler de la politique en sociologue et développer un point de vue sociologique sur la vie politique. Daniel Gaxie s’y était essayé dans un ouvrage il y a quelques années (La démocratie représentative, chez Montchrestien) mais dans un registre plus théorique. Michel Offerlé le reconnaît : c’est un exercice d’équilibriste. Il s’agit à la fois d’un ouvrage synthétique (un tour d’horizon de la vie politique française) et d’un essai programmatique (formuler des hypothèses pour rompre avec la vision routinière du politique, revisiter les lieux communs de la politique, les « vérités » qui ne sont plus interrogées).
L’ambition peut paraître démesurée surtout dans le format d’un petit ouvrage de 120 pages de la collection Repères. L’auteur contourne cet obstacle en proposant des encadrés très précieux et documentés qui offrent des coups de projecteur sur des sujets essentiels et souvent peu traités (le financement de la vie politique, l’état de la presse politique, les clubs politiques…). La vie politique telle que l’auteur l’analyse est une réalité socialement instituée. Elle est inscrite dans une histoire constitutive d’un « habitus national ». S’il y a bien une « exception politique française » selon le discours à la mode, il faut l’expliquer historiquement pour la dénaturaliser et aussi la nuancer. L’auteur revient sur la question de la faiblesse de la « société civile », les « fièvres hexagonales » (Michel Winock) ou sur le clivage gauche/droite que l’analyse tend souvent à avaliser sans grande précaution méthodologique. La vulgate dominante de la vie politique est ainsi utilement réinterrogée. Michel Offerlé n’évoque pas la dimension intellectuelle de la vie politique qui constitue à l’évidence une spécificité de la France. Il s’intéresse ensuite à la fois aux règles institutionnelles, aux divers partenaires des hommes politiques (journalistes, fonctionnaires, entourages, intellectuels...), à ceux qui commentent la vie politique et donc la façonnent, aux transformations des savoir-faire politiques, aux professionnels mais aussi aux profanes (ceux, majoritaires en France, qui n’ont qu’un rapport lointain à la vie politique officielle). On pourra juger la conception de la « vie politique » de l’auteur trop extensive. Certaines hypothèses mériteraient d’être discutées (la déprésidentialisation relative des partis). Reste que l’ouvrage fourmille d’innovations conceptuelles (les « policistes »), de fulgurances d’écriture, de raccourcis stimulants. Il propose de nombreuses hypothèses fécondes qui sont autant de possibles non advenus de l’analyse de la vie politique, réouverts par l’auteur. Michel Offerlé se livre à un exercice « césarien » de compression et de concrétion de la vie politique particulièrement convaincant et souvent virtuose.

Réserves
On émettra néanmoins trois réserves. D’abord, on peut s’interroger sur le public visé par l’ouvrage. Si ce sont les étudiants – dont la culture politique est souvent sommaire –, l’ouvrage n’atteindra sans doute pas sa cible. Pour pouvoir comprendre et déconstruire la vie politique, encore faut-il la connaître. Les enseignants de « vie politique » sont souvent contraints à un exercice de réenchantement de la vie politique qui est la condition de l’intérêt pour leur matière. L’ouvrage apparaît souvent plus comme une introduction à la sociologie politique que comme un manuel sociologique de vie politique. Ensuite, la faible part accordée à l’histoire étonne, surtout de la part de l’auteur, socio-historien patenté. Michel Offerlé analyse peu les usages politiques du passé qui forment une des trames de la vie politique. Cette présence du passé, toute particulière en France, est peu étudiée. L’hypothèse, esquissée, d’une déhistoricisation de la vie politique aurait pu être davantage creusée. Ensuite, le sociologue traite peu de la fabrique de l’actualité politique quotidienne. La notion d’agenda qui invite à analyser l’ordre du jour politique, la construction des thèmes qui font et défont sans cesse l’actualité est peu mobilisée. Un très beau chantier de recherche serait d’analyser de manière processuelle la vie politique et ses temporalités sur des périodes données. Pourquoi la vie politique de ces derniers mois a-t-elle été centrée notamment sur le voile islamique, le mariage des homosexuels, l’adhésion de la Turquie à l’Europe, l’autorité à l’école… ? Pourquoi un thème chasse-t-il un autre, pourquoi d’autres s’incrustent-ils ? Quels sont les entrepreneurs de ces problématiques politiques ? Quelles dynamiques (politiques, journalistiques, sociales…) contribuent à leur accorder cette centralité ? On le voit, la « vie politique » recèle encore de nombreuses énigmes de recherche.
Rémi Lefebvre
 

 
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